Ce pays d’Afrique de l’Ouest importe chaque année près de 300 millions de litres de lait, surtout en provenance d’Europe.
DAKAR, Sénégal - chaleur s’est bien installée en cette fin d’avant-midi. La traite du matin est terminée et l’ambiance est revenue au calme dans cette ferme de la périphérie de Dakar d’où environ mille litres de lait sortent chaque jour.
Malgré cette production plutôt stable, Diagne Ndoye n’est pas optimiste quant à la santé de son secteur.
"Au Sénégal, les fermes vivent difficilement. À la limite, on peut même se demander si elles sont rentables", explique ce vétérinaire de formation qui travaille pour cette ferme depuis une vingtaine d'années.
Pourtant, son industrie peut compter sur un atout majeur : "L’avantage qu’on a, c’est qu’il y a un peuple qui consomme énormément de lait."
Des sécheresses aux coûts d’importation des vaches, dont beaucoup viennent d’Europe, les problèmes sont nombreux. Cependant, le principal obstacle au développement d’une filière laitière solide est, selon lui, la concurrence étrangère.
Le Sénégal importe de 60 à 70 % des produits laitiers qui y sont consommés. Parmi ces importations se trouve de la poudre de lait venue d’Europe, très convoitée par certaines grandes laiteries sénégalaises qui utilisent ces produits moins onéreux que le lait frais local.
"S'ils trouvent qu'ils peuvent reconstituer du lait avec de la poudre de lait, se retrouver avec un litre de lait beaucoup moins cher et vendre le lait aux consommateurs à un prix beaucoup plus raisonnable, ils vont choisir cette solution qu’ils jugent la plus simple." Une citation de Diagne Ndoye, vétérinaire de formation et employé d’une ferme laitière.
Produits populaires
La popularité de ces poudres de lait importées, parfois enrichies de matières grasses végétales, se mesure dans les rayons des supermarchés, où elles mènent une dure concurrence au lait entièrement produit au Sénégal.
Par rapport au lait local, les produits à base de ces poudres sont moitié moins chers, explique le vétérinaire Massirin Savané, expert des questions liées à la production animale.
"Quand un produit de l'Europe, soutenu par les gouvernements, vient concurrencer notre lait, cela cause un gros problème de compétitivité pour notre production locale". Une citation de Massirain Savané, vétérinaire et expert en production animale.
La fin des quotas laitiers au sein de l’Union européenne (UE) fait partie des facteurs montrés du doigt pour expliquer la prolifération de ces poudres sur les marchés du Sénégal et d’autres pays ouest-africains. Avec cette décision de 2015, Bruxelles a cessé d’imposer une limite à la production à ses pays membres.
Selon une étude publiée en 2023 dans la revue de sciences économiques et sociales Économie rurale, les exportations de poudres lactées de l’UE vers les pays d’Afrique de l’Ouest ont fortement augmenté depuis les années 2010.
Si ces poudres deviennent un outil incontournable pour de nombreux transformateurs sénégalais, c’est qu’elles sont abordables et peu taxées. Les tarifs douaniers imposés par la Communauté économique des pays d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à de tels produits ne sont que de 5 %.
En plus de mesures tarifaires, l’expert Massirin Savané, vétérinaire de formation, croit que les autorités pourraient prendre des mesures liées à la qualité des produits transformés qui se retrouvent dans les verres et dans les gobelets des Sénégalais.
Il donne l’exemple du géant Nestlé, que l’ONG suisse Public Eye a accusé l’an dernier d’ajouter du sucre dans des poudres de lait et dans des bouillies infantiles sur certains marchés, notamment en Afrique mais pas en Europe.
"Le jour où l'État va prendre des mesures pour protéger un peu la santé des enfants et montrer qu'on a besoin de créer une économie du lait, je pense que la production va suivre", explique-t-il.
Des obstacles sur la route de l’autosuffisance
Le gouvernement sénégalais fait de l’autosuffisance en matière de lait un des symboles de sa volonté d’une plus grande souveraineté alimentaire.
En janvier dernier, le ministre de l’Agriculture a mené une mission en Ouganda, un pays africain qui produit 3,5 milliards de litres de lait chaque année, alors que le Sénégal en importe 300 millions de litres annuellement.
Cependant, la route vers l’autosuffisance s’annonce sinueuse.
Dans l’étude de 2023 sur les poudres engraissées publiée dans Économie rurale, les chercheurs soulignaient les défis liés aux infrastructures qui permettraient un meilleur acheminement du lait frais des fermes vers les consommateurs sénégalais.
Les potentialités de collecte en lait frais, produit hautement dégradable en milieu tropical, sont fortement limitées par l’absence d’un circuit réfrigéré en amont des laiteries. Le lait est ainsi majoritairement autoconsommé ou vendu sous forme de lait frais, de lait caillé ou de beurre sur les marchés locaux, peut-on y lire.
"Peut-être que les gens vont souffrir quelques années", admet Diagne Ndoye sur sa ferme laitière. "Mais ça nous permettra quand même de mettre sur pied une vraie filière où il y aura des transformateurs, des producteurs et des entrepreneurs qui vont investir dans la production", ajoute-t-il.
"C'est un cercle vicieux. Donc, pour sortir de ce cercle vicieux-là, il faut une politique audacieuse", affirme-t-il.
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