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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Politique

Colonel Oumar Ndiaye, ex-Dg de la Lonase : " Wade Et Idy Ont Tort S’ils Croient Qu’ils Sont Les Maîtres Du Destin "

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Colonel Oumar Ndiaye, ex-Dg de la Lonase : " Wade Et Idy Ont Tort S’ils Croient Qu’ils Sont Les Maîtres Du Destin "
L’Actuel - "Ah, un colonel de plus s’immisçant dans des affaires politiques !", les murs de certains salons pourraient rendre l’écho de cette appréciation cavalière sur le premier Directeur général de la Lonase sous le septennat de Wade. "Mon Colonel", à l’opposé de cet autre officier, acteur dans une séquence de jeu politique, se veut simplement observateur de celle-ci. C’est un regard lucide qu’Oumar Ndiaye pose sur le débat, précocement agité, autour de la succession de Maître Wade et les remous qu’il occasionne au Pds et dans la galaxie des institutions républicaines. Il a analysé, sans parti pris ni faux-fuyant, les ambitions de chacun des trois prétendants au trône : le trio de "frères" Macky-Idy-Karim. Mais, au sujet des intentions prêtées au "pape du Sopi" de vouloir passer le "témoin" à son fils (à l’image des Eyadéma, Kabila...), notre interlocuteur pense que Wade ne penche pas pour son fils biologique. Pour les raisons qu’il a bien voulu nous donner dans cette interview.

Colonel, quelles sont les nouveautés que vous avez apportées à la Lonase, au plan de la gestion des ressources humaines et de la diversification des produits ?

A ma prise de service j’ai envisagé, parmi les mesures de sauvegarde, l’arrêt de ce recrutement. Les stagiaires "professionnels" qui étaient dans l’établissement depuis plusieurs années ont envahi les médias pour manifester leur mécontentement et leur colère. Pour calmer les esprits, il a été décidé de continuer le recrutement de stagiaires, pour deux contingents de 250 pour six mois de stage ; opération que le ministère de la Jeunesse sera chargée de gérer. Il convient de signaler enfin que la Direction précédente avait pris l’engagement d’exécuter les accords en février 2000, sans avoir prévu les ressources financières nécessaires. Au surplus, la Lonase avait acquis aux enchères un immeuble au prix de 568 millions, mais au 2 mai, elle semblait devoir y renoncer par manque de ressources, au risque d’une vente aux folles enchères pleine de risque pour la société, prévue dès le 7 mai 2000. Ainsi, la première action de la nouvelle direction a été de finaliser cet achat grâce à un prêt de 350 millions, que le ministère de l’Economie et des Finances a bien voulu garantir. Devant tant de besoins et tant de difficultés, la direction générale a décidé de faire face, en envisageant dans l’immédiat la seule chose possible : réduire les charges de manière drastique, non seulement pour éponger le déficit structurel de 250 millions par mois, mais aussi pour financer les revendications des personnels explicitées plus haut et, en même temps, augmenter les recettes de manière significative dans la mesure du possible. C’est la quadrature du cercle. (...) Vous comprendrez aisément que c’est là où se trouve l’origine de toutes ces cacophonies diffusées sur les différents médias, lesquels au passage ont subi la mesure de suppression de leurs subventions déguisées, qu’ils avaient acquises grâce à la prodigalité de mes prédécesseurs. Enfin et en dernier lieu, la solution ultime de sortie de crise envisagée par la direction générale, l’informatisation de l’exploitation et de la gestion intégrée, a soulevé l’ire d’une partie, heureusement, minoritaire des vacataires qui voient arriver la fin de leur emploi dans les dépouillements manuels. Malgré tous les efforts déployés pour sortir la Lonase de l’ornière, rien ne semble bouger du côté de la tutelle, qui se contente de récupérer tous les mois les versements que l’actuelle direction opère chaque mois au profit du trésor VRS, TVA, redevances, droits de timbre, etc ; plus de 270 millions chaque mois. Et l’on oublie que le problème demeure le même : La Lonase n’a pas d’états financiers bancables et elle est normalement en cessation de paiement ; son capital ayant été englouti, il y a longtemps (...)

Ensuite...

Comme il a été annoncé plus haut, beaucoup d’efforts ont été accomplis : D’abord la réduction des charges avait été très importante : suppression de primes pour le personnel, suppression des insertions dans les journaux, passation d’appels d’offres pour les supports, les fournitures de bureau et les consommables informatiques, réduction des loyers, du téléphone, du carburant. Malheureusement, toutes ces économies ont servi à supporter de nouvelles charges nées de la situation sociale : augmentation des salaires, augmentation de la commission des vendeurs, augmentation des primes des vacataires, financement du plan social avec des fonds propres.

Quelles solutions aviez-vous préconisées ?

Surtout de ne pas privatiser la Lonase. La première idée qui venait à l’esprit est que si l’Etat est incapable d’organiser et de gérer une société, il convenait de la privatiser pour qu’elle devienne rentable. Cette idée n’est pas toujours vérifiée et même si elle était vraie, elle ne s’applique pas au domaine des activités ludiques. Les loteries et autres jeux de hasard sont exploités par concession, puisqu’il s’agit d’un service public qui mérite d’être servi et réglementé et naturellement l’Etat reçoit en contrepartie une redevance qui est fixée suivant une grille de répartition des recettes encaissées. Ce qui importe à l’Etat, c’est donc de veiller à ce que la société soit bien gérée afin d’avoir de fortes recettes et de générer un bénéfice, dont l’utilisation irait dans le sens de l’intérêt général ; la première expérience sénégalaise d’une gestion privée entre 1966 et 1976, a prouvé que les particuliers utilisent leurs bénéfices dans des activités rentables et non sociales et qu’il n’y a aucune possibilité de les contrôler. Mais l’inconvénient majeur apparu ces derniers temps est le blanchiment de l’argent sale, par la filière des jeux et nos Etats ne disposent pas pour le moment des moyens de contrôle nécessaires pour y faire face. D’ailleurs, tous les pays occidentaux, européens comme américains, exploitent des loteries d’Etat pour préserver la gestion de cette épargne nationale particulière. Il serait malheureux que des étrangers viennent l’écrémer, pour l’expatrier vers leurs pays d’origine.

Le Président Wade disait - nous le citons de mémoire - qu’une société de jeu ne tombe jamais en faillite. Dans quel cas, cette idée est plus proche d’un postulat, et dans quelle situation, s’apparente-t-elle à un axiome ?

En tout cas, avec l’informatisation du PMU d’abord, du Parisportif rationalisé, et surtout du Loto réintroduit dans la gamme des produits de la Lonase, ensuite avec enfin le développement des loteries instantanées, de jeux électroniques et la maîtrise des activités des Casinos et le contrôle des machines à sous, il était possible de multiplier le chiffre d’affaires actuel par dix dans les cinq prochaines années. La Lonase serait la première société sénégalaise, avec un chiffre d’affaires supérieur à 200 milliards. De nombreux partenaires sont aujourd’hui prêts à assister la Lonase dans cette aventure si exaltante, notamment le PMU Français et la Française des jeux, dont les réalisations cumulées faisaient 8.000 milliards de francs CFA en l’an 2000. A défaut de ces mesures, qui ne relevaient pas de la direction générale de la Lonase, cette société continuerait à vivoter, avec le fisc, à l’horizon étroit, laminant tous les efforts jour après jour ; jusqu’au jour où tout s’effondrerait, parce qu’on aurait perdu un procès de trop ou qu’un fournisseur exacerbé aurait exigé du juge le dépôt de notre bilan.

Les syndicalistes aussi ne vous ont sûrement pas facilité la tâche ; probablement tout comme les hommes politiques proches des cercles du pouvoir, qui avaient qui une nièce, qui d’autres un frère casé ou à caser quelque part ?

En fait, ceux qui ne m’ont pas laissé en paix, ce sont les journaux privés qui m’avaient menacé de représailles et qui se sont précipités pour faire l’écho du représentant d’une partie des vacataires. M. A. Wane a brodé, épilogué, diffamé et usé de tous ses pouvoirs auprès du syndicat autonome des travailleurs, et même du ministre Yéro Deh, pour m’arrêter dans ma détermination à informatiser l’exploitation des jeux et à faire disparaître légalement vacataires et stagiaires ; bien sûr, après indemnisation. Le régime de l’Alternance a peur du bruit et voudrait un climat social serein, même s’il faut renoncer à l’autorité de l’Etat et à l’efficacité. L’un dans l’autre, les tenants du pouvoir ont préféré se débarrasser de moi ; en utilisant le directeur de cabinet du Premier ministre qui, en l’occurrence, ne possédait aucune compétence sur la Lonase. Pourtant aujourd’hui, c’est fait. Il n’y a plus de vacataires à la Lonase, et l’informatisation a pris cinq ans de retard, mais s’est quand même réalisée.

Donc, les reculades de l’Etat, comme c’est le cas aujourd’hui avec les marchands ambulants, la ponction sur les salaires des fonctionnaires et l’affaire de l’Asecna ne sont pas une nouveauté ?

Non ! Bien sûr que ce n’est pas une nouveauté, parce que le président est toujours mal conseillé. Les informations qui lui sont fournies sont toujours tronquées.

Comment en tant qu’ancien administrateur de la Loterie nationale sénégalaise, comprenez-vous la réhabilitation de Baïla Wane aux fonctions de Directeur général de la Lonase ?

Vous savez Baïla Wane est mon oncle, en tant que Wane-Wane, donc il est mon parent. Et par courtoisie, je ne peux non plus juger de l’opportunité ou non de le réhabiliter, car je ne connais pas la raison profonde qui avait motivé sa relève. Mais dans tous les cas, s’il y a des fautes, elles sont beaucoup plus à imputer à son Conseil d’administration, à la tutelle et en dernier lieu, au Chef de l’Etat, qui nomme tous les directeurs généraux de société. Je voudrais rappeler ici une étude que j’ai faite en 2004 et qui mettait en exergue les fautes lourdes du Conseil d’administration et de la tutelle, dont la principale victime fut Baïla Wane. Si un an après, le président a pensé devoir le remettre, c’est qu’il a ses raisons. Et Baïla Wane semble dire qu’il a reçu des instructions spécifiques. L’avenir nous édifiera sur cette question. Moi, ce que je condamne, c’est le manque de rationalité dans la chaîne hiérarchique, que le régime libéral a mis en place. Maître Abdoulaye Wade a, partout, mis un système où il possède tout seul la décision finale. Dans ce cadre, un directeur général de société ne reconnaît que son autorité. Et tant qu’il ne dit rien et qu’on ne l’enlève pas, c’est que tout va bien. Aucune tutelle, aucun conseil d’administration n’ose émettre un avis ; sauf celui que lui suggère le président, à travers la tutelle. Il en est ainsi. D’ailleurs, en toute chose, seul le président pense et décide, alors que les autres ne font qu’exécuter ; à commencer par le gouvernement. Si l’action réussit, c’est le Chef de l’Etat qui l’a bien conçue. Si elle échoue, c’est le subordonné qui a mal compris et l’a mal appliquée. Il me semble donc, dans le cas étudié, que c’est moins Baïla Wane qui est à condamner que son conseil d’administration et sa tutelle. Le président mis au courant n’a pris aucune décision contre le Pca et le Conseil responsable de fautes graves. Peut-être que Baïla Wane a raison de dire qu’il avait reçu des instructions. Mais dans ce cas, le président a ignoré les limites de ses prérogatives, s’il a pu tolérer ou ordonner ce qui est dit dans le livre de Abdou Latif Coulibaly. Voilà donc, ce qui s’est passé en 2004.

Colonel, apparemment, vous ne semblez pas trop porter dans votre cœur le président du Conseil d’administration de la Lonase.

Non, ce n’est pas sa personne qui m’intéresse ; mais son travail. D’ailleurs, j’ai alors beaucoup hésité, avant de prendre ma plume (le 5 janvier 2004), pour adresser au président Wade, une lettre ouverte. Et je me suis résolu à le faire pour trois raisons essentielles : D’abord, parce dans son message de fin d’année, j’ai retenu le souffle d’un vent nouveau devant charrier les principes de Travail, de bonne gouvernance, de lutte contre la corruption, qui me remplissait d’espoir pour mon pays. Ensuite, le fait que le président n’a jamais répondu à mes multiples correspondances, m’a forcément orienté vers ce mode de communication avec le peuple, sans barrières. Enfin, les faits que je révèle et condamne sont d’une telle gravité, que vous devez y mettre fin, étant le seul détenteur d’une pareille compétence. J’ai hésité, puisque les quelques amis à qui, j’en ai parlé, ont voulu me dissuader ; en me conseillant de rester tranquille, n’ayant aucune responsabilité dans les évènements en cours. Mais franchement, je n’ai pas pu m’empêcher de prendre à nouveau position dans une affaire qui concerne tous les citoyens, toute la Nation.

De quoi s’agissait-il ?

Un jour, incidemment, en regardant la télévision ou en écoutant la radio, j’ai entendu le Directeur général de la Lonase déclarer, lors de la Cérémonie de l’Arbre de Noël qu’il a organisée, qu’il avait fait, en 2003, un bénéfice de plus d’un milliard et demi. J’étais très content pour lui et très surpris ; puisque d’après mon expérience, la tendance notée en 2002 devait se poursuivre en 2003, avec un déficit qui devait dépasser les deux milliards. C’est alors que j’ai appris que l’Etat avait consenti à réduire la redevance, ce qui mettait à l’aise la gestion de la société ; d’autant que la mesure avait un effet rétroactif, à compter du 1er janvier 2003. Je fus alors très content ; même si je trouvais que l’assainissement de la gestion aurait dû précéder le renoncement de l’Etat à ses droits légitimes. C’est donc au lendemain du message du président que je suis tombé sur deux documents, dont la candeur m’a abattu, car la teneur de ces documents montre à quel point l’ignorance, l’incompétence et le manque de professionnalisme, de certains dirigeants politiques, peuvent être néfastes dans le cadre de responsabilités en matière d’administration et de gestion. Le premier document est un procès verbal de délibération, avec des considérations sur la nécessité de respecter la loi 87-43 du 28 décembre 1987, autorisant la création de la Loterie Nationale Sénégalaise, en date du 7 octobre 2003. La délibération a eu lieu le dix-huit septembre, en présence de tous les administrateurs de la Lonase. Elle est libellée en décisions exécutoires, réparties en deux articles. Le premier article modifie les articles 51, 52 et 53 du cahier des charges de la Lonase. (...) Le deuxième article stipule : "Le présent avenant un cahier des charges de la LONASE prend effet à compter du 1er Janvier 2003. Il est signé par le président du Conseil d’administration et sera publié au Journal officiel de la République du Sénégal". Le deuxième document, daté du 9 octobre 2003, transmet la délibération du 30 septembre, perçue comme un réaménagement budgétaire du Directeur Général de la Lonase. En regardant le document signé par les membres du Conseil d’Administration, on se rend compte qu’il s’est agi d’une consultation à domicile, qui autorise la Direction Générale à mettre en application les directives contenues dans le premier document. En fait, il s’agit là d’une gymnastique juridico-administrative, initiée par les deux responsables politiques de la Lonase, le Président du Conseil d’Administration et son Directeur Général.

Ah bon !

C’est vraiment ahurissant ! La délibération du Conseil d’administration est illégale et inopportune, et son application peut être considérée comme un détournement de deniers publics. En effet, le cahier des charges de la Lonase, prévu par la loi et élaboré en application de l’article 3 de la loi n°87-43 du 28 décembre 1987, a été approuvé par le décret 89-062 du 17 janvier 1989, auquel il a été annexé. (...) Dans le silence de leurs bureaux, le Président du Conseil d’Administration de la Lonase, ses différents administrateurs et son Directeur Général, décident unilatéralement, et en connaissance de cause, de violer la loi et règlement, en s’adjugeant des pouvoirs qu’ils ne possèdent pas. En prévoyant une application rétroactive de leurs décisions, ils rendent caduque l’inscription de l’avance de 130 millions sur redevance, faite sur le tableau des opérations financières de l’Etat de l’an 2003 (TOFE 2003). Le problème est de savoir si la tutelle est complice ou si tous les administrateurs et le contrôle financier de l’Etat, qui siègent au Conseil, étaient conscients ou ont été manipulés lors de la consultation à domicile. (...) Par une ignorance coupable, ces jeunes, peu expérimentés, et leur avocat oublient que les sociétés nationales ont un double aspect : Du point de vue de leurs activités commerciales, les sociétés nationales sont soumises aux mêmes règles que les autres sociétés commerciales de même statut. Du point de vue de leur organisation et de leur fonctionnement, elles relèvent du droit administratif. La société nationale est créée par la loi, et son organisation et son fonctionnement sont clairement définis par la loi 90-07 du 26 juin 1990. En dehors du cadre général, défini par le décret 88-1725 du 22 décembre 1988, le décret 89-34 du 9 janvier 1989 approuve les statuts de la société nationale "Loterie nationale sénégalaise" (Lonase). (...) Et, ce qui est le plus grave, c’est l’intention de tromper les autorités en parlant à ce propos de réaménagement budgétaire.

La Lonase fait encore parler d’elle -en des termes moins élogieux- avec le rapport de la Commission nationale de lutte contre la corruption. N’avez-vous pas le sentiment qu’elle serait "maudite" ?

Aujourd’hui, le vrai problème à la Lonase est que l’Etat a, enfin, accepté de renoncer à sa créance de plus de 20 milliards, permettant ainsi à la société de profiter d’une embellie consécutive au nettoyage de son bilan. Malheureusement, l’Assemblée nationale a déjà posé le problème de sa privatisation. Et, aucune décision finale n’est prise pour son avenir. La Lonase n’est pas maudite. C’est le régime qui ne tient pas à sa gestion transparente et rigoureuse. C’est une société rentable qui peut beaucoup apporter à la Nation, si elle est gérée, en dehors des arcanes et autres chapelles politiques.

Mon Colonel, connaissez-vous Karim Wade ?

Je ne connais pas Karim Wade. Je crois l’avoir aperçu un jour que je rendais visite à son père. C’était dans les années 80. Il devait avoir une douzaine d’années. Je n’ai aucun grief personnel contre lui.

Le soupçonneriez-vous, à travers son mouvement « Génération du Concret », de chercher un raccourci, pour une ascension politique ?

J’entends parler de la Génération du Concret, sans avoir la preuve que la chose existe en tant qu’association ou mouvement, ni savoir qui sont les éléments qui le dirigent ou en sont les instigateurs. Donc, je ne peux pas dire que Karim Wade est l’initiateur de ce machin, et qu’il compte l’enfourcher pour une ascension politique. Par contre, ce que je sais, de par l’ensemble des faits relatés par les journaux, c’est que Karim Wade et Abdoulaye Baldé sont les deux principaux responsables de l’Anoci. Si l’on se réfère, à la fois, au financement de ce projet et à la manière dont il est géré, au regard des résultats obtenus en coût et « out put », il n’y a pas de quoi se pavaner. Une exploitation, dont le budget n’a aucune détermination, ni en son montant ni en ses sources de financement, et dont les mécanismes n’obéissent à aucune procédure réglementée, est trop facile à gérer pour qu’on puisse s’en prévaloir comme une référence. On oublie, souvent, que les ressources mises en œuvre, qu’elles proviennent des bailleurs arabes, des emprunts obligataires de l’Etat ou du budget national, n’appartiennent pas aux Wade ; mais, à la Nation. Le produit, résultant de cette entreprise, est une propriété de l’Etat du Sénégal. La Nation n’a à dire merci à personne ; surtout, quand on sait qu’on aurait pu mieux faire.

Vous arrive-t-il de penser que Me Wade, que vous connaissez bien, est capable de conférer des droits successoraux à son fils ; autrement, de lui transmettre le pouvoir ?

Je ne pense pas que Wade ait pensé à Karim, comme un successeur potentiel, en le mettant à ses côtés ; par contre, qu’il ait voulu lui assurer un avenir financier sécurisé est patent. Mais, le pays est rempli d’ambitieux , qui cherchent toujours un mentor, mieux placé qu’eux, pour les épauler. C’est ainsi que s’est constitué, autour de Karim Wade, un groupe de personnes, rêvant d’un pouvoir que seul le "fils du père" pourrait leur fournir. Comme l’a reconnu quelqu’un, cette éventualité peut être devenue une hypothèse pour Abdoulaye Wade qui est un fin dialecticien. Pour lui, il n y a rien de figé. Tout est évolutif. Il va regarder les choses se développer, et le jour où il sera sûr à 99% que son fils pourra le remplacer, il s’y engagera personnellement. Mais, à mon humble avis, il aime trop sa famille et son fils, pour ne pas les pousser sur cette voie, qui pourrait leur être fatale ; surtout quand il est quasi-sûr qu’il ne pourra toujours pas le protéger. Quant à moi, je souhaite qu’il s’éloigne, comme de la peste, de cette éventualité, qui placerait le Sénégal au dernier rang des démocraties, qui se respectent.

Idrissa Seck s’est invité comme un cheveu dans la soupe, pour ne pas dire là où l’on s’y attendait le moins, dans le débat autour de la réorganisation du Pds. Pensez-vous que l’ex-Premier ministre, dont le parti est la 2ème force politique du pays, irait jusqu’à enterrer « Rewmi » pour une hypothétique résurrection dans sa famille politique originelle ?

Peut-être que tout ce que je viens de dire pourrait expliquer le fait que le président hésite à abandonner la piste Idrissa Seck, une bête politique s’il en était, pour garder le pouvoir, avec un Pds réorganisé, spécialement, pour l’après-Wade. Ce serait pour assurer ses arrières et la sécurité de sa famille, qui, nantie d’un pouvoir financier important, pourrait alors vivre en toute sécurité, loin des débats et soubresauts de la vie politique sénégalaise. Qu’en pense Idrissa Seck ? À vrai dire, personne ne peut avancer une théorie sérieuse sur l’avenir d’Idrissa Seck si l’on ignore les termes de ses discussions avec Wade et des combinaisons qu’ils comptent mettre en œuvre pour régler, de façon satisfaisante, leurs intérêts réciproques. Mais, je pense sérieusement qu’ils ont tort tous les deux, s’ils croient qu’ils sont les maîtres du DESTIN.

Les retrouvailles Wade-Seck ne posent-elles pas, encore une fois, la problématique de l’éthique ou l’immortalité de certains de nos hommes politiques, ou est-ce la déontologie de l’action militante qui pourvoit à la loi de l’absurdité, du paradoxe ?

Les relations Wade-Idy sont faites d’attachements morbides, de fascination et d’admiration réciproques. Entre les deux hommes, il y a tellement de secrets et d’actions inavouables, qu’ils ont besoin l’un de l’autre, pour se rassurer et s’assurer de leur discrétion réciproque. Ce sont deux joueurs d’échec qui ont pris le Sénégal pour public et pour enjeu. Cependant chacun d’eux sait qu’il ne peut avoir la victoire sur l’autre sans se détruire lui-même. À mon avis, pour eux, la politique est comme une affaire et le Sénégal une entreprise, qu’ils comptent diriger avec un esprit spéculatif...

Un mot sur « l’enterrement » politique de Macky Sall, qui est de plus en plus agité.

Le problème Macky Sall me désole. Ce garçon, que j’ai rencontré une fois dans mon bureau à la Lonase, a connu, avec l’alternance, une ascension fulgurante, parce qu’il était le noyau le plus pratique pour Wade de pallier l’absence d’Idrissa Seck. Pour Wade, le Pds et ses militants ne sont que des instruments de pouvoir qu’il manipule à sa guise pour résoudre les problèmes du moment. Regardez le cas de ce jeune Massaly, qu’il nous sort de sa gibecière, au lendemain de la contestation des marchands ambulants. C’est un acte majeur pour dénoncer l’organisation actuelle du mouvement des jeunesses libérales et annoncer la venue d’un nouveau type de leadership à ce niveau. Wade a créé Macky ; mais, Idy s’est créé avec Wade. Donc, si Wade veut se passer de Macky, il peut le faire, au sein de son parti. Mais, à partir du moment où Macky est une institution de la République, il doit échapper aux manœuvres de destitution entreprises par son parti, dont le pouvoir ne doit pas dépasser les limites de ses militants. Même exclu du Pds, Macky Sall doit demeurer à la tête de l’Assemblée nationale. Dans tous les cas, Abdoulaye Wade, secrétaire général du Pds, doit publiquement avoir le courage de ses actes. S’il est à la base de ce lynchage politique, il doit le dire publiquement. Macky en tirerait les conséquences, parce que, ce qu’il est aujourd’hui provient, après Dieu, de la volonté exclusive de maître Abdoulaye Wade. Bien sûr que je trouve tout cela inacceptable.

Le Conseil de la République a été supprimé. Le Conseil économique et social est en vue d’être réhabilité... Ne sommes-nous pas là en face d’une fragilisation des institutions ?

J’ai horreur du formalisme démocratique, qui est une grosse hypocrisie. Manipuler la Constitution pour régler des problèmes de politique politicienne, parce qu’on possède une majorité absolue au Parlement, n’est pas un acte républicain ; même si, dans la forme, l’on use de procédures démocratiques. Malheureusement, depuis l’alternance, la classe politique, au pouvoir, nous a habitué à ces gymnastiques d’amendements, de révisions et autres procédures de remise en cause de situations établies. Si l’on n’y prend garde, un jour les politiciens franchiront le Rubicon. Alors, la République disparaîtra et le Sénégal sombrera. Je crois que je ne pourrais pas survivre à cette éventualité. C’est pourquoi le cas échéant, je me battrais avec tous les moyens possibles.

Le front social est en ébullition. Vous attendiez-vous aux manifestations des marchands ambulants, du mercredi dernier ?

Le front social s’embrase à partir d’un fait anodin : le déguerpissement, normal et légitime, d’une population squattant la rue et le centre commercial de Dakar. Cette affaire ne me surprend pas. Lisez cette lettre adressée au Président et parlant de la jeunesse. Dans cette correspondance, en date du 30 janvier 2006, je disais ceci : « Monsieur le Président... Tous les jours, en observant, le matin, le Train bleu et les véhicules de transport urbain, je suis effrayé par l’importance de cette jeunesse qui se déverse sur Dakar, en provenance de la banlieue et parfois de Rufisque et de Thiès. Dès le matin, par milliers, elle occupe les rues et les trottoirs de la ville, à la recherche d’un gain. Ils vendent des objets divers pour récolter quelque argent pour leurs petits besoins, s’adonnant à de menus travaux, surtout dans le bâtiment, et parfois volent pour « survivre ». Cette jeunesse, oisive et sans formation, constitue parfois des bandes de délinquants recrutés par des chefs, longtemps bannis par leurs familles. J’ai peur quand j’imagine les hordes qu’une telle jeunesse désespérée pourrait constituer, et la violence qu’elle pourrait répandre dans des actions désespérées, quand elle constate qu’elle n’a aucun avenir, aucun espoir dans un pays où l’unité de la monnaie est devenue le milliard... Vous devez organiser et développer un projet de grands travaux pour le développement agricole, qui pourrait utiliser des centaines de milliers de jeunes dans la diversification de notre production. A côté de la musique et des sports, il faut offrir aux jeunes des opportunités pour qu’ils tiennent leur place dans la société, en travaillant, en fondant une famille, pour la survie de la Nation. Le Fonds national pour la jeunesse est absolument insuffisant pour la création d’emplois, et la lutte contre la pauvreté des jeunes. Par ailleurs, la migration vers l’Europe n’est pas non plus la solution idéale ? Il faut faire plus, ici et maintenant, pour éviter une catastrophe nationale le jour où ce volcan se mettra en éruption. Les évènements de mercredi dernier sont survenus sur fond d’inflation et de flambée des prix des denrées de première nécessité. Or, la situation économique semble être plus grave qu’on ne le dit, car on ne peut pas comprendre cette idée de fonds de solidarité, pour conjurer l’augmentation des prix et la spirale de l’inflation. Si le Trésor public connaît des difficultés de trésorerie, ce ne sont pas les quelques miettes d’une souscription publique volontaire qui pourraient les résorber. Toutes les ressources publiques, gaspillées par l’Etat et les différents agences, ne seraient pas de trop pour remettre le Sénégal à flot.

Enfin, qu’est-ce qui vous préoccupe le plus, en ces moments de forte demande sociale ?

En vérité, ce qui me préoccupe, ce n’est pas le régime sous Abdoulaye Wade. Je sais qu’il tient à son image mythique, et qu’il fera tout pour que la communauté nationale et internationale reconnaisse en lui le démocrate et le chantre de l’Africanisme, qu’il a toujours été. Lucide, il fera tout pour ne pas franchir le Rubicon. Ce qui me préoccupe, ce sont les manœuvres successorales que l’entourage du Président souhaite qu’il mène avant la fin de son mandat. L’intérêt du Sénégal ne réside ni en Idrissa Seck, ni en Karim Wade. Je suis sûr que Dieu, dans sa miséricorde, montrera la voie de son choix primordial, car IL est le seul DECIDEUR. J’aurais souhaité que le président de la République, dans un vaste mouvement de réconciliation nationale, discutât avec les représentants de toute la Nation, pour remettre en place tout ce que l’alternance a détruit, qu’il trouvât un consensus avec tous, pour concevoir et mettre en œuvre une Constitution plus équilibrée, et mit en place un gouvernement de transition, pour conduire le Sénégal vers plus de développement et plus de démocratie. Ce pays possède tellement de ressources humaines qu’il serait insultant de vouloir décider à la place du peuple. Les Sénégalais peuvent et doivent se désigner un dirigeant honnête, compétent et soucieux du seul intérêt national.

Propos recueillis par Abdourahmane SY, Mame Ongué NDIAYE et Alassane DIALLO



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