Jeudi 18 Avril, 2024 á Dakar
Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Top Banner
Politique

L’ADMINISTRATION SENEGALAISE : A l’épreuve de la rationalité

Single Post
L’ADMINISTRATION SENEGALAISE : A l’épreuve de la rationalité

L’administration sénégalaise a-t-elle été désertée sous le magistère libérale par la rationalité qui la caractérisait pourtant. Jadis citée en exemple, elle est devenue l’ombre d’elle-même. En effet, démontre ici Abdoul Aziz Tall, l’ancien du Bureau organisation et méthode (Bom) si « une Organisation dépense sans explications convaincantes, plus de 300 milliards de Fcfa pour construire quelques trois ponts et moins de 20 kilomètres de route dans la capitale, on ne peut parler d’efficience » en ce qui la concerne. « Et si elle ne livre pas les travaux d’infrastructures et d’hôtels à date échue, elle n’aura pas fait preuve non plus d’efficacité ». Cela semble assurément être le cas aujourd’hui pour notre administration qui peine à faire convoyer moins de 5000 pélerins à la Mecque, à organiser dorénavant une campagne agricole sans grands couacs, à fournir service public simplement.

I) L’Administration Publique, fondement de L’Etat.

L’Etat désigne l’ensemble des institutions et des services qui permettent de gouverner et d’administrer un pays : les Assemblées, Ministères, Directions, Délégations, Administrations déconcentrées ou décentralisées sont les principales composantes de l’Etat.

L’Etat est le fondement de la Nation, laquelle se définit par une communauté humaine ayant conscience d’être unie par une identité historique, culturelle, linguistique ou religieuse. En tant qu’entité politique, la Nation, qui est un concept né de la construction des grands Etats européens, est une communauté caractérisée par un territoire propre. Elle est la personne juridique constituée d’individus régis par une même constitution. Le fondement et la pérennité d’un Etat résident dans la qualité de son Administration, tant il est vrai que la manière dont fonctionne une Administration constitue un puissant indicateur du niveau d’organisation et de développement d’un pays. Aux Etats-Unis d’Amérique par exemple, le terme « Administration américaine », renvoie à cette organisation imposante et bien articulée, en quête permanente d’efficacité et d’efficience. Elle est l’expression de la garantie du droit des citoyens et du respect des fondements de la Démocratie. Au reste, la crise financière qui affecte actuellement le monde montre une fois encore, que cette Administration demeure l’ultime recours, pour toutes les composantes de la société qui sont en proie à des menaces ou qui éprouvent des difficultés majeures.

Partant du principe que l’Administration est donc le soubassement de l’Etat, les sociétés humaines se sont toujours investies pour la rendre aussi performante que possible. C’est dans ce constat là, qu’il faut trouver l’explication à la tendance de plus en plus marquée aujourd’hui, de l’introduction des techniques modernes du Management dans les Administrations publiques, un peu partout dans le monde.

II) Evolution de la relation entre l’Administration publique et le Management

Il apparaît manifestement que l’origine et la pratique du Management, avec comme objectif la recherche de l’efficacité et de l’efficience, remontent aussi loin que l’existence des organisations humaines. En effet, les auteurs qui ont étudié l’évolution historique du Management sont formels : « le phénomène n’a pas été découvert ni aux Etats-Unis, ni récemment ».Les pyramides érigées en Egypte, il a de cela plus de 4000 ans, l’Empire Romain qui date de milliers d’années, et plus près de nous les Empires de Samory Touré, Soundiata Keita, Cheikhou Oumar Foutiyou Tall, nous ont offert des modèles achevés de pratiques managériales dont l’étude reste aujourd’hui encore d’un grand intérêt.

Les différents leaders à la tête de ces sociétés humaines, avaient une connaissance poussée des notions et de la pratique de la division du travail, de la spécialisation, de la gestion du temps, de la planification et de la gestion des ressources humaines et matérielles. Et ce sont ces mêmes notions qui sont au centre des études et de la pratique du Management moderne. Au demeurant, et il faut bien en convenir, de nos jours, c’est en Amérique du Nord que le Management a le plus systématiquement évolué au plan de la théorie et de la pratique.

Une Administration, qu’elle soit publique ou privée, se doit donc d’obéir à l’application de normes de rationalité, si elle aspire à devenir performante. C’est pour cette raison que l’on utilise de plus en plus le concept de sciences administratives qui trouve son fondement sur des préoccupations d’efficience et d’efficacité.

L’efficience se rapporte à l’économie dans l’utilisation rationnelle des ressources, alors que l’efficacité s’apprécie au degré de réalisation des objectifs. C’est le ratio de transformation des attentes en atteintes comme le définit du reste P. Drucker. A titre d’illustration, Si une Organisation dépense sans explications convaincantes, plus de 300 milliards pour construire quelques trois ponts et moins de 20 kilomètres de route dans la capitale, on ne peut parler d’efficience. Et si elle ne livre pas les travaux d’infrastructures et d’hôtels à date échue, elle n’aura pas fait preuve non plus d’efficacité.

L’exigence de rationalité dans une organisation doit obéir également à la possibilité de mesurer le niveau d’activités de chacune de ses composantes, avant de dégager les moyens nécessaires à la réalisation des objectifs qui lui sont assignés : moyens humains, matériels et financiers. Il y a donc des ratios sur lesquels le Manager doit veiller scrupuleusement, afin d’éviter tout déséquilibre préjudiciable à la qualité du fonctionnement de son organisation. Une autre exigence de rationalité est de tenir compte de l’adéquation du profil des agents par rapport aux postes qu’ils occupent : c’est le volet humain, communément appelé Gestion des Ressources Humaines.

L’absence ou le non respect de toutes ces bases de rationalité, conduisent forcément à une gestion informelle, qui se manifeste par l’improvisation, le tâtonnement et le viol des règles et des procédures administratives. C’est ce constat amer qui s’impose lorsqu’on jette un regard critique sur le fonctionnement de l’Administration sénégalaise.

III) L’administration sénégalaise à l’épreuve de la rationalité

Le Sénégal compte aujourd’hui seize (16) ministres d’états, et non quinze, (15) comme récemment rapporté par la presse. En effet, en plus des douze (12) ministres d’Etat qui sont dans le gouvernement, trois (3) autres sont rattachés auprès du Président de la République, en plus Directeur de cabinet de ce dernier, lui aussi ministre d’Etat.

Si la question nous était posée de définir ce qu’est une armée de généraux, nous n’irions sans doute pas aller chercher très loin : la référence au Gouvernement sénégalais en est une parfaite illustration. Un record qu’on pourrait certainement faire figurer dans le livre des Guinness. Mais un record dont se passerait bien un pays classé parmi les plus pauvres du monde. Tout porte à croire que jamais dans l’histoire de notre pays, l’Administration sénégalaise n’a été aussi hypertrophiée, banalisée et démythifiée comme en atteste les constats que voici :

 Les décrets portant répartition des services de l’Etat, présentent des incohérences qui heurtent les esprits les moins avertis.
 Le nombre d’agences a largement dépassé celui des ministères.
 Les attributions des ministères ont été vidées au profit de ces mêmes agences, si elles ne font pas double emploi avec celles-ci.
 La création et le développement de structures n’obéissent presque plus à aucun critère de rationalité : le nombre de ministères, l’érection des postes au rang de Secrétariat Général, de Direction Générale, de Direction, de DAGE, ou de SAGE, de division ou de bureau, ne sont plus conformes aux normes et principes de la rationalité administrative.
 Au plan de la Gestion des Ressources Humaines, des promotions sont accordées à des agents, sans corrélation avec le profil académique et/ ou le parcours professionnel des promus : le Président de La République a nommé une de ses militantes au poste de Ministre, en pleine séance d’une réunion de son parti, donc dans un cadre strictement privé. Et comme si ce viol à l’orthodoxie ne suffisait pas, il affirmait sans sourciller, devant une assistance médusée où se trouvait son propre Premier Ministre, que si la dame en avait les aptitudes, c’est elle qui serait nommée à sa place. Un bel exemple de démythification des fonctions de ministre et de Premier ministre !
 Cinq Premiers ministres et d’innombrables remaniements, symboles de tâtonnement et d’improvisations institutionnelles, qui ont fini de provoquer l’indifférence totale des Sénégalais

Voila quelques exemples qui figurent sur un catalogue dysfonctionnements qui hélas est loin être exhaustif, et qui illustre l’état d’une Administration qui naguère, fut pourtant respectable et crédible, au point de faire du Sénégal, le principal centre de formation des fonctionnaires des Etats naissant d’Afrique francophone. Cette même Administration qui, sous l’impulsion du génie de Senghor et du sens élevé de l’Etat de Diouf, a secrété le Bureau Organisation et Méthodes, créée l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature (ENAM), le Centre de Formation Professionnelle et Administratif (CFPA), la Commission de Rationalisation des Structures et de Emplois Publics (CORASEP), la Cellule de Contrôle des Effectifs et de la Masse Salariale (CCEMS) et tant d’autres organes de renforcement des capacités managériales de l’Etat. Il n’est pas inutile de rappeler brièvement, tous les efforts engagés par le passé, dans la mise en place d’un cadre institutionnel pour faire appliquer les politiques de rationalisation de l’Etat. Cette démarche renseigne éloquemment, sur l’évidence de la nature et de l’ampleur des reculs notés dans ce domaine, du fait des viols et ou du non respect des règles et procédures en matière de sciences administratives par les tenants de l’actuel régime.

Auparavant, il serait utile de rappeler la relation qui existe entre la prolifération des structures, et l’augmentation des dépenses budgétaires de l’Etat. En effet, la création et l’aménagement des structures développent des ramifications multiples en terme de moyens nécessaires, pour assurer un fonctionnement normal des services. En particulier les incidences budgétaires directes qu’elles impliquent :

 Création de postes, indemnités, charges sociales ;
 Renforcement des activités de soutien : administration générale, secrétariat ;
 Allocations de moyens matériels indispensables et de crédits pour leur fonctionnement : véhicules, mobiliers de bureaux, locaux.

Dans chaque ministère crée donc, l’organigramme constitue la description physique des ressources humaines, alors que le budget en est la description financière. D’où la nécessité d’harmoniser et de faire correspondre cette relation biunivoque entre les deux outils.

La volonté de l’Etat de lutter contre toute forme d’abus en matière de création et de développement de structures, et de traitement arbitraire de ses agents, s’était traduite par la mise en place d’un certain nombre d’institutions qui avaient entre autres missions, d’assurer la police de l’organisation administrative, et de veiller à l’application des règles qui régissent le personnel des secteurs publics et parapublics.

IV) Cadre institutionnel des politiques de rationalisation de l’Etat avant l’an 2000

Les attributions dévolues à deux organes de ce cadre méritent d’être rappelées. Il s’agit de : La Commission de Rationalisation des Structures et des Emplois Publics (CORASEP) Cette commission était spécialement chargée :
 de participer au développement des travaux relatifs à la réalisation et à l’utilisation des organigrammes par :

  • le contrôle de l’élaboration et de la mise à jour des organigrammes,
  • la conception et l’utilisation des fiches de postes dans la gestion du personnel,
  • la recherche d’une meilleure articulation entre le budget et les organigrammes,
  • la définition et la mise en œuvre de procédures permettant d’apprécier les conséquences budgétaires des projets de réforme de structure.
  • d’une manière plus générale, de préparer et de coordonner les travaux effectués dans le domaine de la rationalisation des effectifs et de suivre leurs applications, notamment en ce qui concerne l’établissement de critères d’appréciation pour les créations d’emplois.

La CORASEP était devenue un interlocuteur privilégié des pouvoirs publics dans les domaines d’adaptation des personnels aux structures et aux activités. Elle avait recommandé que tout projet de décret créant ou développant une structure soit accompagné d’une évaluation aussi rigoureuse que possible des coûts occasionnés par la mise en application de ces nouvelles structures, et d’une présentation quantifiée des réalisations nouvelles attendues. Elle effectuait chaque année un examen systématique des organigrammes des ministères.

Son visa était requis sur le document qui doit être présenté lors des conférences budgétaires. En d’autres termes, pour que le budget du ministère soit approuvé il fallait que la CORASEP donne son visa. Elle avait élaboré des fiches de postes offrant une image analytique de chaque structure et qui permettaient d’avoir une meilleure adéquation entre les structures et les moyens. Les fiches de postes renseignaient également sur le nombre et le niveau des postes de travail, de même que sur le profil nécessaire pour le titulaire du poste (c’est la qualification de l’agent par rapport aux exigences du poste).

C’est dans ce cadre, et dans le souci d’uniformiser la présentation des organigrammes, que le Bureau Organisation et Méthodes (BOM) avait élaboré un document intitulé : Eléments de méthodes sur l’organisation des structures administratives que devaient désormais adopter les organigrammes de tous les départements ministériels .On peut dire en résumé, que la CORASEP avait défini des principes de fonds auxquels devaient se référer les responsables de l’élaboration ou de la reforme des organisations.

La Cellule de Contrôle des Effectifs et de la Masse salariale (C.C.E.M.S.) Elle avait pour mission d’assurer le contrôle des effectifs et de la masse salariale du secteur public et parapublic. Placée sous l’autorité directe du Secrétaire Général de la Présidence de la République, elle comprenait entre autres les représentants des Ministères chargés de l’Economie et des Finances, de même ceux de la Fonction Publique et du Travail. Sa tâche principale était d’effectuer le recensement précis des effectifs et le contrôle de la masse salariale. Figurait également dans sa mission, l’établissement des projections des effectifs et de la masse salariale fondées sur les politiques existantes, tenant compte des entrées et des sorties du personnel, des glissements catégoriels, et des conséquences sur la masse salariale des changements des conditions de rémunération.

L’application des politiques de la cellule de contrôle des effectifs et de la masse salariale avait permis entre autres, la limitation du taux de croissance annuelle des effectifs, le contrôle des entrées dans la Fonction Publique par le biais des écoles nationales de formation, le contrôle du recrutement des non fonctionnaires, la remise à jour du fichier du personnel de l’Etat, la limitation de la masse salariale par le contrôle de toute mesure administrative à incidence financière.

Le Bureau Organisation et Méthodes (B O M), qui faisait également partie du dispositif institutionnel, assurait le secrétariat permanent de ces deux organismes, en plus de ses attributions propres, de Bureau d’études au service du Président de la République.

Les ruptures et le peu d’intérêt manifestés par l’Autorité actuelle par rapport aux politiques de rationalisation, ont fini par affaiblir, voire discréditer l’Administration, comme en attestent les signes prémonitoires de sa déliquescence.

V) Les signes avant-coureurs de l’affaissement de l’Administration sénégalaise

En tenant compte de cette réalité de l’articulation entre le découpage de l’administration et le budget, et au regard du nombre de départements ministériels qu’il y a aujourd’hui au Sénégal (près d’une trentaine), il est évident que ces préoccupations de rationalisation semblent bien loin derrière nous. Dès lors la question n’était plus de savoir s’il y aurait des dérapages budgétaires, mais à jusqu’à quelle hauteur ils allaient se situer.

Un de nos ministres se félicitait il y a juste une semaine, que son département était passé de 3 à 15 directions, et que son budget avait été multiplié par 3 au cours des 8 dernières années. Pour tout observateur averti, une telle déclaration est l’expression la plus évidente d’un aveu, de la dérive anarchique qui règne aujourd’hui dans la création de structures et des emplois au sein l’administration sénégalaise. Il y a de cela quelques années les attributions de ce même Ministère étaient rattachées à un autre département qui faisait moins de cinq Directions, dans un souci de rationalité. L’argument selon lequel les missions doivent évoluer, ou que c’est pour marquer l’importance accordée à ce secteur que l’on crée autant de structures, n’est pas forcément recevable. A l’image de la plupart des services de l’Administration, ce département hypertrophié souffre d’une léthargie presque totale. Au surplus, la prééminence accordée à un département ministériel ne se mesure point au nombre de structures créées en son sein. Un accroissement du nombre de structures peut même être à l’origine d’une totale confusion dans le processus de coordination de leurs activités.

Le ministère de l’Urbanisme, de l’Habitat, de l’Hydraulique urbaine, de l’Hygiène publique et de l’Assainissement a hérité de près d’une vingtaine de directions, du simple fait d’une juxtaposition de structures qui existaient auparavant dans des départements ministériels qui ont été fusionnés.

Aujourd’hui le secteur de l’enseignement ne compte pas moins de cinq ministères. Il est en plus victime d’une instabilité institutionnelle devenue presque chronique.

Ces trois exemples suffisent, pour démontrer l’irrationalité qui affecte la création de structures dans l’Administration publique sénégalaise. Au plan de la Gestion des ressources Humaines, l’on a du mal à expliquer, dans un pays qui regorge de Conseillers aux affaires étrangères rompus aux tâches et missions délicates dans le domaine de la diplomatie, que soient nommés à des postes stratégiques, des fonctionnaires, voire même des non fonctionnaires sans référence avec les qualifications requises pour le poste. Il s’agit bien souvent de promotion n’est dû à l’activisme de leurs bénéficiaires et ou à leur proximité avec les tenants du régime. C’est une évidence que de telles pratiques ont existé par le passé, mais elles faisaient l’exception. Elles sont devenues malheureusement la règle dans presque tous les secteurs de notre Administration. Ce sont des pratiques qui engendrent frustrations et démobilisation chez l’ensemble des agents de l’Etat, en plus de dévaloriser l’image de notre pays à l’étranger.

C’est un principe de Management que la motivation n’est pas seulement dans la rémunération financière. Elle est aussi dans l’épanouissement qui découle de la bonne exécution des tâches correspondant au profil des agents et dans le soutien moral que leur accorde la haute hiérarchie.

Par rapport à cette dernière considération, la presse a fait récemment échos, à l’occasion de la remise du rapport annuel de la Cour des Comptes, d’attitudes et de propos du chef de l’Etat, qu’elle n’a pas manqué d’assimiler à une forme d’humiliation des membres de ce corps de contrôle. Si cela était avéré, et si l’on y ajoute la remise en cause de l’existence même de cette institution qui a été brandie en cette circonstance, il est évident qu’il y aurait de quoi désespérer de l’avenir de l’Etat au Sénégal.

En effet, il s’agit là de faits graves et sans précèdent dans l’histoire de l’Administration publique sénégalaise. Les corps de contrôle de l’Etat, qu’il s’agisse de la Cour des Comptes, de l’Inspection Générale d’Etat, du Contrôle Financier de même que toutes les Inspections logées dans les départements ministériels, ont un caractère sacré et éprouvent un besoin de protection et de soutien moral, psychologique et matériel de leur hiérarchie. Tout le respect et la considération que leur voue l’environnement, reposent certes sur la qualité et la crédibilité de leurs travaux, sur les compétences intrinsèques des cadres qu’ils emploient, mais encore davantage sur le soutien du Président de la République lui même. Ceci demeure valable pour la Délégation au Management Public (DMP)

On se souvient que la presse avait aussi rapporté des propos discourtois d’un ancien ministre qui avait attaqué ouvertement et avec véhémence la Cour des Comptes, qui l’avait épinglé dans un de ses rapports. A ce jour, aucune sanction ne lui a été infligée. Au contraire, il a même obtenu une promotion par la suite.

De tels faits et attitudes, en plus de détruire le mythe qui leur est attaché, fragilisent de toute évidence ces institutions qui sont dans l’appareil d’Etat, les remparts, les sentinelles chargées de veiller à l’application rigoureuse des règles de bonne gouvernance dans la gestion des affaires publiques. Les discréditer de quelle manière que ce soit, revient à accorder une prime d’encouragement à la gabegie, à la corruption, à la concussion et à l’impunité. Les responsables des pouvoirs publics en particulier le premier d’entre eux, doivent se garder de franchir la ligne rouge, celle psychologique, qui donnerait le sentiment aux agents soumis au contrôle de l’Etat, et notamment aux dirigeants d’entreprise, que les rapports produits par leurs propres institutions de contrôle ne font l’objet d’aucun crédit de leur part. Ce serait d’autant plus regrettable, que ces rapports sont le fruit d’investigations sérieuses, méticuleuses et bien souvent objectives menées dans des conditions de pression de toutes natures que subissent les conseillers, inspecteurs et magistrats qui opèrent dans ces institutions et qui, du fait de leur conscience professionnelle aigue, refusent bien souvent de céder ou de se laisser compromettre.

Si l’on y prend garde, il y a des risques que soit installé un système informel où seul le poids de la politique et des passes- droit sera déterminant dans le traitement de toutes les questions liées à l’Etat. Peu importe alors les critères de valeurs, d’intégrité et de respect des lois et règlements. Dans un tel système, la droiture, l’éthique et le professionnalisme du fonctionnaire risqueraient davantage d’être marginalisés, ou seraient simplement perçus comme des travers qui dérangent les agissements des prédateurs de la Nation. Alors, les corps de contrôle se résigneront à un rôle de simples figurants pour constater, impuissants, les conséquences d’une « criminalité » généralisée de l’Etat et de son Administration.

La gestion actuelle du patrimoine foncier telle que révélée tout récemment dans un rapport de Aid Transparency, notamment au niveau du domaine public maritime à Dakar, atteste fort éloquemment des pratiques peu orthodoxes qui ont cours à certains niveaux de l’Etat.

Le Sénégal a mis des années à bâtir une Administration solide respectable et respectée aussi bien à l’intérieur qu’à l’étranger. On ne saurait absoudre cette Administration de ses imperfections et carences passées, mais elle a été sans conteste une référence en Afrique et dans le monde.

Il est temps aujourd’hui que soit bien compris que lorsqu’une Administration perd sa légitimité et son identité auprès des citoyens, lorsqu’elle ne fonctionne plus que sur des bases informelles, c’est alors l’anarchie qui risque de s’installer et pour bien longtemps. L’Histoire est là pour nous rappeler que tous les pays qui ont connu des soubresauts, ont commencé avec la perte de la crédibilité de leur Administration. Cette dernière est en effet seule garante du fonctionnement normal d’un Etat, d’une Nation. Elle est l’expression pour une Nation, « d’un commun vouloir de vie commune ».C’est là tout le sens de l’adage qui veut que « les Hommes passent, l’Administration demeure » Mais lorsque dans une Administration, tout citoyen ou groupe de citoyens qui porte des revendications exige de rencontrer le chef de l’Etat, ou encore pire, menace de se suicider devant son palais, il y manifestement un problème.

Un problème qui découle incontestablement de l’idée que le Chef de l’Etat lui-même se fait de son rôle de leader, à savoir qu’il est le seul et unique « bienfaiteur » de la nation, l’« homme providentiel », à la fois indispensable et incontournable, bref, il est celui qui est seul apte à régler tous les problèmes .N’est pas lui qui disait récemment : « j’ai le pouvoir et je le donne à qui je veux. » ou encore « Je suis le maître du jeu » Une telle conception du pouvoir et de l’autorité est antinomique avec les principes de la Délégation et du Travail d’équipe, deux outils de management fondamentaux et indispensables à tout responsable qui nourrit des ambitions de performance pour son Organisation.

C’est une conception qui récuse toute autre autorité, en dehors de celle incarnée par le Chef de l’Etat. Elle assimile les subordonnés à de simples exécutants, dénués du pouvoir de prendre la moindre décision sans se référer au chef suprême. L’expression « Le chef de l’Etat nous a instruits » est sans conteste la formule qui illustre le mieux le style de leadership dirigiste en vigueur aujourd’hui dans l’Administration Publique sénégalaise. Evidemment avec une telle conception du pouvoir, il n’est point besoin de s’entourer de compétences avérées, à même de discuter et éventuellement de remettre en cause les idées et les décisions de celui qu’on nomme la « seule constante ».

Cette conception de la relation d’autorité qui exclue tout échanges et concertations, pourrait bien expliquer l’origine de la situation consécutive à l’humiliation que le Sénégal a connu cette année dans l’organisation du pèlerinage à la Mecque. En effet lorsqu’un Etat est incapable d’assurer le transport convenable de ses pèlerins coincés aux lieux saints de l’islam, au point de recourir à l’assistance d’un autre Etat souverain comme lui pour résoudre le problème, il y a assurément là, un autre signe évident des tendances décadentes de son Administration et sa propre déliquescence. Les évènements récents de Kédougou, Kaolack et N’diass, devraient être analysés sous ce même angle. En effet les actes de violences destructives perpétrées par des citoyens sur des hommes de lois et des édifices publics, de même que la défiance ouverte à l’égard d’autorités représentant la puissance publique, jusqu’à ce que mort s’en suive, témoignent de l’opinion que les citoyens se font de plus en plus de leur Administration, et par ricochet de leur Etat et de ses représentants.

Sous ce même registre figure la défiance des populations de Guediawaye à l’égard de la SENELEC, à travers leur refus d’honorer leurs factures d’électricité.

Les mêmes signes de défiance risquent également de se répéter avec le refus des boulangers et de certains commerçants d’appliquer les nouveaux tarifs en vigueur qui ont été pris selon eux, sans concertation préalable. C’est assurément là, des avertissements sérieux qu’il convient de décrypter, et de réfléchir sur des solutions satisfaisantes et durables aux problèmes qu’ils soulèvent.

A défaut, de tels évènements qui sont des signes évidents d’une Administration en discrédit, risquent fort malheureusement de se reproduire dans d’autres localités du pays.

Au demeurant, pour que ces solutions soient possibles, il faut d’abord commencer par corriger les dysfonctionnements du système actuel, par la restauration de l’image et du mythe de l’Etat, en disposant d’un service public structuré de façon rationnelle, avec des ressources humaines ayant un profil approprié par rapport aux fonctions exercées, dotées de responsabilités et de véritables pouvoirs de décision, et animées du souci premier de respecter et de servir les citoyens.

Mais le premier acte de rectification de ces dysfonctionnements devrait être d’abord d’obéir à cette maxime du Cardinal de Richelieu : « Il faut écouter beaucoup et parler peu, pour bien agir au gouvernement d’un Etat. »

  • Abdoul Aziz TALL,
  • Conseiller en Management
  • M B A, HEC Montréal,
  • Diplômé en sciences politiques de l’université de Montréal

EXERGUES

1/ Les sociétés humaines se sont toujours investies pour la rendre aussi performante que possible.

2/ Tout porte à croire que jamais dans l’histoire de notre pays, l’Administration sénégalaise n’a été aussi hypertrophiée, banalisée et démythifiée comme en atteste les constats que voici :

3/ lorsque l’administration ne fonctionne plus que sur des bases informelles, c’est alors l’anarchie qui risque de s’installer et pour bien longtemps.



0 Commentaires

Participer à la Discussion

  • Nous vous prions d'etre courtois.
  • N'envoyez pas de message ayant un ton agressif ou insultant.
  • N'envoyez pas de message inutile.
  • Pas de messages répétitifs, ou de hors sujéts.
  • Attaques personnelles. Vous pouvez critiquer une idée, mais pas d'attaques personnelles SVP. Ceci inclut tout message à contenu diffamatoire, vulgaire, violent, ne respectant pas la vie privée, sexuel ou en violation avec la loi. Ces messages seront supprimés.
  • Pas de publicité. Ce forum n'est pas un espace publicitaire gratuit.
  • Pas de majuscules. Tout message inscrit entièrement en majuscule sera supprimé.
Auteur: Commentaire : Poster mon commentaire

Repondre á un commentaire...

Auteur Commentaire : Poster ma reponse

ON EN PARLE

Banner 01

Seneweb Radio

  • RFM Radio
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • SUD FM
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • Zik-FM
    Ecoutez le meilleur de la radio

Newsletter Subscribe

Get the Latest Posts & Articles in Your Email