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Politique

ENTRETIEN AVEC... Mme Doretta LOSCHELDER, Ambassadeur de la République fédérale d’Allemagne au Sénégal : Les nombreux remaniements ministériels posent des problèmes dans la coopération

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ENTRETIEN AVEC... Mme Doretta LOSCHELDER, Ambassadeur de la République fédérale d’Allemagne au Sénégal : Les nombreux remaniements ministériels posent des problèmes dans la coopération

Le dialogue a été direct, bien qu’enrobé du miel de la diplomatie. Son Excellence Mme Loschelder a beaucoup de sens de la répartie, et ne se laisse pas prendre de court, même par des questions portant sur la nature ambiguë de relations avec, et les responsabilités des partenaires bilatéraux dans les difficultés du Sénégal. Cet entretien, programmé environ un mois à l’avance, n’a pu se faire qu’après l’ouverture des Assises, et l’émoi qu’a provoqué dans les hautes sphères de l’Etat, la présence des diplomates occidentaux à la manifestation. Ce développement demandait des éclaircissements que la diplomate n’a pas esquivés, pour qui sait décoder le langage diplomatique.

Sur la crise alimentaire, on n’a pas entendu la position de l’Allemagne.

La crise alimentaire sévit dans plusieurs pays du monde. Naturellement, certains comme en Afrique, sont particulièrement touchés, et pour plusieurs raisons. Au Sénégal par exemple, on sait qu’il y a eu l’année dernière, de mauvaises récoltes, du fait de la faible pluviométrie. Mais il y a d’autres raisons, également. D’une part, la demande s’est accrue, et certains pays exportateurs ont décidé d’arrêter leurs exportations. La situation de la Birmanie, où les récoltes ont été détruites, a joué aussi. Les biocarburants, de même que la spéculation, ont également contribué. En fait, toute une gamme de raisons a fait que les prix ont augmenté. Mais il faut aussi dire que, depuis plusieurs années, en Afrique, plusieurs pays n’ont pas fait l’effort de développer leur agriculture. Ce n’était pas non plus, tout à fait, la priorité des bailleurs de fonds.

Maintenant, il y a des gens qui pensent que cette situation difficile, même tardivement, remet l’agriculture au cœur des préoccupations. En ce qui concerne l’Allemagne, il y a eu récemment, une somme spécifique consacrée à l’aide alimentaire pour les pays du Sahel. Mais il faut noter que cela vient en plus de la participation de l’Allemagne à différentes organisations internationales. Nos contributions aux organisations du système des Nations-Unies n’ont jamais cessé.

En ce qui concerne le Sénégal, nous révisons notre coopération tous les deux ans. Mais comme on ne peut pas être actifs partout, nous nous concentrons, en accord avec les programmes établis par le gouvernement, dans quelques domaines précis. Ce n’est pas spécifiquement l’agriculture, mais il y a des volets comme la Casamance, et l’aide alimentaire. Bien que, dans ce domaine, comme le président Wade l’a dit, il ne s’agit pas seulement d’apporter de l’aide, mais il faut aussi essayer de voir comment on peut améliorer l’agriculture. En Casamance, nous avons déjà commencé un volet, qui porte sur l’amélioration des digues, pour empêcher que l’eau salée envahisse les rizières. Cela est aussi une contribution à l’agriculture. Dans le cadre de projets de décentralisation, on construit aussi des pistes rurales, parce qu’il y a des difficultés d’écouler des produits agricoles dans certaines zones. Ce sont des contributions, même si c’est vrai que nous n’avons pas de projets ciblés agriculture, uniquement.

Sur les critiques du président Wade à l’endroit de la Fao, quelle est la position de l’Allemagne ?

Globalement, toutes les organisations internationales ont tendance à accroître leur administration. C’est un sentiment généralement partagé, et je me souviens qu’il y a un an environ, il y a eu un audit, que M. Diouf a même commenté, et reconnu ce qui a été dit, à savoir qu’il fallait réduire la trop grande place de l’administration, et ce faisant, les coûts aussi. Mais vous savez, dans le cadre de la réforme du système des Nations-Unies, il y a des propositions pour mettre certaines organisations ensemble. Pour ce qui est de la Fao, je ne suis pas en mesure de dire où elle travaille ici. Mais je me souviens que quand j’étais en poste au Congo Kinshasa, ses agents étaient assez actifs sur le terrain, dans le domaine de l’agriculture. Néanmoins, sur cette question, je n’ai pas entendu que l’Allemagne a pris une position articulée, et je ne sais même pas s’il y a une position en la matière. Mais c’est une opinion partagée qu’il faut des réformes, et je crois que l’audit réalisé était un bon pas dans ce sens.

L’Allemagne est un pays avancé dans les énergies renouvelables. Quelle est votre position sur les biocarburants ?

Récemment, quand la Chancelière était au Brésil, les biocarburants étaient à l’ordre du jour, comme le Brésil est un des pays les plus impliqués dans ce domaine. Et contrairement à ce que les gens disent souvent, il y a en la matière, deux faces de la médaille. Quand on produit du gazole à partir des produits alimentaires, on ne peut pas manger. Et découper des forêts, cela risque d’appauvrir les sols. Donc, d’une part, les biocarburants sont peut-être bons pour la préservation de l’environnement, mais le fait de couper des forêts à grande échelle est néfaste à ce même environnement. Mais, dans le cadre des énergies renouvelables, vous l’avez dit, l’Allemagne a quelque chose à donner. Et nous avons ici, dans le cadre des projets de la Gtz, le projet Peracod, qui travaille sur l’énergie solaire et, l’éolienne, dans une moindre mesure. C’est l’une des choses qui nous frappe, quand on arrive dans un pays comme le Sénégal, qui est très favorisé dans ce domaine, et on se demande pourquoi on n’utilise pas beacoup plus cette possibilité qui vous est donnée, pour développer des industries par exemple. C’est vrai que les prix du matériel sont quand même assez élevés, mais dans un environnement où les prix du pétrole ne cessent de monter, il arrivera peut-être un moment où on trouvera plus rentable de mettre en place ces installations.

L’Allemagne a contribué à l’acquisition du bateau Aline Sitoe Diatta...

Dans cette affaire, vous avez suivi les développements comme tout le monde. Quand nous sommes allés pour l’inauguration du bateau, le Président lui-même a rappelé que lorsqu’il y a eu cette catastrophe, l’Allemagne s’était engagée à financer une grande partie du bateau. D’abord bilatéralement, et à travers la Banque européenne d’investissement. Sur le plan bilatéral, c’est, je crois, 10 millions d’euros, et à travers la Bei, c’est 2 millions. Et nous nous sommes aussi engagés surtout, pour aider au désenclavement de la Casamance. Parce qu’après le naufrage du bateau, il était nécessaire que la Casamance soit reliée au reste du pays. Et par rapport à la catastrophe qui venait de se passer, la préoccupation majeure était la sécurité du navire. Et c’est d’un commun accord, avec la partie sénégalaise, que l’on avait décidé de confier la gestion du navire à un opérateur marocain. Cela a commencé par la gestion du bateau «Le Willis», que l’opérateur a géré pendant environ deux ans. Et il s’en est bien tiré, parce qu’il faut dire qu’après cette catastrophe, beaucoup de gens hésitaient à mettre le pied sur un bateau. Moi y compris, je dois le dire. Mais le gestionnaire a réussi à rétablir la confiance dans l’utilisation du bateau, du fait de sa compétence.

Et puis il y a eu cette décision unilatérale du gouvernement sénégalais, de changer de gestionnaire. Quand le Président a annoncé cette nouvelle lors de l’inauguration, cela a été une surprise pour nous. D’autant plus qu’au moment où le président donnait l’information, la nouvelle société de gestion n’existait même pas. C’est seulement après qu’elle a été mise en place. C’était une entreprise neuve, et dont on ne savait absolument rien, parce qu’elle n’existait pas encore, et par conséquent, n’avait pas pu avoir le temps de développer des compétences. Au début, quand ils ont pris la gestion du bateau, il y a eu des difficultés dans le démarrage. On n’avait pas non plus une idée sur leur capacité financière, puisque la société n’était pas encore composée, ni s’ils pouvaient assurer la maintenance du bateau dans le temps. Il y a quatre ou six semaines, une commission d’experts est venue ici pour se faire une opinion sur ce gestionnaire, et son rapport est encore en cours d’évaluation. Cela a été nécessaire parce que, avec ces doutes, la Banque européenne d’investissement n’a pas voulu débloquer le prêt. Mais, et je tiens à le souligner, le Sénégal est libre de décider de qui va gérer le bateau. Mais ce n’était pas en harmonie avec les accords, qui exigeaient que l’on se mette ensemble pour réfléchir avant tout, et que ce ne soit pas une décision unilatérale. Mais cela étant fait, c’est de la responsabilité du Sénégal de voir que la première préoccupation que nous avons eue, et qui nous a conduit à choisir le premier gestionnaire, c’est cette question de la sécurité. Maintenant, c’est au gouvernement de veiller à ce que ces conditions soient toujours remplies.

Les autorités sénégalaises se sont-elles approchées de vous pour… disons, répondre à vos inquiétudes ?

Il y a eu le comité technique, et on ne peut pas dire qu’elles étaient contre. Au contraire, car, du fait du prêt, la Banque européenne d’investissement a tenu à ce qu’il n’y ait pas de questions sans réponse. Mais on sait, comme le Président l’a dit, qu’après la tragédie, la sécurité doit être la priorité des priorités.

Existe-t-il dans la coopération entre l’Allemagne et le Sénégal, de mécanismes d’évaluation qui permettent d’éviter des situations comme celle-là ?

Il y a les consultations et, tous les deux ans, il y a les négociations. Cela, c’est des mécanismes normaux ; hors de cela, comme avec le bateau, il y a eu des entretiens. Malheureusement après la décision unilatérale, parce que, selon les termes des accords, on aurait aimés être avertis et consultés bien avant. Je pense qu’entre partenaires, on aurait pu être avertis bien avant, de la décision de changer de gestionnaire. Bien entendu, cela nous est égal que le gestionnaire soit Français, Marocain ou Sénégalais. La seule préférence que nous avons, est qu’il garantisse la sécurité. En dehors de cela, il y a dans tous les projets, des groupes de travail, même avec des ministres.

Mais il faut dire aussi que, comme il y a eu beaucoup de changements de ministres au cours des années, cela pose des problèmes dans la continuité de la coopération. Néanmoins, on ne peut pas dire que l’on ne se parle pas en dehors des négociations. On est en contact à différents niveaux, même si on pourrait encore améliorer ces contacts. Mais je reconnais la difficulté du gouvernement du Sénégal, avec tous les bailleurs de fonds, chacun avec ses propres conditions, cela peut parfois aussi être très dur pour le gouvernement sénégalais.

Après la sortie du représentant du Fmi sur la gestion des finances du pays, on a entendu des experts sénégalais qui ont accusé les partenaires de complicité parce qu’ils sont restés silencieux.

Complices, je ne sais pas dans quelle mesure. Le Fmi a déclaré qu’en 2006, l’Etat a dépensé beaucoup d’argent, dans les subventions, mais aussi, du fait de l’approche des élections. En 2007, l’Etat a essayé de prendre des mesures. 2006 a été l’année la plus critique, mais bien sûr, cela prend du temps pour réparer les choses. Je pense aussi que dans cette coopération, on doit parfois essayer d’être plus clairs. Et là, tous les bailleurs de fonds ont des réticences à parler. Pour moi, la manière dont M. Segura (le représentant du Fonds monétaire international : Ndlr) s’est exprimé, est une première, mais c’est une bonne chose. Mais je suis sûr que tout ce qu’il a dit dans l’interview, il l’avait déjà dit au gouvernement. Bien sûr, les autorités pourraient, peut-être, ne pas apprécier qu’il l’ait fait aussi dans une interview. Et sur ce point, même s’il y a maintenant des critiques, je pense que cela a été aussi salutaire, parce que le gouvernement est maintenant en train de prendre des mesures. C’est aussi un bon signal pour le secteur privé, qui se rend compte que cela bouge un peu, dans la volonté de payer les arriérés.

Si en plus de M. Segura, tous les bailleurs et tous les partenaires prenaient la parole publiquement, cela n’aiderait-il pas plus le gouvernement ?

Lors de la table ronde de Paris, les bailleurs de fonds et le gouvernement s’étaient mis d’accord pour se retrouver régulièrement. Et cela a commencé, même si on peut améliorer encore un peu ce dialogue, et être encore un peu plus francs, parfois. Mais cela a commencé. La première fois, cela n’était pas trop bien, parce que l’on a reçu l’invitation presque à terme, et on n’a pas eu le temps de se préparer. La seconde fois, je n’étais pas sur place et je n’ai pas participé, mais j’ai entendu que les choses se sont nettement améliorées. La prochaine fois, qui sera pour bientôt, et si nous sommes concernés, je suis tout à fait prête à être plus précise (Rires).

Pour l’être déjà, dans le contexte actuel des difficultés socio-économiques, la situation du Sénégal vous semble-t-elle aller dans la bonne direction ?

En ce qui concerne les infrastructures, il y a certainement une amélioration. Il faut aussi dire que le réseau des communications ici est très bon, comparé à d’autres pays. Un sujet qui est récurrent est celui de l’environnement des affaires. Et là, je crois qu’il faut encore améliorer. Je me suis demandé, quand on a eu des problèmes avec la gestion du bateau, si ce genre de choses ne sont pas un mauvais signal pour des investisseurs. Par exemple, avec le chantier naval qui a gagné l’appel d’offres pour la fabrication du navire, et qui voit toutes ces difficultés, les choses qui traînent pour rentrer dans ses fonds. Tout cela est un signal que dans ce domaine, il faudrait faire encore plus d’efforts pour favoriser les investissements.

Autre chose, mais je ne sais pas comment le gouvernement pourrait régler ce genre de choses. Il y a une grande part à la construction, ici. Quand on revient de voyage, on a l’impression qu’il y a encore plus de bâtiments. Mais ce n’est pas productif ; bien sûr, cela fait des emplois, temporaires, et c’est lucratif pour les propriétaires. Mais pour l’économie, il n’y a pas un grand impact. Et dans cette période de mondialisation, les gouvernements, et pas seulement le gouvernement sénégalais, doivent faire de la prospective et réfléchir à des domaines où ils ont plus de compétitivité que d’autres. Et chaque pays a certainement un domaine où il pourrait faire des choses. Comme ici, dans le tourisme, je crois que l’on pourrait faire beaucoup mieux.

Les Assises nationales se sont ouvertes à Dakar. Avez-vous reçu une invitation ?

Oui.

Avez-vous participé ?

L’ambassade a participé.

La presse a annoncé qu’il y aurait eu des pressions pour empêcher la participation des représentations diplomatiques étrangères. Cela a-t-il été le cas pour vous ?

Vous avez dû voir dans la presse, et même à la télévision, il y a eu plusieurs commentaires officiels sur les Assises, avant même que les Assises ne se tiennent, et c’était assez clair. Mais on a reçu cette invitation, pour une conférence, pas seulement des partis d’opposition, mais aussi des membres de la Société civile. Il y avait des personnalités éminentes, et normalement, selon les règles internationales, c’est aussi le travail des diplomates de s’intéresser à des discussions de ce genre. Et en plus, je trouve difficile d’imaginer, dans une situation où il y a une grande partie de la société civile qui s’intéresse à un problème et s’interroge comment trouver des solutions, je trouve difficile de ne pas répondre. Je pense que c’est un bon signe.

Est-ce cette recherche de solutions qui justifie la participation de l’Ambassade ?

Non. De manière générale, le fait que l’on reçoit une invitation à une manifestation, à une conférence est intéressante. Et devrait intéresser les diplomates qui voudraient s’informer. Imaginez par contre que l’Ambassadeur du Sénégal en Allemagne reçoive une invitation d’un parti d’opposition- bien qu’ici ce n’était pas seulement les partis d’opposition- et qu’il y va, personne au gouvernement allemand ne va penser que c’est autre chose que son droit de chercher à s’informer. C’est à lui uniquement de décider si c’est intéressant ou pas, mais c’est une décision qui incombe au diplomate, tant que la manifestation n’est pas illégale. Et ici, ce n’était pas illégal, donc, je ne vois vraiment pas de problème.



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