MAMOUNE NIASSE – ABDOURAHIM AGNE – AMATH DANSOKHO : Ces nouveaux faiseurs de roi courtisés par le pouvoir et l'opposition.

Ce n’est peut-être pas en leur sein que se trouve le prochain président du Sénégal. Mais courtisés autant par le pouvoir que l’opposition, ils apparaissent comme les nouveaux faiseurs de roi. Pour une coïncidence, elle est bien curieuse celle-là. Abdourahim Agne, Amath Dansokho et Serigne Mamoune Niasse ont en commun d’être les seuls leaders de parti à avoir eu récemment des déboires avec la justice. Mieux, ils sont tous les trois, de notoriété publique, d’une santé fragile. Le pouvoir a-t-il donc voulu jouer la carte de l’intimidation contre ceux des leaders de l’opposition qui peuvent faire très mal ? À moins de leur avoir cherché noise pour ensuite négocier la paix des braves sachant qu’ils sont désormais de vrais faiseurs de roi.

Après avoir beaucoup peiné à se frayer un chemin sur l’échiquier politique à travers le G 10 longtemps noyé par le CPC, Abdourahim Agne, leader du Parti de la Réforme (Pr) verra toute l’opposition et la société civile se liguer pour sa libération à l’occasion de son séjour carcéral pour «appel à l’insurrection». Le secrétaire général du Pit Amath Dansokho, pour sa part, verra se conforter son statut de figure emblématique de l’opposition suite à l’affaire dite des « 440 milliards » qui auraient été, selon lui, transférés à l’étranger. Alors que le passage de plus d’une vingtaine de membres de sa garde rapprochée devant le tribunal, a eu le mérite de donner plus de relief à la récente offensive du Premier Serviteur du Rassemblement pour le peuple (Rp), Serigne Mamoune Niasse dans le fief du numéro deux du Pds et actuel Premier ministre, Macky Sall.

Manifestement, ces problèmes judiciaires leur ont donc valu à chacun une « plus-value » pour leurs formations respectives. Et si l’actuelle majorité n’en finit pas de leur faire les yeux doux, l’opposition, elle, souhaite les voir cheminer encore longtemps en son sein. Toutefois, bien qu’ils aient aujourd’hui en commun d’être les chouchous de la classe politique, les leaders du Rp, du Pr et du Pit arborent chacun ce nouveau statut avec des particularités assez frappantes. Liées à la nature de leurs formations respectives et à leur vécu politique, elles détermineront les possibilités d’alliances qui se dessinent pour chacun d’eux sur l’échiquier politique.

Mamoune Niasse : entre Niasse, Idy et Wade

De tous ces nouveaux faiseurs de roi, il est celui dont la formation politique affiche la marge de progression la plus impressionnante. Créée le 29 mars 2003 à Diourbel, le Rassemblement pour le Peuple compte à peine trois années d’existence, mais jouit tout de même d’une bonne assise. Une montée en puissance qu’il doit à l’expérience politique de son leader déjà vieille de plus de trente ans. Membre fondateur du Pds aux côtés de Guissaly Diaw, alors porte-étendard du parti libéral dans le bassin arachidier, Mamoune Niasse finira par rejoindre le Parti socialiste sous la pression de la famille Niasse de Kaolack dont le khalife n’avait pas caché à l’époque ses faveurs à l’ancien régime. Seulement, combattu au sein de cette formation par le truchement de Ablaye Diack avec le soutien et du Bureau politique et de Diouf, le marabout-politicien n’hésita guère à rompre les amarres pour répondre au fameux appel dit du 16 juin 1999 de Moustapha Niasse.  Il lui fut d’un précieux concours pour l’implantation de l’Alliance des Forces de Progrès (AFP), née des flancs du Ps. « En sa qualité de président du groupe de contact des régions de Kaolack, Diourbel et Fatick, il n’a jamais lésiné sur les moyens pour asseoir les bases de l’Afp. Il a même eu à acheter personnellement 29 véhicules, près de 1000 téléphones portables et à dépenser en tout près de 200 millions de francs pour le compte du parti », confie le coordonnateur régional du Rp à Kaolack et porte-parole du parti, Ibrahima Thiam dit Baye. Victime par la suite d’une cabale montée par Madieyna Diouf dont il avait pourtant suscité et soutenu la nomination comme ministre de l’Équipement dans le premier gouvernement post alternance, Mamoune Niasse se verra chiper son leadership à Kaolack alors qu’il séjournait en Arabie Saoudite pour raison médicale. Là s’arrête l’aventure avec Niasse. Lequel, interrogé sur d’éventuelles retrouvailles avec le leader du Rp, avait laissé entendre : « je ne serai jamais demandeur». Une phrase plutôt malheureuse qui bloquerait aujourd’hui tout rapprochement entre les deux hommes. Sûr de son fait, le marabout-politicien exige de son ex-compagnon qu’il se dédise et soit le premier à faire ouvertement le premier pas en direction de leurs retrouvailles. Ce que refuse systématiquement le leader de l’Afp.

Quand bien même un retour du marabout-politicien serait tout bénéfice pour les «progressistes». D’autant que le Rp compte aujourd’hui dans ses rangs trois des quatre ex-présidents des groupes de contact de l’Afp, en l’occurrence Oumar Khassimou Dia (régions de Louga, Saint-Louis et Matam), Docteur Pape Camara (régions de Dakar et de Thiès) et Mamoune Niasse himself (régions de Kaolack, Diourbel et Fatick). C’est dire que le leader du RP a donc du beau monde avec lui, mais aussi et surtout, il a les moyens de sa politique. Ce qui en fait du reste un élément «très intéressant» aux yeux de Wade qui en serait presque aujourd’hui à regretter de l’avoir snobé un moment. A l’occasion d’une audience, Wade demandera à Mamoune de fondre purement et simplement son parti dans le Pds, avant de se heurter au niet catégorique du leader du Rp. « Je n’envisage notre cheminement que dans le cadre de mon parti. Sinon, tu peux poursuivre ton chemin mais je te promets que tu n’auras rien », aurait dit crûment le secrétaire général national du Pds au marabout-politicien. C’était sans compter avec la capacité de mobilisation de Mamoune Niasse qui a fini de taper dans l’œil du président Wade au point que la perspective d’un rapprochement ne serait plus à écarter. A condition, souligne le porte-parole des « serviteurs du peuple », « qu’il soit procédé à un diagnostic sans complaisance de la situation en vue d’établir un programme de redressement conformément à notre première option. Faute de quoi, nous allons privilégier notre deuxième option qui repose sur une conquête du pouvoir par les urnes ». Et comme Wade ne se pliera pas de sitôt à la condition du Rp…

Il s’y ajoute aussi que la prédiction de Wade d’une désillusion du Premier Serviteur du Rp a visiblement eu le don de le doper et, surtout, de favoriser son rapprochement avec Idrissa Seck, considéré comme le mouton noir du Pds. Mais il y a un hic. Car ni le leader du Rp ni le maire de Thiès ne veut apparaître comme étant à la remorque de l’autre. «Idrissa Seck ne sera jamais derrière quelqu’un », rappelle sans relâche son porte-parole, le député Oumar Sarr. Alors que, de son côté, engagé dans la constitution d’un troisième pôle avec déjà un noyau dur constitué des partis « non alignés », le Rp entend simplement inviter Idrissa Seck et ses mouvements de soutien à venir s’y adjoindre. Résultat, il y a comme un dialogue de sourds qui rend encore hypothétique toute alliance entre le marabout-politicien et l’ancien N° 2 du Pds. À croire donc que les retrouvailles entre Mamoune et Niasse semblent être aujourd’hui le scénario le plus plausible. À condition que l’un et l’autre se départissent de tout orgueil et parviennent à conclure la paix des braves.

Abdourahim Agne : un adepte du grand écart ?

Depuis sa mise en liberté provisoire, le leader du Parti de la Réforme avait manifestement entrepris de rapprocher son parti et le G 10 de la mouvance élargie du Cpc, devenu Cpa. Et c’est au siège même du Pr que s’est même tenue la conférence de lancement de la toute nouvelle coalition de l’opposition, le 2 mai dernier. Qu’à cela ne tienne, l’ancrage de Agne et des siens dans l’opposition est toujours sujet à question. «Depuis la création du Pr et même malgré la constitution du MCR sous la bannière duquel nous sommes allés aux élections locales de 2002, certains ont toujours pensé que notre parti était né pour se ranger directement du côté du pouvoir», avoue même son porte-parole, Seydou Guèye. Et de préciser aussitôt : « Ce sont plutôt ceux avec qui nous étions dans le cadre du Mcr qui se sont rapprochés du pouvoir au moment où nous sommes plus que jamais dans l’opposition ». Mais, c’est connu, les préjugés sont tenaces. Et plutôt que de dissiper les suspicions, plusieurs faits sont venus infuser le doute dans bien des esprits quant à la position réelle du Pr sur l’échiquier politique. Accusé d’être la « taupe du gouvernement » au sein du Cpc après les «fuites» à propos de l’audience entre Wade et l’opposition , Samir Abourizk n’avait pas hésité un moment à indexer à son tour le leader du Pr. « J’ai appris que Abdourahim Agne aurait été reçu par le président de la République qui lui aurait demandé des conseils sur le comportement qu’il devait avoir face à l’opposition pendant l’audience. Je laisse maintenant l’opinion juger du caractère de cette invite », avait laissé entendre le Premier secrétaire de Démocratie Citoyenne.

De même, le fait pour Abdourahim Agne de s’être désolidarisé de la manifestation de l’opposition à Paris lors de la remise du Prix Houphouët- Boigny, sans que ses camarades qui se sont fait inviter ne se soient pas vu interdire d’y aller, avait également nourri bien des suspicions à son propos. De là à croire que le leader du Pr serait un adepte du grand écart et que tout en restant dans l’opposition, il ne serait pas tout à fait hostile à un rapprochement avec le pouvoir, il n’ y a qu’un pas que certains ont vite franchi. D’autant qu’il a déjà publiquement affiché sa réserve vis-à-vis de la fiabilité de ce qui était jusqu’à une période récente la principale coalition de l’opposition. « Sans Amath Dansokho, le  Cpc n’est pas fiable », déclarait-il en effet lors d’une conférence de presse à Paris. Avant de prendre clairement position pour le choix de Amath Dansokho comme « tête de liste du Cpc » à un moment où seul le principe d’une liste commune avait été retenu, alors que la question n’était pas encore évoquée au sein de la coalition. En promouvant donc le choix de Dansokho pour le symbole qu’il représente au sein de l’opposition plutôt que pour sa représentativité en termes de poids électoral, Agne voulait sûrement se défaire par anticipation de l’hégémonie du Ps ou de l’Afp qu’il savait prégnante au sein de la coalition de l’opposition. Aujourd’hui qu’il a fini d’intégrer la Cpa fort du capital-sympathie que lui aura valu son dernier séjour carcéral et de l’apport de toute sa coalition, le G 10, il n’entendra sûrement pas être à la remorque d’un Niasse ou d’un Tanor. Ce que laisse d’ailleurs entendre son porte-parole sans citer nommément l’une ou l’autre de ces deux têtes de pont de la Cpa. « Nous ne sommes pas dans le cadre de la Cpa pour suivre un parti », avertit en effet Seydou Guèye. C’est dire qu’entre Agne et ses alliés de la Cpa, l’entente ne serait pas aussi solide qu’on pourrait le penser. Avec surtout un Wade toujours à l’affût pour rogner dans les rangs de l’opposition.

Dansokho, l’homme du consensus

Défénestré huit mois à peine après la constitution du premier gouvernement post alternance, il s’est révélé depuis comme le plus farouche adversaire de Wade. Les ponts semblent en effet définitivement coupés entre les deux hommes à tel point que toutes les invites de Wade à rejoindre l’attelage gouvernemental ont essuyé un refus catégorique de la part de son ex-allié. Grand artisan de la candidature unique de Wade en 2000, tout porte à croire qu’il pourrait donc remettre le métier à l’ouvrage en perspective de la présidentielle de 2007 pour prendre sa revanche sur Wade. Même si la tâche semble aujourd’hui plus délicate qu’il y a six ans  avec une opposition qui peine encore à se retrouver autour d’un leader charismatique comme en 2000. Des principaux leaders qui composent aujourd’hui la Cpa, seul Amath Dansokho ne se croit pas un destin présidentiel. Tandis que Tanor, Niasse,  ainsi que Bathily et Agne qui les ont rejoints dernièrement dans le cadre de la Cpa présentent tous l’étoffe de futurs présidentiables. Samir Abourizk de Démocratie Citoyenne n’avait-il donc pas tort de faire remarquer que ni Bathily, ni Agne n’avaient leur place au sein de la large mouvance de l’opposition et que leur arrivée au sein de la coalition de l’opposition serait plutôt source de problèmes. «Pour moi, Amath Dansokho est le nœud du problème que nous vivons aujourd’hui. C’est lui qui va discuter avec tout le monde pour essayer de rassembler le « grand troupeau» pensant peut-être que «plus on est nombreux, plus on est fort », disait-il. Voilà en tout cas qui en dit long sur l’énormité de la tâche qui attend le leader du Pit. Ses talents de grand rassembleur et le statut d’élément-symbole et d’homme de consensus dont il jouit auprès de ses alliés suffiront-ils pour mettre tout le monde d’accord autour d’un candidat unique et éviter le choc des ambitions. C’est là toute la question. Mais impossible n’est pas Dansokho.