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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Politique

Me Abdoulaye WADE, Président de la République : ‘Je ne suis pas sûr que le président Bush aille jusqu'à une confrontation avec l'Iran’

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Me Abdoulaye WADE, Président de la République : ‘Je ne suis pas sûr que le président Bush aille jusqu'à une confrontation avec l'Iran’

Pas de question sur l'actualité nationale. Tel était hier le préalable posé par les responsables de la cellule communication de la présidence de la République à tout entretien exclusivif avec le chef de l'Etat qui nous recevait dans ses appartements privés, à une demi-heure du Conseil des ministres. Et, pour la première fois, le président de la République a expliqué comment les pays européens ont sollicité la médiation du Sénégal dans la crise de l'uranium iranien et pourquoi il a fini par accepter. Après que les deux protagonistes ont accepté, à la suite du Sénégal, qu'il n'y ait aucun préalable au dialogue, le chef de l'Etat précise que ce qu'il cherche maintenant, c'est que toutes les parties prenantes se retrouvent autour d'une table. Il précise toutefois que le Sénégal ne demande pas à prendre part au dialogue, mais si on nous demande d'y participer, il ne refusera pas. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, le président Wade est revenu sur la crise au Darfour.


Wal Fadjri : Après la visite de travail effectuée, avant-hier au Sénégal par le président iranien, où en êtes-vous dans votre médiation entre ce pays et les pays occidentaux ?

Abdoulaye Wade : Nous marchons sur le même rythme. Je dois seulement préciser que ce que nous préconisons, c'est le dialogue sans conditions préalables, et le président iranien a confirmé qu'il était pour le dialogue. Nous pouvons quand même constater qu'il y a eu une évolutionn depuis quelques temps puisque le secrétaire général des Nations unies, pour commencer par là, s'est prononcé pour un dialogue sans conditions préalables. Il en est de même pour l'Union européenne. Je sais qu'il y a dans certains milieux aux Etats-Unis, notamment au niveau de la presse locale, qui pensent qu'il ne faudrait pas rester dans cette position de préconditions, de préalables qui risque encore d'entraîner des confrontations. L'idée avance donc, mais il y a encore beaucoup à faire. Disons qu'on avance, mais on avance lentement.

Wal Fadjri : Qu'est-ce-qui reste à faire ?

Abdoulaye Wade : Mais ce qui reste à faire, c'est engager le dialogue, c'est-à-dire que la France, l'Angleterre, l'Allemagne qui constituent la troïka et l'Iran, plus certains autres pays que l'Iran a contactés comme l'Espagne, l'Italie et peut-être d'autres se retrouvent ensemble avec les Etats-Unis et l'Iran. Dans ce sens-là, il y a évolution parce qu'au départ, les Usa avaient dit qu'ils accepteraient de joindre la troïka et de dialoguer avec l'Iran au sein de cette organisation. Je pense que leur position n'a pas changé. Mais je me demande si la formule d'un dialogue, disons multilatéral, c'est-à-dire avec plusieurs parties, est toujours valable. C'est à voir. En tout cas, dialoguer avec beaucoup de pays ou avec un ensemble de pays riches, ce n'est pas du tout le même concept.

Wal Fadjri : Pour le Sénégal qui est un facilitateur dans ce conflit, quelle est la meilleure formule ?

Abdoulaye Wade : Ce que je veux, c'est que les gens se retrouvent tous autour d'une table. Qu'elle soit ronde, ovale ou triangulaire, peu importe, l'essentiel est que les gens se retrouvent autour d'une table. Mais aussi que l'Iran puisse demander la présence d'autres pays, soit un pays d'Afrique, un pays d'Amérique Latine et un pays d'Asie. Je suis persuadé que s'il y a un dialogue autour d'une table, on trouvera une solution, mais je sais que ce ne sera pas facile.

Wal Fadjri : Autour de cette table, pourrait-on retrouver le Sénégal en tant que facilitateur ?

Abdoulaye Wade : Le Sénégal ne demande rien. Vous savez, moi, ce que je fais, ce n'est pas pour être présent. Donc, je répète que le Sénégal ne demande pas à prendre part au dialogue. Je l'ai encore prouvé ce matin (hier, Ndlr) quand j'ai proposé la reprise des négociations soudanaises avec le nouveau Front du Salut qui regroupe non seulement ceux qui n'avaient pas signé les accords d'Abuja, mais de nouvelles forces qui se sont révélées. J'ai précisé que je ne demandais pas à engager là une nouvelle médiation. Il y a une médiation qui a été très bien faite par le président Obasanjo qui a obtenu des résultats. Il avait fait signer certains rebelles, d'autres avaient refusé. Je pense qu'il a tout pour reprendre la négociation avec la nouvelle formation politique. Le Sénégal ne demande pas à être là.

Wal Fadjri : Qu'en sera-t-il en cas de table-ronde sur la crise de l'uranium iranien ?

Abdoulaye Wade : Il est évident que si on nous demande d'y participer, on ne va pas refuser. Nous avons été facilitateur et si cette qualité est retenue - n'oubliez pas que le Sénégal avait proposé qu'il y ait un facilitateur, qu'il soit un pays ou une institution, pour qu'il n'y ait pas prédominance d'une partie sur une autre - et qu'on nous invite en tant que facilitateur, nous y irons. Il faut bien que quelqu'un préside cette séance et fasse adopter un certains nombre de règles, notamment la présidence de la réunion, l'adoption des règles de procédure pour savoir comment on va prendre la parole, etc.

Wal Fadjri : Et si le Sénégal ne participait pas au dialogue, va-t-il, pour autant, continuer à jouer son rôle de facilitateur ?

Abdoulaye Wade : Bien entendu, parce qu'on est accepté par les différentes parties. Il n'y aura aucun problème, le Sénégal continuera à être un facilitateur.

Wal Fadjri : A votre avis, s'éloigne-t-on d'une confrontation ?

Abdoulaye Wade : Vous savez, moi, je suis par nature optimiste mais, j'avoue que c'est une affaire sérieuse et qu'il y a des risques.

Wal Fadjri : Des risques de confrontation ?

Abdoulaye Wade : Je ne crois pas parce que le président de l'Iran, lui-même, dit qu'il n'y croit pas. Je ne suis pas sûr que le président Bush aille jusqu'à une confrontation avec l'Iran. Encore que certains milieux américains se sont prononcés depuis lors pour la confrontation et je ne pense pas que ces milieux aient changé d'avis. En tout état de cause, il faut reconnaître que tous les ingrédients d'une confrontation sont là. Il faut savoir qu'aux Etats-Unis, c'est un rapport de force qu'il y a là-bas.

Wal Fadjri : Qu'est-ce-qui explique que le Sénégal ait pu jouer ce rôle ?

Abdoulaye Wade : Il y a des questions auxquelles ce sont vous, les journalistes, qui devez trouver les réponses. Je ne peux pas faire ma propre introspection. Concernant cette médiation, je n'ai rien demandé. Ce sont les Occidentaux qui sont venus me le demander. Ils ont envoyé leurs ambassadeurs chez le ministre des Affaires étrangères (du Sénégal, Ndlr) pour lui dire que ‘le président Wade, en raison de ses bonnes relations avec l'Occident, notamment avec les Etats-Unis, et avec le président de l'Iran, pourrait jouer un rôle et nous lui demandons d'intervenir dans cette affaire’. Ce sont eux qui me l'ont demandé et, pendant six mois, je n'ai rien fait parce que je me demandais ce qui pouvait expliquer qu'un petit pays comme le Sénégal puisse être impliqué dans une affaire mondiale. Finalement, lorsqu'ils m'ont relancé une deuxième fois, j'ai dit que je n'interviendrai que quand je rencontrerai les Iraniens pour voir s'il y avait des concessions possibles de part et d'autre. Je me suis dit pourquoi aller enregistrer un échec alors que je n'ai que des succès diplomatiques au plan international ? C'est ainsi que j'ai rencontré le président Mahmoud Ahmadinejad à La Mecque, au sommet de l'Oci. On a discuté et il m'a dit : ‘Mais tu viens, on prendra le temps et nous allons discuter, il faut que tu viennes !’. C'est ainsi que je me suis rendu en Iran et nous avons discuté. Et, à l'issue de la visite officielle, j'ai concocté le plan que vous connaissez. C'est donc comme ça que cela s'est passé. Moi, je ne cherche pas à être médiateur. Même quand je n'étais pas président, les gens m'appelaient à des médiations, j'ai passé mon temps à faire des médiations. J'ai été au Gabon, en Guinée équatoriale, dans les deux Guinée (Conakry et Bissau, Ndlr), au Mali, même en Cote d'Ivoire à l'époque où j'étais ministre d'Etat. Les parties en conflit venaient me voir, y compris Laurent Gbagbo, le Nigérien Tanjan. Maintenant, j'ai la réputation d'être médiateur. Mais comment c'est arriver ? C'est parce que j'ai fait une opposition pacifique, j'ai refusé de faire de l'opposition armée et je pouvais pourtant le faire. On m'a proposé de l'argent, des armes à crédit, etc.

Wal Fadjri : On vous avait donc proposé des armes du temps où vous étiez dans l'opposition ?

Abdoulaye Wade : Ça, vous le savez, tout le monde le sait. Bien sûr, on m'a proposé de me parachuter des armes où je voulais au Sénégal. On m'a dit : ‘Dites où vous voulez, on vous parachute des armes à crédit et vous payez une fois au pouvoir, on vous donne également de l'argent.’ Vous ne le saviez pas ? Alors, vous n'étiez, sûrement, pas au Sénégal (rires). Pour en revenir aux médiations, au moment du conflit pouvoir-opposition, comme j'étais dans l'opposition, les partis d'opposition me faisaient naturellement confiance. Et du fait que certains chefs d'Etat me connaissaient de réputation, ils m'appelaient en cas de besoin. Si Bongo, à l'époque où j'étais dans l'opposition, a accepté que je fasse la médiation entre lui et les Mba Abessolo, les Agondjo, etc, c'est uniquement à cause de cela, de mon passé d'opposant pacifique. J'avais la chance d'être accepté par toutes les parties. Devenu ministre d'Etat, les gens de l'opposition me considéraient toujours comme un des leurs. Même président de la République, j'étais toujours considéré de l'opposition. Il y a donc toute cette histoire qui explique qu'aujourd'hui, les gens font recours à moi dans certains conflits pour arrondir les angles. Autre chose, je suis un avocat, donc je connais certaines procédures qui facilitent les rapprochements.

Wal Fadjri : On peut donc s'attendre à ce que vous continuez à jouer un rôle...

Abdoulaye Wade : (Il nous coupe). Je pense que j'en ai fait suffisamment pour que si je ne faisais pas quelque chose de plus, personne ne me le reproche. Mais il se trouve que le monde est compliqué, des problèmes apparaissent et d'autres vont surgir, des médiations sont nécessaires. On me demande déjà d'y réfléchir.

Wal Fadjri : Quels sont ces problèmes qui vont surgir ?

Abdoulaye Wade : Je crois qu'il vaut mieux ne pas évoquer des problèmes potentiels, réglons d'abord ceux qui existent.

Wal Fadjri : Comme celui du Darfour ?

Abdoulaye Wade : C'est une question d'actualité et je suis là-dans.

Wal Fadjri : Qu'êtes--vous en train de faire concrètement pour aider à résoudre la crise du Darfour ?

Abdoulaye Wade : Aider à régler la crise du Darfour, c'est suivre l'événement, être au courant de tout ce qui se passe parce qu'on ne peut pas faire de la facilitation quand on n'est pas au courant de ce qui se passe à tout moment. Et là, j'ai l'avantage d'être tenu informé de l'évolution de la situation du Darfour. J'ai téléphoné à plusieurs chefs d'Etat et je me suis aperçu que les informations que j'avais, aucun d'eux ne les avait, c'est-à-dire que j'étais seul à connaître les intentions des uns et des autres. Ce que je peux faire en tout cas, c'est des propositions qui sont, parfois, considérées comme pertinentes. Et je dois dire que j'ai fait des propositions concernant la crise du Darfour. Dans le cadre du Darfour, je me suis donné la peine de téléphoner à tous les grands leaders d'Afrique pour arriver à ce résultat : tous ensemble, nous avons décidé de transformer en réunion présidentielle la réunion ministérielle qui devait se tenir à New-York le 18. C'est déjà important. Pour tout vous dire sur le Darfour, j'ai une proposition de sortie de crise : c'est faire la paix à l'intérieur du Soudan, la paix interne entre le gouvernement et toutes les factions, mêmes celles qui viennent de naître. Ce qui entraînerait la réduction des troupes nécessaires pour maintenir la paix, au lieu de la confrontation qui se prépare entre le Conseil de sécurité et le Soudan. Comme vous le savez, le Conseil de sécurité a mis en garde le président soudanais : s'il met les troupes africaines dehors et s'il attaque les casques bleus, les Nations unies vont riposter. A partir de cet instant, les troupes des Nations unies seraient régies par le chapitre VII. Et ce ne sera le maintien de la paix, mais l'imposition de la paix, ce qu'on appelle ‘the imposing force’. Vous voyez bien qu'il y a une évolution vers la confrontation. Alors, je ne peux pas rester les bras croisés. J'ai eu la chance de voir le président du Soudan, j'ai essayé de comprendre, avant de faire une proposition. Normalement, les troupes africaines devaient passer le relais aux Nations-unies et se retirer à la fin du mois d'octobre. Je vais proposer que le séjour des troupes africaines au Darfour soit prolongé. Ce qui reculerait, en tout cas, d'éventuelles confrontations.

Wal Fadjri : Qu'est-ce qui explique que l'Union africaine ait laissé cette crise perdurer tant ?

Abdoulaye Wade : (Il hésite un peu, puis précise, à notre endroit, qu'il doit aller présider le Conseil ministériel). L'Union africaine n'a pas les moyens de sa politique. Tout ce que nous demandons aux Etats-Unis ou au Conseil de sécurité, nous avons ça en Afrique. Il y a des pays qui peuvent financer les troupes africaines au Darfour, mais ils ne le font pas. Alors qu'est-ce-que vous voulez ? On s'adresse aux pays arabes ou autres. Les pays africains n'assument pas toujours leurs responsabilités.

Wal Fadjri : Est-ce à dire que le Sénégal s'est complètement retiré du dossier ivoirien ?

Abdoulaye Wade : Non, le Sénégal ne peut pas se retirer parce que vous savez que, même maintenant, je reçois la visite d'Ivoiriens. Ce sont des professeurs, de membres du gouvernement, des députés, des politiques, qui me téléphonent en me disant : ‘Vous ne pouvez pas nous laisser’. Je ne peux pas laisser la Côte d'Ivoire, mais je ne suis plus en première ligne. Quand les gens viennent m'en demander, je leur donne des conseils.



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