DOCTEUR BAKARY SAMBE POLITOLOGUE : La religion peut constituer une alternative politique »

Le sacré et le profane peuvent bel et bien aller ensemble. C’est ce qui ressort de l’ouvrage « Islam et diplomatie : la politique africaine du Maroc », publié aux Editions Marsam, Rabat, juillet 2010. Le Dr. Bakary Sambe, chercheur à la Fondation européenne pour la démocratie à Bruxelles l’a présenté, hier, à Dakar. C’était sous la présidence des ministres Abdoulaye Diop et Aliou Sow.

Le sacré et le profane peuvent-ils aller de pair ? C’est autour de cette problématique que se déroule la trame de l’ouvrage du Dr Bakary Sambe, « Islam et diplomatie ». Sans verser dans un rapport dialectique, mais plutôt de dualité, le politologue sénégalais est d’avis que le religieux demeure une donnée fondamentale de ces sociétés et influe, encore, sur les autres dimensions de la vie sociale. Dès lors, développe le Dr Sambe, il ne s’agit ni d’une sécularisation des rapports sociaux encore moins d’un renouveau du religieux. « Le sentiment religieux y est intact et peut, sous différentes formes, se manifester sur les autres activités et dimensions de la vie sociale », écrit-il. De ce fait, on ne peut parler d’un « désenchantement » qui signifierait une perte de valeurs ultimes et une libéralisation du croire, mais, plutôt, d’une recomposition perpétuelle du religieux. C’est dans ce sens que le facteur religieux sert de guidance pour notre approche ».

Pour le politologue, le sacré offre d’infinies possibilités pour comprendre d’autres phénomènes relevant du « profane ». Une référence faite à la scission de l’espace social inaugurée par le sociologue Emile Durkheim.

Du point de vue du Dr Sambe, l’âge de la raison avait rangé la religion parmi les choses les plus irrationnelles dans le sens où elle n’avait rien à voir avec une quelconque rationalité. Selon ce schéma, la religion ne rentrait donc pas dans les préoccupations scientifiques. Sur ce plan, la religion était comprise comme une manifestation, parmi d’autres, de la superstition au sens d’obstacle à l’accès à la science et à la philosophie modernes. Ainsi, insiste Dr Sambe, l’utilité fonctionnelle du religieux que nous croyons être au cœur de telles relations trouve son explication dans ce « besoin d’entretenir et de raffermir, à intervalles réguliers, les sentiments collectifs et les idées collectives » qui font l’unité et la personnalité de toute société, selon le schéma durkheimien. D’où l’importance de cette dimension collective du sentiment religieux. Il est l’une des raisons de sa centralité dans l’étude des sociétés traditionnelles ou majoritairement musulmanes qui, à vrai dire, argue le chercheur sénégalais, n’ont jamais subi les conséquences philosophiques ou mentales de la « mort de Dieu ».

La religion comme fait social

Selon l’auteur de l’ouvrage, dans les sociétés arabes et/ou africaines, la religion constitue, encore, un élément d’identification. « Le religieux y garde tout son sens et sa capacité à maintenir le sentiment d’un collectif identitaire basé sur des expériences communes », écrit-il. Seulement, poursuit le chercheur, la seconde rupture due à l’œuvre de Durkheim pourrait être considérée comme un des aspects de la révolte de la sociologie contre ce que Nisbet appelle le « rationalisme individualiste », trait philosophique marquant du XIXème siècle. L’auteur de La tradition sociologique en déduit que le rationalisme d’Auguste Comte s’inscrira dans le cadre d’une pensée profondément religieuse en s’appuyant sur sa « sociologie religieuse ». Cette dernière s’appuie sur les expériences communes qui, selon Joachim Wach, « produisent une force puissante de cohésion et les besoins de protection et de propagation du groupe ». Ces aspects sont largement mis à contribution dans la construction des solidarités à dimension religieuse dans les relations arabo-africaines. « Le cas du Maroc dans ses rapports avec l’Afrique subsaharienne est une des meilleures illustrations d’un tel phénomène », rappelle le politologue. En effet, les sentiments de solidarités unissant les membres des groupes religieux qui produisent son auto-interprétation sont au cœur de cette problématique. Cependant, le Dr. Sambe propose de dépasser l’expression purement culturelle largement promue par l’approche ethnologique. Cela, dans le but d’arriver à saisir le sens des pratiques et des relations sociales qu’elles rendent possibles. Le religieux, comme fait, se dilue dans les rapports sociaux et transgresse les limites méthodologiques d’une scission de l’espace et des faits sociaux en domaines « sacrés » et « profanes ». Les groupes religieux, comme les confréries qui occupent une place centrale dans ce livre, reflètent tous ces aspects et constituent des exemples typiques d’organisations religieuses fondées sur des appartenances communes. Leur place et leur rôle dans ces sociétés font qu’elles représentent des cas illustrant parfaitement les questions religieuses qui peuvent être, en apparence, dénuées de considérations politiques, mais souvent, alternativement politiques. L’important est de pouvoir comprendre, expliquer et évaluer, par rapport aux besoins et intérêts des acteurs, l’efficacité de leurs constructions mentales et de leurs actions.

Le Dr Sambe ne néglige pas pour autant, le caractère hiérarchisé des confréries, en se plaçant sur la perspective wébérienne de la domination charismatique dont elles peuvent être le type idéal.