Le tollé constaté après la formation du gouvernement n’est pas un phénomène nouveau dans l’espace politique sénégalais. Pour l’Enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger (Ugb) de Saint Louis, Amadou Kah, c’est en partie un manque d’autorité de la part des chefs d’Etat, notamment Abdoulaye Wade et Macky Sall, qui expliquerait la récurrence de certaines contestations, à chaque remaniement ministériel. Tirant la sonnette d’alarme, le Pr Kah trouve qu’il faut que les gens sachent raison garder, afin d’éviter certaines revendications qui peuvent porter préjudice au pays.
Nous constatons une levée de boucliers de la part d’acteurs politiques dits frustrés, suite au remaniement ministériel opéré par le chef de l’Etat. Comment comprendre ce tollé contre le président Macky Sall ?
La première précision à apporter, c’est qu’il ne faut pas considérer que c’est une situation nouvelle au Sénégal. On a pu remarquer peut-être que sous Diouf et Senghor, il y avait moins de difficultés en ce qui concerne les lendemains de constitution de gouvernement. Mais, depuis la présidence de Wade jusqu’aujourd’hui, c’est un phénomène qu’on connait, un peu récurrent dans l’espace politique sénégalais, depuis presque 15 à 17 ans. Les gens ont tendance à dire que c’est un problème qui peut être regardé comme nouveau. On a vu les populations de Dagana manifester, si mes souvenirs sont bons, prétextant que le périmètre ministériel d’Oumar Sarr (ancien ministre libéral et maire de la commune en question-ndlr) a été réduit. C’est l’époque où on lui avait enlevé ou l’Habitat ou l’Aménagement du territoire. On a même vu des populations barrer la route nationale à Ndioum, prétextant que Kane Diallo avait été démis de ses responsabilités du Cosec. On a vu aussi des populations manifester à Sédhiou, arguant qu’elles n’avaient jamais eu de représentants dans le gouvernement. Donc, il ne faut pas regarder ça comme un phénomène nouveau. C’est un phénomène récurrent depuis 15-17 ans dans l’espace politique sénégalais, au lendemain des remaniements.
A ce niveau, je me fais bien des soucis. Quand les gens pensent qu’être au gouvernement, c’est servir et que gouverner, c’est définir les grandes options et être au service de l’intérêt général, je vois mal que certains réagissent en disant que nous n’avons pas été servis. Parce que, si c’est un sacerdoce et qu’on ne pense pas aux intérêts personnels, mais plutôt aux intérêts du pays, je pense qu’il y a une autre façon de conduire la revendication. Quand on l’élabore de cette façon, on a comme l’impression que c’est une démarche ou un projet purement individuel.
Il faut aussi préciser que la constitution d’un gouvernement n’est jamais un exercice facile. Parce qu’il faudrait assurer un certain équilibre entre les exigences d’ordre politique, technique, professionnel, régional. Il y a un certain nombre d’exigences qu’il faut prendre en charge. C’est un exercice délicat surtout que nous sommes dans un contexte de fragilité, pour la raison simple qu’on peut considérer que jusqu’à présent, on n’est pas dans une Nation dans le vrai sens du terme. Et jusqu’à présent, on a des revendications de type irrédentiste où les gens tirent un peu sur la dimension régionale. Donc, c’est un problème et qu’il faut que les gens fassent très attention sur certaines revendications qui, à terme, peuvent porter préjudice au pays. Que certains disent qu’ils n’ont pas été choisis est un peu puéril comme démarche. Si on veut servir l’intérêt général, on peut être dans plusieurs postures possibles. On peut être au gouvernement, dans l’opposition. Pourquoi systématiquement revendiquer un poste de responsabilité ? J’ai un problème avec ces gens là.
Dans cette situation de contestations tous azimuts des choix opérés, les chefs d’Etat, notamment Abdoulaye Wade et Macky Sall n’y ont-ils pas une part de responsabilité?
Bien entendu. Ils y sont toujours pour quelque chose. Parce que, si aujourd’hui, les gens contestent un certain nombre de choix, c’est parce que peut être on leur a donné la possibilité de faire ce type de contestation-là. Il faudrait que les gens intègrent l’esprit républicain dans tout ce qu’ils font. On doit être au service de l’Etat, de la République et on peut le servir à quelque niveau que ce soit, notamment quand on est magistrat, député, journaliste, enseignant, etc. A un certain moment, peut être qu’ils ont laissé développer un certain rapport assez particulier et qui encourage certains à emprunter certaines directions de contestations. Mais, normalement, quand on fait preuve de beaucoup d’autorité, il y a un type de contestation qui ne doit pas passer. On doit travailler dans ce sens. Vous n’allez jamais, au lendemain de la composition d’un gouvernement en France ou ailleurs, entendre les gens faire ce type de revendications.
C’est vrai que la composition d’un gouvernement a toujours fait des déçus. Mais il y a des formes de revendications qui sont pour moi puériles et qui donnent la mesure de ce que ces gens ont compris : c'est-à-dire que c’est moins l’intérêt général ou bien l’intérêt public. Ce sont des gens qui entendent se servir. Il faut que les présidents fassent preuve de beaucoup d’autorité. On a vu des gens brûler le drapeau national à Kébémer prétextant que Modou Diagne Fada a été écarté du gouvernement. Donc, il appartient au chef de l’Etat de mettre la République en dehors de toutes ces contingences-là. Il faut que les chefs d’Etat s’inscrivent dans des directions de responsabilité montrant aux gens que, quand la République, l’Etat est en cause, aucun autre intérêt ne peut être mis en avant.
Pensez-vous que le président Macky Sall pourra résister à la pression des frustrés, si l’on sait que l’enjeu reste la présidentielle de 2019 ?
De toutes les façons, une chose est certaine, tous ceux qui sont en train de contester le fait qu’ils n’aient pas été choisis, doivent s’interroger sur leur popularité. Est-ce qu’ils sont aussi populaires qu’ils le pensent pour pouvoir estimer que le fait qu’ils n’aient pas été choisis peut influencer le cours des choses en 2019 ? Vous savez, faire un choix, c’est arbitrer entre plusieurs valeurs possibles. Et, arbitrer entre valeurs, ce n’est jamais une question qui est facile. C'est-à-dire que le président a fait certains choix qui peuvent être heureux comme ils peuvent ne pas l’être, mais ce n’est pas parce que certains ont été oubliés ou qu’on n’a pas pris en compte certaines des préoccupations que forcément, ça doit peser sur la balance en 2019.
Moi je pense que le plus important, c’est que le président prête davantage attention à la demande sociale. Moi, je préfère qu’on s’occupe de ma région et qu’on s’en occupe bien que d’avoir 5 à 6 représentants dans le gouvernement et qu’on ne s’occupe pas de ma région. Je pense que c’est plutôt du point de vue de la prise en charge des préoccupations des citoyens qu’il faudrait envisager les possibilités de réélection ou non du président de la République, même s’il est vrai que dans la constitution du gouvernement, il faut quand même savoir respecter un certain équilibre. Mais, que tout repose sur un certain nombre de valeurs. Maintenant, certains agitent l’épouvantail d’une possibilité de défaite pour les élections de 2019, mais c’est que eux aussi ils n’ont pas un autre type de discours à développer. Parce que le drame de ce pays, c’est que beaucoup de personnes n’ont pas de boulot et le boulot qu’ils ont c’est les responsabilités. S’ils avaient un boulot, ils seraient tranquillement repartis à leur boulot. C’est parce qu’aujourd’hui, ils n’ont pas d’autres préoccupations que ça, c’est pourquoi ils font de la surenchère. Mais, je trouve qu’il faut savoir raison garder et que si on est mu par des préoccupations d’intérêt général, de service public, on doit avoir un minimum de décence pour ne pas porter ces revendications sur la place publique. Parce que ça me semble relever d’une autre préoccupation, d’un autre état d’esprit et moi en tant que républicain soucieux du devenir de tout le monde, je ne peux pas m’expliquer certains comportements.
5 Commentaires
Ok
En Septembre, 2017 (17:45 PM)Anonyme
En Septembre, 2017 (17:48 PM)Xeme
En Septembre, 2017 (17:54 PM)Anonyme
En Septembre, 2017 (17:56 PM)Baross
En Septembre, 2017 (08:54 AM)Participer à la Discussion