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Politique

BABACAR SALL, DIRECTEUR DE PUBLICATION A L’HARMATTAN :« Pourquoi nous avons rejeté le manuscrit de Madické Niang »

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BABACAR SALL, DIRECTEUR DE PUBLICATION A L’HARMATTAN :« Pourquoi nous avons rejeté le manuscrit de Madické Niang »

Dans la troisième et dernière partie de l'entretien qu'il nous a accordé, le directeur de publication à l'Harmattan, Babacar Sall, revient sur les raisons du rejet du manuscrit du ministre sénégalais de l'Energie et des mines, Madické Niang et apprécie l’œuvre de Senghor, dont le dernier ouvrage, «La rose de la
paix», a été publié par lui.

Wal Fadjri :  Le manuscrit du livre de Madické Niang a été rejeté par votre maison d'édition. Pourquoi avez-vous refusé de publier le livre du ministre de l’Energie et des mines ?

Babacar SALL : Cet ouvrage a été refusé à partir de critères objectifs. Ce que nous attendions de cet auteur, c’est qu’en tant que membre du gouvernement, qu’il contredit les éléments avancés par le livre d’Abdou Latif Coulibaly par des documents de source comme ce dernier l’a fait. Mais nous ne pouvons pas le
publier parce que c’est un ministre de la République. Cela ne marche pas ainsi. Ce n’est pas parce qu’on est ministre ou président de la République qu’on est publié. Nous fonctionnons sur des lignes éditoriales précises. C’est à la suite de ce refus qu’une personnalité du gouvernement nous a menacés de plainte.

Ne pouvez-vous pas publier le livre pour permettre aux lecteurs de juger eux-mêmes la qualité du contenu et de l’écriture ?

Nous sommes pour la pluralité. Ce n’est pas cela le problème. Nous publions un livre parce qu’il est recevable, sinon il ne le sera pas. Nous ne publierons pas un livre en fonction du statut de la personne, mais de la qualité de son contenu.

2006 est consacrée «Année Senghor». En tant que poète, sociologue et éditeur, quelle analyse faites-vous de l’œuvre de Léopold Sédar Senghor, dont le centenaire de la naissance est célébré de par le monde ?

Je parlerai de l’œuvre de Senghor en tant que poète.  J’ai eu l’honneur d’être l’éditeur de son dernier ouvrage publié un mois avant sa disparition et intitulé «La rose de la paix». J’ai eu aussi l’honneur et la tristesse, parce que les deux sont mélangés, de l’accompagner par avion à sa dernière demeure, de la
Normandie à Dakar avec son épouse et les membres de sa famille qui ont gardé une grande dignité.  J’ai assisté aussi dans un petit salon à l’arrivée à l’aéroport aux échanges d’accueil avec le couple Wade, ses enfants et Madame Senghor.
Le président Senghor n’a pas eu l’honneur qu’il devait recevoir en France au moment de son décès.
Nous n’avons pas vu les personnalités françaises à cet instant, ni dans la maison familiale en Normandie, ni au moment du départ à l’aéroport. Nous étions intérieurement choqués, mais Madame Senghor a été d’une dignité et d’une discrétion exceptionnelles. Jamais elle n’avait montré un signe quelconque dedéception. Lorsque la dépouille du président Senghor était arrivée au Sénégal, nous avons vu des milliers de gens dans les rues de Dakar. Cela était interpellant.
S’il y a une «Année Senghor», c’est bien, mais il ne faut pas qu’elle soit présentée comme une occasion de chasser la mauvaise conscience d’hier. C’est curieux,nous voyons maintenant beaucoup de personnes qui
n’étaient pas là avant, lors des obsèques. Mais je crois à la sincérité des événements dans le monde. Au Sénégal, on aurait pu faire mieux. La cérémonie au Théâtre Daniel Sorano n’était pas à la hauteur de l’événement. Tout le monde en convient. Et l’image de notre pays est écornée une fois de plus à l’extérieur.

Que retenez-vous de l’œuvre poétique de Senghor ?

Je me rappelle lors d’une entrevue en 1990 autour de l’anthologie de la poésie du Sénégal que je venais de publier, nous discutions des choix poétiques le concernant. Je lui disais que je n’ai pas voulu reprendre ses poèmes les plus populaires. Ceux que l’on trouvait dans les manuels scolaires. J’ai préféré
«Les lettres d’hivernage». Il m’avait avoué que c’étaient les textes les plus proches de lui en me racontant les circonstances de leur écriture :  des lettres qu’il envoyait à son épouse en Normandie chaque fois qu’il revenait de week-end en hélicoptère. Je préfère de loin les textes de ce recueil. Ils ne
sont pas tellement célébrés. Mais je trouve que ce sont les rares poèmes de Senghor où on ne sent pas le politique. Sa poésie de la négritude, ses poèmes de combat avant, pendant et juste après la deuxième guerre mondiale sont moins révélateurs de son identité poétique. Dans «Les Lettres d’hivernage» Senghor se révèle comme un carrefour de fragilités. Et c’est là que l’on ressent le mieux son pouls poétique. Le reste est voilé par le message, le «je» collectif. J’adore aussi le poème «Masques». C’est un condensé d’émotions, de mythes et de sacralités. C’est un véritable talisman à mettre au cou. J’aurais pu vous
parler du bâtisseur de passerelles, de l’humanisme senghorien, de ses «Libertés», de sa traduction en français des poètes anglais et irlandais, notamment ceux de la période élisabéthaine. Pour le politique,
c’est plus complexe !

Les jeunes sénégalais ont surtout retenu sa fameuse phrase : «l’émotion est nègre, la raison est hélène».

En tant que poète, éditeur et sociologue, comment analysez-vous cette phrase du feu Léopold Sédar Senghor ? A votre avis, les gens en ont-ils fait une mauvaise interprétation ?

Il ne faut pas lui intenter un procès sur la base d’un malentendu. Lorsqu’il disait que «l’émotion est nègre et la raison est hélène», je crois qu’il envisageait plus la culture négro-africaine comme une culture de la sensibilité, donc des arts et de la poésie, par rapport à l’Occident qui a pratiquement tué la
sensibilité, l’émotion dans son projet humain et son projet de construction techno-scientifique du monde. Mais il ne veut aucunement, à mon avis, disqualifier la raison dans la culture africaine.

Il a voulu simplement montrer que les Africains ont gardé une sensibilité (humaine) dans la production et l’exercice
de la raison.  L’Africain est rationnel, cela va s’en dire, mais il tient compte de la sensibilité, de l’humanisme de la raison. Quand l’Africain pense, il est dans la raison, mais aussi dans la sensibilité. C’est cet alliage entre sensibilité et rationalité que le président Senghor a voulu exprimer en ces termes.

Les gens ont apparemment fait de cette phrase une lecture au premier degré...

Tout à fait ! Il faut lire la poésie de Senghor d’avant-guerre. Vous verrez qu’il a eu une pensée extrêmement novatrice et même audacieuse par rapport à la colonisation. Ce qu’il a dit des cultures nègres sont des morceaux de mémoire tout à fait majeurs pour non seulement la négritude, mais pour tous les humanismes modernes.(FIN)



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