Sénégal - Abdoul Mbaye fait du concret sans les chiffres

Les avis étaient partagés au Sénégal, à l’issue de la déclaration de politique générale du gouvernement, présentée par le Premier ministre Abdoul MBaye, lundi 10 septembre. Zoom.

 

La vision de Macky Sall, président du Sénégal, condensée dans son programme de campagne «Yoonu Yokkute» (voie du développement en Wolof), a été déclinée le 10 septembre dernier devant les élus de la nation sénégalaise, par le chef du gouvernement, Abdoul MBaye. Si celui-ci a exprimé une vision d’un Sénégal émergent, abritant une société sur le chemin du progrès, solidaire et adossée à des valeurs démocratiques, la concrétisation de cette rupture paraît plus diffuse. Peu de chiffres à l’appui de ce plaidoyer, excepté le taux de croissance de 3,9% en 2012 et le plafond de 6,4% fixé pour le déficit public.

 

Toutefois, pour dévoiler l’orientation du gouvernement, le Premier ministre est parti de l’acquis du précédent régime, brossant le constat d’une économie quasi- à genoux avec une croissance d’à peine 2,6% en 2011 contre 4,1% en 2010, concomitamment à la contreperformance du secteur agricole (-20%).

 

A boulets rouges sur le bilan de Wade

 

Entre autres malus, l’inflation s’est établie à 3,4% en 2011, au-delà du seuil fixé pour les Etats membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine, une balance courante avec un solde ressorti à -6,4% du PIB en 2011. Sur ce dernier volet, le chef du gouvernement a fustigé les politiques macroéconomiques parfois inappropriées de Me Wade, la vulnérabilité aux chocs exogènes et des orientations sectorielles souvent hasardeuses, aggravées par le recul de secteurs traditionnellement porteurs, tels que les industries chimiques, la pêche et le tourisme. Il n’a pas manqué de fustiger des débours de prestige, au détriment des priorités et urgences, singulièrement dans les système de santé, de production et de distribution d’énergie électrique, de l’assainissement urbain, d’ailleurs absent dans la moitié des capitales régionales Aujourd’hui, assurera-t-il. Le Sénégal va opérer une réorientation de ses choix en matière de politique économique, pour lui permettre de mieux tirer parti de ses échanges avec le reste du monde.

 

Tryptique : protection, transparence et efficience

 

Les blâmes infligés au régime sortant, notamment en termes d’habitat social difficilement accessible, d’une école budgétivore (20% du total et 2400 milliards de f CFA entre 2000 et 2010), une formation professionnelle peu développée, l’inadéquation formation-emploi dans le supérieur, la concentration des établissements de formation à Dakar, l’insécurité alimentaire, une justice souffrant de dysfonctionnements, … sont synonymes d’autant de chantiers à réaliser. Ainsi, promettant de faire à la fois dans l’urgence et dans la prospective, des solutions structurelles seront destinées, par le nouveau gouvernement, à l’emploi des jeunes, la sécurité alimentaire, l’amélioration durable des revenus du monde rural, l’assainissement du cadre de vie, l’accès de tous les citoyens à des services sociaux de base de qualité, etc.Mais aussi, l’amélioration de l’environnement des affaires, la bonne gouvernance, l’assainissement des finances publiques, la consolidation des bases d’une croissance forte, durable et inclusive, le renforcement de la démocratie et de la sécurité et de l’intégration régionale, sont dans le pipe.

 

Ce sont des réponses concrètes qui seront apportées, en réinventant un Etat efficient, sobre et régulateur, basées sur le Programme Yoonu Yokkute. Il sera question d’asseoir les bases économiques solides pour le développement, avec des priorités basées sur les jeunes et les femmes, acteurs du développement, forces motrices des changements et cibles principales des politiques sociales, mais également sur le monde rural, pour en faire un véritable centre d’impulsion de la croissance.

 

Emergence, en ligne de mire

 

En termes d’options stratégiques, l’action du Gouvernement d’Abdoul MBaye sera principalement marquée la consolidation des bases d’une gouvernance démocratique, transparente qui lutte contre les injustices sociales, le renforcement de la décentralisation et la territorialisation des politiques publiques pour impulser le développement des terroirs, une croissance soutenue, durable et inclusive. Cette dernière devra être bâtie autour d’un meilleur environnement des affaires favorisant l’attractivité de l’économie du Sénégal aux investissements privés, et d’un développement plus équilibré du territoire, avec l’émergence de pôles de développement régionaux dynamiques. La relance du secteur agricole ne sera pas en reste.

 

Cités intelligentes

 

Il s’agira d’ériger des pôles de développement, spécialisés en fonction de leurs potentialités naturelles, et dotés de plateaux d’équipements sociaux de base, d’infrastructures et de services de soutien à la production, de pôles universitaires et de recherche, et de centres de formation professionnelle spécialisés. En somme de Cités intelligentes, de Technopoles et Technoparcs intégrés. Mais aucune précision sur le modèle en BOT, BLT, DCMF, ... mise à part la création d’incubateurs, ou des Maisons de l’Entreprise, à développer à travers les régions, mais aussi de projet « Villages du Millénaire » en cours d’expérimentation dans la région de Louga, et du pôle de croissance avec l’implantation d’unités industrielles autour de l’Aéroport de Diass. Riche de la maxime « Qui embrasse trop, mal étreint ! », le gouvernement du Sénégal va s’appesantir sur l’agriculture (dont 250.000 ha de périmètres irrigués et 1,6 million de t de riz paddy en 2018) renforcée de centres agrobusiness, de zones-pilotes d’élevage, mais aussi sur le tourisme, les industries extractives et chimiques (avec un nouveau Code Minier), les BTP, les industries culturelles, l’artisanat, ainsi que les TIC et services (Plan stratégique), des secteurs à fort potentiel. L’objectif est de faire triompher le Label Sénégal.

 

Pour assurer la croissance, qui sera soutenue par le renforcement des capacités énergétiques (porter la capacité de Senelec à 736 MW en 2013, le renforcement du mix-énérgétique l’électrification rurale sera portée à 50 % à l’horizon 2015 et 60% en 2017, pour atteindre plus de 1 100 000 habitants), la poursuite des travaux de l’autoroute à péage et de l’aéroport Blaise Diagne, ainsi que le démarrage effectif des travaux du Millenium Challenge Account, et la reprise du tourisme, le Gouvernement entend veiller à ce que l’inflation soit contenue en deçà de la norme communautaire des 3%. En outre, le déficit budgétaire sera ramené sous la barre de 5% en 2013, puis à moins de 4% du PIB en 2015, afin d’assurer la viabilité des finances publiques. Celles-ci seront assainies avec la baisse du train de vie de l’Etat, une démarche similaire conduit à proposer la suppression du Sénat, ... Aussi, une politique d’emprunt plus prudente sera menée, afin de préserver la viabilité de la dette publique.

 

Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a d’ailleurs révélé que la Stratégie de gestion de la dette à moyen terme, qui sera finalisée avant fin septembre 2012, permettra un reprofilage de la dette. Désormais, l’accent sera mis sur les prêts concessionnels contre les emprunts extérieurs, et les instruments de long terme au détriment d’émissions de titres publics. Entre autres mesures pour booster la croissance, il est prévu un nouveau Code Général des Impôts, la baisse de la fiscalité sur les salaires, le relèvement de 7% à 10% du taux des pensions de retraite versées par l’Ipres (impulser la consommation). Les partenaires traditionnels du Sénégal seront, bien entendu, sollicités pour le programme économique et social.

 

Instruments de financements

 

Un Fonds Souverain d’Investissement Stratégique (Fonsis) sera créé et devra contribuer à apporter des ressources aux entreprises privées et parapubliques à fort potentiel de développement, notamment dans les secteurs des BTP, des médias, des télécommunications, de l’agroalimentaire, de l’énergie et des hydrocarbures, ... Il permettra aussi de renforcer la gouvernance de ces entreprises.

 

Aussi, le Fonds de Garantie et d’Investissements Prioritaires (Fongip) apportera des appuis ciblés destinés aux petites initiatives, aux micro-entreprises, et enfin aux PME/PMI, qui doivent constituer le socle de la croissance. Les PME/PMI bénéficieront de programmes de mise à niveau, ainsi que d’appuis en matière de réorganisation de leur système de production et de management.

 

Il s’agit de fonds devant constituer des instruments d’appoint déterminants pour stimuler l’investissement privé, tout en accroissant les performances du secteur public et parapublic. A en croire, le chef du gouvernement, l’économie trouvera aussi de nouveaux instruments de financement avec l’amélioration du cadre fiscal de l’activité de crédit-bail, du capital- risque et le développement de la finance islamique. De plus, suivant une démarche inclusive et participative, un appel à la solidarité sera lancé aux secteurs à forte croissance, par le biais de prélèvements spécifiques. Last but not least, des réflexions sur la réforme de l’épargne institutionnelle seront entamées, notamment la poursuite de la restructuration du secteur des Assurances, des systèmes de retraite, la valorisation des ressources de la Caisse des Dépôts et des Consignations, et l’approfondissement du marché des capitaux.

 

Carence d’objectifs chiffrés

 

Sur le plan des infrastructures, les voies terrestres, maritimes, ferroviaires et aériennes (vers l’open sky) seront dynamisées. La Casamance, région test de la stratégie de développement des terroirs) sera particulièrement désenclavée, avec 29 ponts programmés, outre le nouveau pont Emile Badiane.

 

Si des échéances sont données sur la mise en place de la Caisse autonome de protection sociale universelle (Capsu), dès 2013, pour contribuer au financement d’allocations aux familles défavorisées et à la Couverture Maladie Universelle, sous la forme d’une Bourse de Sécurité Familiale, la redynamisation du Plan Sésame, la réforme du système de l’assurance maladie obligatoire, peu de chiffres ont filtré sur les gains en exportations, sur les emplois générés dans les différentes branches cibles, … Pourtant l’aspiration du peuple à un véritable changement reste vivace, tant sa déception a été grande après les espoirs vains de la première alternance de mars 2000. Pourvu que la volonté, exprimée de forger le destin du Sénégal, suive.

 

DAOUDA MBAYE,

Casablanca