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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Politique

ENTRETIEN AVEC... Amath DANSOKHO : « Wade est un complexe »

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ENTRETIEN AVEC... Amath DANSOKHO : « Wade est un complexe »

Amath Dansokho refuse que le Pit, son parti, se limite à Maguette Thiam, Sémou Pathé Guèye, Ibrahima Sène et à sa personne. Et quand il évoque le Sénégal, c’est avec amour et les larmes aux yeux. Dans son salon, symbole de la liberté d’expression et de ton, après avoir dégusté un bon plat de thiéboudieune, il revient dans l’entretien, qu’il nous a accordé, sur des sujets qu’il n’a jamais prononcés.

Vous venez de rencontrer avec les autres leaders du Front Siggil Sénégal les représentations diplomatiques, dans le cadre des Assises que vous envisagez d’organiser afin d’obliger le régime à dialoguer. Cette initiative de l’opposition n’est-elle pas une de plus, si l’on considère toutes ses démarches menées depuis 2000 ?

Non ! Si vous observez bien, depuis l’Alternance, nous progressons quand même. Il y a des difficultés, c’est normal ; c’est cela la vie politique. On n’a pas tous les paramètres en main. L’adversaire aussi travaille. Nous sommes, au contraire, dans une guerre de mouvements perpétuels. Abdoulaye Wade ne reste pas coincé. Chaque jour il invente des choses auxquelles personne ne s’attendait. C’est cela sa force.

Mais, apparemment Me Wade fait fi de vos initiatives.

Il ne fait pas fi. Il sait bien qu’il ne peut pas faire fi. (Il insiste) Faire fi ? Il sait ce que les Sénégalais pensent et il n’en doute pas une seule seconde.

Malgré vos appels au boycott, l’Assemblée nationale a été installée et des membres du Front ont participé au dernier scrutin sénatorial. N’est-ce pas là un échec de votre politique ?

(Ferme) Quel échec ? L’échec serait qu’il démontre qu’il a la majorité. Nous avons démontré aux législatives qu’il était minoritaire.

N’empêche l’Assemblée nationale est installée…

Mais, il y a des coups d’Etat ! C’est un coup de force politique. Institutionnellement, elle est installée. Il faut savoir que dans nos sociétés, et même en Europe, on peut faire beaucoup de choses, quand on est au pouvoir. Surtout que chez nous, dans une large mesure, les populations ont une perception sacrée du Pouvoir. Tous les jours dans les radios, dans les sermons dans les mosquées, on dit aux gens de ne pas perdre patience, c’est Dieu qui a donné le pouvoir, c’est Lui qui l’enlèvera.

Qu’est-ce qui explique, selon vous, le mutisme du peuple face à toutes les difficultés qu’il rencontre aujourd’hui ?

Notre peuple est très intelligent ! (il se répète) Il est à l’écoute de ce qui se passe dans le monde et en Afrique surtout. Il ne veut pas d’aventure. Il veut qu’on surmonte la crise sans que cela se traduise par des conséquences dramatiques. Ce que nous avons fait en 2000, c’est rare. Il a été prouvé, en 2000 que l’Alternance est possible. Ils ne sont pas encore arrivés à la conclusion qu’il faut passer à d’autres forces. Les gens ne travaillent pas avec le ventre, mais avec le cerveau.

D’autre part, il faut voir ce qu’il y a dans l’opposition. Il faut plus de cohésion, il faut que le peuple perçoive que l’opposition, ce n’est pas la simple question du pouvoir. D’ailleurs, nous avons une société civile de plus en plus active, compétente, courageuse.

Est-ce que cette montée de la société civile n’est pas le fruit de l’échec des hommes politiques, particulièrement ceux de l’opposition ?

C’est vrai ! Il est clair, si on regarde la façon dont les choses se sont terminées dans la Cpa, cela a dérouté beaucoup de gens. Toute la population avait vécu dans le sentiment que nous allions avoir un candidat unique. C’est un peu, notre faute à tous de n’avoir pas dit très tôt au gens que nous n’allons pas avoir un candidat unique. (L’air grave) A la dernière seconde c’est tombé, cela a dérouté tout le monde.

Est-ce que ce n’est pas la même chose qui se répète au niveau du Fss?

Non, personne ne peut dire qu’il y a des fissures au niveau du Front. Nous sommes des partis politiques, nous ne sommes pas les mêmes. Si nous devions penser la même chose, nous serions dans le même parti. Chaque parti est souverain, pour poser des hypothèses et résoudre certaines questions. Ce qui compte, ce sont les questions sur lesquelles on s’est mis d’accord, qu’on harmonise nos contradictions.

Pour ce qui est des élections municipales, il y a un certain nombre de dissonances, si on considère que l’Afp a déclaré sa participation…

Qui a dit que l’Afp va participer à ces élections ?

Par la candidature de Mme Denise D’Erneville de l’Afp. D’autre part, il a été dit qu’au niveau du Front, les leaders ont décidé que les élus avaient la latitude de juger de leur participation…

Vous avez mal compris. Il y a eu la déclaration de Mme Denise D’Erneville, je venais d’arriver. C’est une dame remarquable à tout égard, très intelligente, très engagée dans la bataille que nous menons. Mais, à ma connaissance, il y a aucune déclaration, aucun texte de l’Afp, ni avant ni après sa déclaration qui parle des municipales. Et je parle avec les dirigeants de l’Afp, ils m’en ont jamais parlé. Et pour ce qui est du Front Siggil Sénégal, c’est Madior Diouf qui a exprimé notre position le lendemain de la déclaration de Mme Derneville. Madior a dit ceci : «Cette question, nous l’avons évoquée, mais nous avons sursis à une décision en nous donnant le temps d’en parler plus tard.» Mais, les réflexions continuent au sein des partis. Chaque parti a le droit de faire sa réflexion.

Comment analysez-vous les départs et retours de Idrissa Seck dans le regroupement de l’opposition ?

Je n’étais pas allié à Idrissa Seck. A la présidentielle comme aux législatives, cela s’est passé autrement entre eux. J’ai une grande admiration pour Idrissa Seck. Cela ne date pas d’aujourd’hui. Il s’était opposé à ce qu’on me vire du gouvernement comme Pape Diop d’ailleurs. Et il l’a répété, lors de l’audience que Wade a accordée à la direction de notre parti. Mais, nous ne sommes pas alliés. Nous ne mélangeons pas les torchons et les serviettes. Maintenant, sur la question électorale, sur le processus nous avons eu à partager un combat, mais j’ai toujours dit que je ne suis pas en alliance politique avec lui. Sur le reste, j’ai déjà dit ce que je pensais. L’histoire des sous, je suis le premier, le seul à l’avoir dit. Je ne reviens pas là dessus. Mais, c’est une parenthèse, cela ne nous a porté aucun préjudice. C’est lui qui est venu, c’est lui qui est reparti.

Est-ce que ses allers et retours, sans une réaction de votre part, ne décrédibilise pas le Front ? Non ! Allez à l’intérieur du Sénégal. Je sais qu’à Dakar, dans certains cercles cela fait mal. Les gens sont faits de chair et de sang. Ils ont des sentiments. Il y a des préoccupations éthiques fondamentales que pose l’action des partis, leur comportement qui trouble beaucoup de gens et qui handicape la crédibilité parfois de l’opposition. Je le sais ! Mais, il ne faut pas s’en tenir là. Nous sommes dans une lutte très longue, ceux qui sont pressés n’ont qu’à renoncer à l’aventure. C’est tout. C’est très facile de faire des jugements à l’emporte pièce.

Au regard de ce qui se passe, 2000 n’était-il pas un accident de l’histoire ?

Non (catégorique), ce n’était pas un accident.

Mais, les conditions étaient réunies…

Avant, 2000, il y a eu combien de coalitions ? C’est moi qui ai inauguré les coalitions avec Abdoulaye Wade, avant même qu’elles ne soient formelles. C’est le Pit. Dès 1977, nous avons invité tous les partis à une table ronde, pour examiner le soutien qu’on peut apporter au Pds qui était le seul parti, à l’époque, capable de faire face à Senghor aux élections de 1978. Et tout le monde a dit non. Ils me disaient que ce type là, il est plus réactionnaire que Senghor. Je vous rappelle les mots : «Il est sale», me disait-on. «C’est une main sale.» Mais nous, on voyait derrière Abdoulaye Wade le peuple sénégalais. Il n’avait pas encore trouvé le Sopi. Le Sopi est venu deux semaines après l’ouverture de la campagne de 1978. C’est Senghor qui lui a mis la puce à l’oreille. Senghor a consacré les 2/3 de son discours d’ouverture de la campagne à And Sopi. Il a sauté sur Sopi et il en a fait son slogan. Ce n’est pas à lui.

Vous avez dit tantôt que le peuple ne réfléchit pas par le ventre. Pourtant, on constate que la stratégie du régime consistant à distribuer de l’argent, à tout vent, marche quand même…

Mais, cela a des limites. Si c’était aussi vrai, la politique de l’argent, il aurait gagné l’élection présidentielle. Il n’a pas gagné les élections (il hausse le ton). Sinon, expliquez-moi ce qui s’est passé le lendemain des élections. Pourquoi tout le pays est rentré en deuil ? Est-ce que c’est la première fois qu’on vote au Sénégal ? Pourquoi, les gens ont eu ce comportement ? Parce qu’ils se sont rendus compte qu’on s’est joué d’eux. Et, c’est ce qu’ils ont réparé lors des Législatives. En commençant par les forces de sécurité. Donnez-moi un seul exemple dans le monde où on a vu l’armée, la gendarmerie manifester son rejet du pouvoir, à l’occasion d’une élection. Et cela se poursuit. Dites-moi un pays où il y a cette situation, comme cela existe avec les magistrats. Les magistrats, au lendemain des élections, ont dit qu’il faut, maintenant, que la séparation des pouvoirs soit respectée, que les magistrats disent la loi, que la corruption cesse en leur sein ! Et vous n’êtes pas à l’abri des surprises.

Quel genre de surprises ?

Les gens prennent leur distance vis-à-vis du régime de Abdoulaye Wade. Tous les grands corps de l’Etat lui tournent le dos. Ils savent à quoi s’en tenir. Qu’est-ce qu’ils ont fait depuis les élections, à part dépenser de l’argent pour une minorité. Qu’est-ce qu’ils ont fait dans le pays ?

Ils construisent des routes…

(Agacé) Quelles routes ? Attendez qu’ils finissent. Des chantiers où ils racontent aux gens tout le temps que l’argent arrive, personne ne voit l’argent. Toutes ces sociétés sont au bord de la faillite. On les a fait travailler, on est allé racler les fonds publics en violant la loi des finances. Maintenant, on a des difficultés pour payer les salaires, la dette intérieure s’est reconstituée ; ce que nous avons oublié depuis 1997. Et les bailleurs de fonds sont en stand by pour voir ce qu’ils vont faire, où est ce qu’ils vont ? Eux, tournent en rond. Il a procédé à combien de remaniements ? Même, la constitution de son cabinet est laborieuse. Il nomme des ministres, leur fonction n’est pas déterminée, ça va en vrille. Où est le décret de constitution du gouvernement ? Ils n’iront nulle part, car ils savent que tout ceci est bâti sur du faux.

Pourtant vous avez de bonnes relations avec Abdoulaye Wade.

J’ai de bons rapports avec tout le monde. Je ne suis pas un haineux. Je reconnais que c’est quelqu’un qui a apporté quelque chose au Sénégal. Je ne suis pas en compétition de pouvoir avec lui. Il m’a appelé neuf fois pour que j’entre dans son gouvernement, j’ai refusé. La dernière fois c’était en novembre avec promesse d’être ministre d’Etat et conseiller en même temps en charge de responsabilités ministérielles. Neuf fois, depuis qu’on s’est séparé, il m’a appelé. En 2003, Idrissa Seck était assis, ici, (il désigne le fauteuil à côté de lui dans son salon) la veille de la formation de son deuxième gouvernement. Il était là. Pape Diop était assis à ses côtés. Pendant trois heures pour essayer de me convaincre, avec cette précision que si tu ne rentres pas dans le gouvernement, il ne sera pas crédible. Mais, je ne peux pas tolérer. Je n’ai rien dans la vie de plus que le Sénégal. (Il s’affale sur son siège et manque de pleurer) Rien, rien que le Sénégal. Rien ne m’amènera à tourner le dos une seule seconde à ce pays.

Avez-vous le sentiment que ce peuple est reconnaissant envers vous pour ce combat ?

Ah oui ! Tout à fait. L’affection dont je bénéficie, je n’envie personne. Ils ont tous plus d’argent que moi. Je suis très fier. Je peux aller n’importe où, personne ne me houspille, personne ne m’agresse. Dans le Pds, j’ai d’innombrables amis. Quand on est allé en prison ensemble, quand j’étais sorti, il y avait l’état d’urgence à Dakar. J’ai violé l’état d’urgence. J’ai parcouru tout Dakar pour leur dire que c’est Wade le Président, il n’y en a pas deux. J’ai enfoncé cela dans la tête des Sénégalais. Son retour de 1998, c’est sur cette table-là qu’on écrit la lettre avec Sémou Pathé Guèye pour qu’il revienne immédiatement participer aux élections. Landing et Bathily m’avaient dit d’écrire la lettre.

C’est nous qui lui avions porté l’appel, pour lui dire de revenir immédiatement, car Abdou Diouf était déjà en campagne et que nous ne pouvons plus attendre. Il nous a fait trop attendre, pendant un an il est allé s’installer là-bas. Et quand il a accepté de revenir, vérifiez cela dans tous les journaux de l’époque, l’appel à Dakar de lui réserver un accueil sans précédent, c’est moi qui l’ai fait. Il n’y a aucun dirigeant politique qui a fait ça. Ni au sein et en dehors du Pds. Et au finish, il y a eu une mobilisation de plusieurs milliers d’individus pour l’accueillir. Nous avons fait cinq heures de l’aéroport à sa maison. Donc, il y a tout cela qui nous lie.

Et pourtant, il vous a fait convoquer à la Dic…

(Il coupe) Oui ! Vous savez, le pouvoir ! A chaque fois qu’il sent que je suis une menace, il fait recours à ce genre de choses.

Le Président Wade vous a accusé aussi de détournement de fonds à la mairie de Kédougou…

(Il coupe encore) Ah oui ! ça, vous savez bien que c’est un pauvre type. Il sait bien que je ne suis pas préoccupé par ce genre de… (Il ne termine pas sa phrase) Et pour cette histoire dont il m’a accusé, c’était une méprise, le pauvre ! Quelqu’un de son entourage, devant tous les notables, lui a dit : «Cesse de raconter des histoires ! Amath n’est pas concerné par une affaire d’argent. Et puis, c’est une personnalité dans ce pays, il faut cesser de raconter des histoires sur lui.» Je vous assure, devant tout le monde ! Il est sorti de là et s’est rendu compte que voilà un gars contre lequel il ne peut rien. Il s’est dit : «Voilà, je vais faire tout pour le salir.» Et puisqu’il y avait un Dansokho qui est effectivement un neveu lointain à moi, qui était dans une agence immobilière ; dans une transaction immobilière, du côté de l’aéroport, il a été l’objet de poursuites judiciaires. Ce Dansokho-là est le fils de son camarade président de la communauté rurale de Dialakoto à 90 kilomètres de Tambacounda. Ici, on lui a dit que c’est un Dansokho qui a fait ça, et lui, il a dit : «C’est Amath !» Allant jusqu’à dire : «Il a fait le lotissement à l’intérieur de l’aéroport.» Mais, comment puis-je faire cela, alors qu’il y a des gendarmes et policiers partout ? ça lui a fait très mal, quand il s’est rendu compte après qu’il racontait des histoires. Abdoulaye Wade est un phénomène hein ! Sur des romans entiers, on ne terminera jamais de parler de lui. Moi il m’avait prévenu. Il m’avait dit : «Amath, moi je ne dors pas de la nuit.» Je lui ai dit : «Mais Abdoulaye, comment ?» Il me répond : «Non je ne dors pas. Je fais seulement une sieste de trente minutes. Toute la nuit, je réfléchis sur ce que je dois faire le lendemain pour emmerder Abdou Diouf.» Et effectivement, tous les jours, il te sortait de ces choses qui faisaient que les gens étaient complètement déroutés.

En novembre dernier, il m’a appelé, et m’a dit : «Amath tu viens. Vraiment, depuis tout ce temps tu as refusé, mais maintenant, il faut rentrer dans le gouvernement.» Je lui ai dit que puisque les conditions n’ont pas changé jusque-là, si j’y vais maintenant, les Sénégalais diront : «Lui aussi est allé à la soupe.» Il (Ndlr : le Président Abdoulaye Wade) m’a répondu : «Amath, il n’y aura personne au Sénégal qui oserait dire ça de toi ! Parce que tout le monde sait que tu n’est pas obnubilé par l’argent.» Abdoulaye Wade sait de quoi je parle. J’ai été avec lui dans un gouvernement. Il y a des gens qui lui demandent de l’argent, mais moi, je ne lui en ai jamais demandé. Donc ce qui est advenu de nos relations, il le sait. Il y a beaucoup de raisons. S’il m’a chassé du gouvernement, c’est parce que je n’ai pas été d’accord avec lui sur des dossiers, comme celui de la corniche. (Il se répète) Parce que pour la corniche, il y a eu des choses dont je parle pour la première fois.

Il y avait de grands projets pour la Corniche. Il a créé une Haute autorité, parce que vous savez que quand il est arrivé, il a créé des hautes autorités partout. Il a décidé de soustraire la haute autorité de la corniche du ministère de l’Urbanisme. Son conseiller juridique français lui a dit : «Mais ce n’est pas possible ! ça c’est une compétence de l’Urbanisme.» Mais puisqu’il y avait beaucoup de sous, il fallait qu’on m’écarte. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai été viré. (Ferme) L’argent devait venir ici (Ndlr : ministère de l’Urbanisme) et que je ne devais pas voir ! Parce que si je suis là, on ne peut pas le prendre n’importe comment. C’est la première fois que je révèle cela. C’est quand je suis parti qu’il a nommé Joe Mbaye comme président du Conseil d’administration de la haute autorité. C’est moi-même qui ai exigé un Conseil d’administration, car lui voulait juste nommer quelques individus à qui le confier. C’est comme les Fonds de la jeunesse, à l’époque, je lui ai dit en Conseil des ministres devant tout le monde : «Comment pouvez-vous confier tout cet argent à Fada et au ministre des Finances ? Des milliards !» Quand même ! Il (Ndlr : le président de la République) s’est levé pour dire : «Oui ! Oui, j’ai compris.» Et il n’en a plus parlé. C’est parce qu’il a créé ce fonds là pour le contrôler lui-même, avec Fada à ses côtés.

Quel lien entre ce fonds de la corniche et celui des travaux de l’Anoci ?

A cette époque-là, l’Anoci aussi était annoncée. Le projet était en marche. Il y a eu des financements, et dès le lendemain, on a fait la porte du nouveau millénaire. Le projet d’aménager la corniche était là. Et le fonds de la construction du Palais de justice aussi, dites-moi où il est allé ? Ce sont des fonds qui étaient bouclés, et qu’il a trouvés ici ! Il a arrêté les travaux. Il a fait disparaître les fonds. Ce sont des fonds dégagés par Abdou Diouf, comme ceux de la Bibliothèque nationale. Mais, je vous dit que le fonds du Palais de justice, personne ne sait jusque-là où Abdoulaye Wade l’a mis ! Ce Palais devait être terminé depuis l’an 2002. Pourquoi la route Kaolack-Tambacounda, on ne l’entreprend pas ? Il avait dit que les travaux allaient commencer en juin. Son Premier ministre lui dit : «Non juin, c’est trop tard ! ça commence en mai.» Mais depuis, personne n’en parle.

Est-ce que ces fonds là aussi auraient disparu ?

(Ferme) Mais oui ! Et on est allé prendre des constructeurs portugais. Les sociétés qui ont pris le risque de travailler avec lui Dakar, en engageant leurs fonds et en achetant du matériel lourd à des centaines de millions, il les laisse là et va donner ça à des Portugais. Je suis pour la compétition, mais pourquoi ce procédé là ? Tout, chez eux, est comme ça ! Ils n’iront nulle part je vous dis (Il insiste). Ils tournent en rond, et nous sommes en train de suivre.

Il se dit depuis un certain temps aussi que les travaux de l’Anoci servent à mettre en selle Karim Wade pour la future succession de son père…

Oui, il y a des gens qui font cette hypothèse. Effectivement, il y a des choses assez bizarres. Mais comme je le dis souvent, je n’aime pas parler de ses enfants (Ndlr : Karim et Syndiély Wade).

Pourquoi cela ?

Je ne veux pas mélanger les torchons et les serviettes. Ce que je récuse, c’est que ce président de la République mal élu décide de lui-même que c’est son fils qui va le succéder. Je suis absolument contre.

Par rapport aux chantiers de l’Anoci, le syndicat des architectes vient de publier un rapport révélant un certain nombre de détournements et de surfacturations dans le cadre de l’exécution de ces chantiers…

Mais, je partage tout à fait ce que les gens ont dit. Je l’ai dit tout à l’heure aux ambassadeurs. Qu’ils sortent les comptes. On avait décidé de mettre en place un Conseil de surveillance avec la Raddho, le Forum civil... Mais ces gens-là n’ont jamais vu de comptes. Je ne sais pas si c’est vrai ou non, mais ce que je sais, c’est que c’est exagéré quand même : «Quatre milliards pour un kilomètre, je crois que c’est exagéré !» Puisqu’ils disent qu’ils ont raison, ils n’ont qu’à sortir les comptes.

Mais Abdoulaye Baldé propose que les gens les laissent terminer pour ensuite se prononcer sur ces questions…

(Il coupe) Mais, Baldé… (Il se répète) Baldé, c’est un plaisantin ! Si les Etats travaillent comme ça, tous les Etats seraient ruinés. Faire le médecin après la mort, c’est-à-dire attendre que les gens aient tout englouti pour ensuite venir contrôler à la fin !

Il est beaucoup question, ces derniers temps, de la refondation du Pds. Pensez-vous que ce parti serait en mesure de survivre à l’homme Abdoulaye Wade ?

Mais c’est pourquoi il a fait le coup d’Etat électoral. L’enjeu de ces dernières élections c’était quoi ? C’est pourquoi, je pense qu’au niveau de l’opposition nous avons manqué beaucoup de perspicacité. Ce qui nous a coûté très cher. Ces élections n’étaient pas ordinaires. Le projet de Abdoulaye Wade, c’était de pérenniser son système. Comment le faire ? Il nous a sollicités, un an avant, les élections pour qu’on lui accorde deux ans seulement, après il va partir. Il y a des gens qui sont rentrés dans le gouvernement sur ces promesses. Je connais des gens qui sont rentrés dans le gouvernement à cause de ça. (Il se répète). Pourquoi il ne voulait pas discuter avec nous. Pourquoi, jusqu’ici, il ne l’accepte pas ? Je connais bien Abdoulaye Wade. Pourquoi n’accepte-t-il pas selon vous ?

(Il élève le ton) Il ne veut pas discuter avec nous parce que sur l’enjeu des élections, il ne peut pas trouver un accord avec nous. Il faut qu’on laisse son régime, son oligarchie qu’il a créé artificiellement avec des ressources publiques, les prébendes en tout genre avec l’argent sale, que ceux-là prennent le pays en main. C’est ça son problème ! Pérenniser son système ! Jusqu’aux élections du 25 février, Abdoulaye Wade traînait un complexe extraordinaire. Bien qu’il se soit séparé de nous, il a toujours eu le complexe que c’est une coalition qui l’a porté au pouvoir. Il refuse parce qu’il sait qu’il ne peut pas trouver de terrain d’entente avec nous. Mais nous l’obligerons à discuter.

Pourquoi ce Sénat ? C’est parce que sa succession va se faire par suffrage indirect. Et ça, il en a parlé dès 2001. Il a dit qu’avec lui, les élections présidentielles maintenant, c’est fini. Il a de la suite dans les idées ! Que ceux qui pensent qu’il déraille se détrompent. Il ne déraille pas du tout ! Les idées fortes qu’il a dans la tête, il les suit systématiquement ! Il essaie, quand il ne réussit pas, il s’arrête et fait mine de reculer. Et tout d’un coup, encore, il surprend tout le monde et repart. L’histoire de l’hôpital Le Dantec et du lycée Lamine Guèye en sont des exemples.

Alors, il croit qu’une fois le Sénat installé, il va accélérer le processus vers sa succession. Avant que des forces ne se cristallisent au sein des institutions croupionnes contre lui. Parce qu’il y aura des genres… (Il ne termine pas sa phrase) Ces institutions-là, vous les verrez crier plus fort que nous. Ils vont se rattraper. Son parti va vers l’implosion. En novembre, Abdoulaye Wade m’a dit : «Oui ! je reconnais que j’ai échoué dans ce domaine. Senghor et Diouf ont réussit à phagocyter, à absorber tous les partis, mais moi j’ai échoué.» Il a proposé à Moustapha Niasse que l’Afp fusionne avec lui, ce dernier a refusé. Quand il a su que Niasse ne jouait pas à son jeu, il a contacté d’autres comme Aj/Pads. Il a demandé à tout le monde. Moi, il ne me l’a jamais demandé parce qu’il sait bien qu’il ne l’obtiendra pas.

Tantôt, vous disiez que l’opposition avait manqué de perspicacité…

(Il coupe) Mais oui ! Parce qu’on n’a pas vu l’enjeu principal. Si on l’avait vu, on aurait tout fait pour avoir cette candidature unique et la tâche serait plus difficile pour lui. En 2002, nous avons fait plus de 40%. Si nous étions unis, nous allions couvrir tout le territoire national. C’était une erreur que de croire que c’était des élections normales comme en France ou ailleurs. Le souvenir de fausser des élections, ça n’existait même plus dans les consciences. Même si on avait eu la chance d’aller au second tour, notre culture politique est-elle assez suffisante pour surmonter les blessures politiques entre les partis en compétition ? Est-ce sûr que dans un deuxième tour, avec la défaite d’un des candidats de l’opposition, les gens vont reporter les voix ? Je suis sûr que beaucoup de militants vont aller voter Abdoulaye Wade. Il faut regarder froidement ce qui se passe…

Par exemple, est-ce que les Progressistes accepteraient de soutenir Tanor Dieng au second tour ?

Moi, je ne suis pas sûr ! Parce que nous n’avons pas fait une sensibilisation suffisante la-dessus. Nous avons travaillé ensemble contre l’ennemi commun, mais pas à replâtrer les blessures. Ce travail n’a pas été fait. J’espère que maintenant nous allons les surmonter. Que tout le monde sera raisonnable. Sinon… (Il ne termine pas sa phrase).

Mais justement, est-ce que des jalons ont été posés au niveau du Front Siggil Sénégal pour régler ces problèmes ?

Ben, je pense qu’on les posera ! Mais en tout cas, il urge que les Sénégalais aient une visibilité complète sur ce que nous voulons faire. Ils savent que nous sommes contre le régime, mais il y a beaucoup de gens qui s’interrogent sur ce que nous voulons faire. Ils disent : «Vous êtes une opposition sans tête, ni queue.» Mais les gens ne veulent pas d’aventure. (Il insiste) Et moi je suis d’accord avec eux qu’ils ne doivent pas accepter d’aventure.

Qu’est-ce qui empêche l’opposition de régler ses contradictions définitivement ?

Nous y réfléchissons ! Moi-même, je ne peux pas répondre à cette question.

Il se dit, d’ailleurs, que les Sénégalais ne veulent plus du régime en place, mais qu’ils ne font pas confiance aussi à cette opposition désunie…

(Catégorique) Oui, effectivement ! C’est ce que je vous ai dit. C’est ce qui a facilité les choses à Abdoulaye Wade. Vous avez vu la campagne. Abdoulaye Wade, je l’ai rencontré un peu partout dans le pays, mais il ne pouvait tenir de campagne nulle part. Le Front a évolué dans le concept des Assises qu’il veut organiser. Au début, c’était pour obliger le régime à dialoguer, actuellement vous parlez de question de survie nationale.

(…) Les fondamentaux de l’économie sont tous au rouge. C’est la Banque mondiale et le Fmi qui le disent. Ce n’est plus maintenant une question électorale, mais de survie nationale. Nous sommes prêts à en discuter, mais de quoi ont-ils peur ? Ce n’est pas une conférence nationale pour le renverser qu’on veut organiser. Si c’était le cas, qu’est-ce qu’il peut faire contre nous. Ce qu’on veut, c’est qu’on s’assied, qu’on fasse le diagnostic, qu’on retienne des solutions ensemble pour confectionner le programme capable de redresser la Nation pour assurer sa survie. Avant, que le pays ne plonge dans des turpitudes aux conséquences incalculables comme c’est le cas dans d’autres pays. Il n’est écrit ni dans le Coran, ni dans la Thora, ni dans la Bible, que si nous continuons comme cela, nous ne connaîtrons pas le sort des autres. J’ajoute que nous ne sommes pas la Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire a dans le sud des plantes, des racines à manger, ici, même l’eau à boire nous ne l’aurons pas si nous atteignons la masse critique. (…) C’est notre pays qui risque de disparaître dans une tourmente qu’on n’a jamais vu en Afrique. Nous n’avons pas les ressources de la Côte d’Ivoire. Gbagbo a payé les salaires du Nord au Sud pendant toute la crise. Personne n’a eu un retard de salaire. Est-ce que nous avons ces moyens ici ? C’est pourquoi, nous demandons de trouver une issue politique à cette crise grave en maintenant notre société sur les rails de la modernité, de la paix civile, de la démocratie et de la liberté. Si on échoue, d’autres forces sont à l’œil avec d’autres solutions. Et je ne suis pas sûr que ce soit des forces qui assureront les libertés et le progrès social.

Revenons sur la vie de votre parti, le Pit. Est-ce que les nombreuses alliances que vous nouez avec d’autres partis politiques n’ont pas fini par user le Pit ?

Le Pit travaille dans tout le pays et joue toujours son rôle. Une fonction éminente de sagesse et de courage. La seule chose que nous n’avons pas, c’est l’argent. Et ce n’est pas à mon âge que je vais aller chercher de l’argent. J’ai confiance. Tout le monde constate la justesse de ce que nous faisons, les Sénégalais se chargeront eux-mêmes de régler la question des ressources.

uand même, au Pit on ne voit que Sémou Pathé, Maguette Thiam, Ibrahima Sène…

Non ! C’est une grave illusion. Nous sommes sur tout le territoire national et dans toutes coalitions qu’il y a eu. Quand il y a campagne électorale, les directeurs de campagne dans les régions, ce sont des membres du Pit. Et aujourd’hui encore, c’est notre réalité.

On n’a pas encore posé la question du pouvoir. Je l’ai dit à Abdoulaye Wade en plein Conseil des ministres. Je lui ai dit que je n’ai jamais parlé de prendre le pouvoir, le jour où il en sera question, je la poserais haut et fort. Les autres n’ont rien de plus que moi. Mais nous sommes concernés par les solutions et nous les cherchons avec la claire conscience de tout ce qui se passe dans le monde et en tirant les leçons de toutes les tragédies commises dans le monde.

Pourtant, certains pensent que vous faites beaucoup de critiques, vous soulevez des questions, mais vous ne proposez pas des solutions.

(Surpris) Comment cela ! Sur la crise du monde rural, donnez-moi un seul parti qui, dès le mois de mars, a proposé des solutions. J’avais dit qu’il fallait un programme alimentaire d’urgence pour les campagnes. Réhabiliter la force de travail des paysans et leur donner les moyens de faire face à la prochaine campagne agricole : c’était fort. Pour l’école, personne n’a fait plus fort que nous sur ces questions. Les gens ne mesurent pas les dangers que nous sommes en train de courir.

Nous avons une richesse ici, à Dakar. Quand Hong Kong devait revenir dans le giron de la Chine populaire, il y a eu des hypothèses de transformer Dakar en seconde Hong Kong, des délégations sont venues ici pour négocier cela. Regardez notre position, elle est extraordinaire. Nous avons un climat, nous avions une démocratie avancée, il suffit simplement de faire de Dakar une grande plate-forme de service de dimension africaine et internationale pour donner à nos jeunes du travail. C’est possible. Il faut cesser d’entretenir une Université qui est devenue une garderie supérieure. Il y a beaucoup d’argent qu’on dépense pour rien. Il faut créer les conditions pour que les étudiants travaillent sérieusement. C’est possible, si on arrête la politique politicienne. D’autre part, il faut que Dakar soit propre. Les études de la Banque mondiale dans les années 80, quand les plans d’ajustement structurel ont commencé, soulignaient que la vocation de Dakar c’est d’être une grande métropole de service. Nous avons des atouts pour cela. On perd notre temps à imaginer des choses extraordinaires en laissant les solutions de côté. Justement, les assises, c’est sur des questions comme cela qu’elles vont porter. Nous sommes au cœur de cette réflexion, à la recherche de solution. Jamais, on est resté dans notre siège pour dire quelle va être la place de Dansokho ou Sémou. Mais on réfléchit sur le devenir du Sénégal et sur ce qui est bon pour lui.



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