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Politique

Mali : l’histoire du chef du village de Boulikessi, contraint de négocier avec le Mujao

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Mali : l’histoire du chef du village de Boulikessi, contraint de négocier avec le Mujao

C’est l’histoire d’un homme ordinaire pris dans des circonstances extraordinaires : celle d’un chef de village parti négocier la protection de sa communauté avec les jihadistes, quand ils régnaient sur le centre du pays, et qui doit aujourd’hui rendre des comptes.

Quand on entend son histoire, ses compromissions avec les jihadistes, l’aura dont il jouit auprès de ses protégés et sa récente incarcération au Burkina Faso, on l’imagine jeune et téméraire. Pas forcément grand, mais qui en impose. Qui sait se servir d’une arme et qui est capable de se sortir de toutes les situations périlleuses. Erreur. Brahima Mody Diallo, plus connu sous le nom d’Amirou Boulikessi (« le chef de Boulikessi »), est un frêle quinquagénaire qui ressemble à ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : un notable de la province de Mondoro, dans la région de Mopti, à deux pas de la frontière avec le Burkina Faso. Son histoire illustre l’enfer labyrinthique dans lequel est plongé le Mali depuis cinq ans.

Faire face à la menace touareg

Fils de l’ancien imam d’une zone que l’on appelle Ouro-Mbaga, dans laquelle cohabitent tant bien que mal plusieurs communautés (des Peuls, des Dogons, des Touaregs, des Bellas…), Amirou a beaucoup fait pour les habitants depuis qu’il est devenu le chef de Boulikessi, il y a quinze ans. Il a fait construire un puits, une école, un poste de gendarmerie, un jardin pour les jeunes et même un château d’eau, affirme son entourage. Mais comme tant d’autres, son destin a basculé en 2012, quand le Mali s’est disloqué et qu’en l’absence de toute présence étatique il a bien fallu assurer sa survie et celle de sa communauté.

Les ennuis arrivent fin 2011. Ils prennent d’abord le visage de bandits puis de rebelles touaregs. Le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) n’a pas encore achevé sa conquête du Nord que déjà il règne en maître dans cette région depuis longtemps délaissée par l’État et les ONG. Les écoles ont été fermées. L’armée a disparu. Des commerçants ont été tués. Le bétail est régulièrement volé. Les Peuls sont inquiets. « Traditionnellement, les Peuls exerçant le pastoralisme ont toujours été en tension avec les Touaregs, autour des questions liées à l’exploitation des ressources pastorales et [au] vol de bétail », explique le chercheur Boukary Sangaré dans un rapport publié en mai et consacré au centre du Mali.

Constitution d’une armée avec l’aide du Mujao

Il faut donc se protéger. Amirou se rend à Bamako et demande de l’aide au gouvernement. Lequel argue qu’il n’a déjà pas d’armes pour sa propre armée… Quand il revient à Boulikessi, un autre groupe armé a fait son apparition dans les environs : le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao). Poussé par les Peuls, qui veulent en finir avec les vols, Amirou contacte les hommes du Mujao. Nous sommes en mai 2012.

Il ne s’agit pas, pour lui, d’épouser leurs idées, d’imposer la charia ou de régenter la vie des gens, comme à Gao. Simplement de négocier une protection. Le chef du Mujao dans la région la lui propose : pour quelques centaines de milliers de F CFA, il leur enverra des hommes armés. Les patrouilles commencent, mais elles sont rares. Les vols se poursuivent. Amirou décide alors d’aller voir les grands chefs, à Gao.

Là, Oumar Ould Hamaha (le célèbre Barbe-Rouge, tué en 2014 par l’armée française) lui propose un autre deal : « Envoie-nous tes hommes, nous les formerons à se battre. » Amirou s’exécute. Il sélectionne quelques jeunes, qu’il accompagne dans les camps d’entraînement du Mujao. Dans un rapport publié en mai, International Crisis Group précise que la majorité d’entre eux ont « adopté une approche opportuniste, ralliant un camp pour bénéficier d’une protection ou se procurer des armes et peser dans les conflits locaux », même si certains « ont adhéré pleinement à la cause jihadiste ».

Plus tard, Amirou expliquera à Boukary Sangaré son choix de rejoindre le Mujao : « Nous n’avons pas pris les armes pour attaquer l’État malien mais pour nous défendre contre nos ennemis. » Se doutait-il que ce pacte le poursuivrait pendant des années ?

Arrive le mois de janvier 2013 : la subite offensive des jihadistes vers le sud, l’appel à l’aide de Dioncounda Traoré, l’intervention de l’armée française. Le Mujao détale. L’armée malienne revient. Elle cible les Peuls, accusés d’être des Mujao. Amirou, qui sait qu’il a pactisé avec le diable et que des gens veulent le lui faire payer, se réfugie au Burkina. Puis il passe du temps à Bamako, où la sécurité d’État l’arrête à deux reprises (dont la dernière fois en mai 2016). Il effectue des allers-retours à Boulikessi, mais il ne reste jamais longtemps. Tout le monde le lâche, y compris les propriétaires de bétail qui l’avaient poussé à solliciter le Mujao et qui le décrivent maintenant comme un jihadiste.

 



1 Commentaires

  1. Auteur

    Anonyme

    En Décembre, 2016 (12:22 PM)

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