COMMENTAIRE DU JOUR - Dépit amoureux ?

Même si des signes annonciateurs étaient devenus de plus en plus visibles depuis quelque temps, le « clash » d’avant Tabaski qui a vu sa Majesté le Roi, Mohammed VI rappeler son plénipotentiaire au Sénégal, l’ambassadeur Moha ould Tagma, a été ressenti avec étonnement et tristesse au Sénégal. Une véritable douche froide, comme le temps qui se rafraîchit en ce mois de décembre finissant, dans les relations jugées jusqu’ici « séculaires et exceptionnelles » entre le Sénégal et le royaume chérifien. Coup de tonnerre dans un ciel que l’on affirmait de part et d’autre, pourtant sans nuages. 

La tension entre les deux pays était cependant perceptible depuis que sa Majesté si fréquente au Sénégal, n’a pas, certainement sollicitée par un calendrier surchargé, « rehaussé de son auguste présence » la prestation de serment de celui qui a rempilé en février 2007, une prestation de serment à laquelle plus d’une dizaine de chefs d’Etat parmi lesquels de véritables monarques « républicains » avaient assisté. S’y ajoute plusieurs impairs qui affectent dangereusement le « business maroco-sénégalais » qui avait été pourtant boosté depuis l’intronisation du jeune roi en juillet 1999 et celle de l’ancien opposant porté au pouvoir en mars 2000 au Sénégal. Air Sénégal international qui a pris du plomb dans l’aile, la Société maritime de l’Atlantique (Somat), l’usine de pharmacie, le Groupe Saabi avec son projet de 11 000 logements qui semblent être devenus de simples mirages dans le désert sahraoui, « partie intégrante du royaume »…

Pour ne citer que ces quelques projets d’un business qui se voulait florissant. Néanmoins, le rappel de l’ambassadeur du Maroc au Sénégal a été seulement décidé pour contribuer à l’analyse « du revirement radical, grave et surprenant de la position de hauts responsables du Parti socialiste sénégalais (Ps) sur la question de l’intégrité territoriale » du royaume chérifien qui n’a « aucune explication supplémentaire à fournir ou clarifications à apporter concernant cette question », ont indiqué samedi 22 décembre dernier des sources officielle marocaines. Après le fracas du rappel de l’ambassadeur marocain ayant entraîné la réciprocité de la part de la partie sénégalaise, on paraît revenir ainsi à des positions « plus diplomatiquement correctes ».

Car, il semblait difficile pour le royaume chérifien de justifier une telle escalade sur la base de la seule sortie, même pas d’un parti politique, mais d’un membre fut-il influent de ladite formation qui se trouve à l’opposition depuis 2000, en l’occurrence l’avocat politicien socialiste, Jacques Baudin. La réaction quasi épidermique des officiels marocains que l’on connaît très sensibles sur les questions d’intégrité territoriale depuis que l’affaire Sahraoui qui ne s’est pas encore dénouée les empoisonne la vie relèverait plutôt, du point de vue de plusieurs observateurs, d’une somme de frustration qu’éprouvent de plus en plus « les alliés marocains » dans le cadre de leurs relations avec leurs « frères sénégalais ». Une réaction qui semble ainsi traduire un véritable dépit amoureux entre deux pays que tout lie jusqu’ici. Même si, fait-on remarquer : de là à réagir aussi brusquement qu’inattendu, il y avait un pas à ne pas franchir au plan diplomatique, qui a été hélas hâtivement enjambé. D’autant plus que la partie sénégalaise qui se trouve à moins de deux mois de l’organisation de son deuxième sommet de l’histoire de la conférence islamique n’a pas manqué d’accuser durement le coup.

On semble néanmoins de part et d’autre revenir, le mouton tabaski digéré, à de meilleurs sentiments. Et jouer la carte de l’apaisement dans des relations façonnées par l’histoire, la culture et la religion. Le Royaume du Maroc a, de tout temps, considéré le Sénégal comme un allié sûr, « auquel il est lié par des rapports exceptionnels et séculaires dont les origines se perdent dans les dédales de l’histoire », écrit un analyste de l’Agence Maghreb arabe presse (Map). Une analyse qui a été mise en ligne hier, dimanche 23 décembre par la Map. Notre confrère marocain y note que « cette alliance s’est davantage renforcée, ces dernières années, qui ont vu la coopération bilatérale se consolider dans tous les domaines, grâce à la clairvoyance et à la sagesse de Sa Majesté le Roi Mohammed VI et du Président Abdoulaye Wade, au bénéfice des deux peuples frères et à la grande satisfaction des deux pays ».

Et selon lui, « le Maroc n’a pas, un seul instant, par le passé, comme aujourd’hui, douté de cette amitié légendaire, ni de l’engagement du Sénégal, avec toutes ses composantes, aux côtés du Maroc, particulièrement en faveur de son intégrité territoriale ». On ne pouvait pas faire mieux en matière décrispation. C’est tant mieux.

On peut cependant déplorer aussi bien l’attitude marocaine trop brusque et si peu soucieuse des conventions et traditions diplomatiques entre deux pays souverains, que celle « en sourdine et pernicieuse » que l’on attribue dans certains cercles qui se veulent avisés, à la partie sénégalaise dans le cadre de certains dossiers qui lient les deux pays. Des rapports entre deux pays ne sauraient souffrir « des coups ». Les « coups » sont peut-être compréhensibles entre deux individus, des groupes d’individus, des sociétés ou alors des milieux où le procédé l’admet, mais difficilement acceptable entre deux nations, deux Etats, deux peuples.