TAUX D’ABSTENTION A COLOBANE, ROND-POINT CASE-BI, PIKINE « Je ne suis pas allé voter, parce que je n’attends plus rien des politiques… »

Un tour à Colobane (Dakar), à Case-Bi aux Parcelles Assainies, à Pikine et au terrain de football des Hlm Fass, a permis de tâter le pouls du taux d'abstention record des élections législatives. Partout, la fièvre électorale était au plus bas, avec de réels pics de dépit dans la banlieue dakaroise.

COLOBANE : «Pourquoi je suis découragé des politiques» 

Debout comme un piquet sur l'artère principale de Colobane, Cheikh Diouf tient sous le bras des pantalons de toutes les couleurs. Ce marchand ambulant a encore bravé hier dimanche, le pavé pour proposer sa marchandise. De teint noir, habillé d'un pantacourt bleu à rayures jaunes et d'un tee-shirt aux couleurs arc-en-ciel, ce jeune homme devrait se rendre à Touba, pour sacrifier à son droit civique de citoyen, mais il a plutôt préféré courir les clients en ce jour d'élections législatives. «Cela ne vaut plus la peine de se rendre à Touba pour aller voter, d'autant que les politiques ne sont mus que par leurs propres intérêts. Je me suis beaucoup battu pour des politiciens, mais je n'ai rien obtenu en retour, alors, pourquoi se décarcasser encore pour eux», déplore-t-il, guettant de ses yeux d'hypothétiques clients. 

Jour d'élections des députés, Colobane est grouillante de monde comme d'habitude. Sur les lieux, rien ne montre que la représentation populaire symbolisée par l'Assemblée nationale est en jeu. Colobane se signale par ses multiples et menus services, ses marchandages interminables, ses petites entourloupes mesquines, les klaxons interminables des cars rapides aux moteurs ronflants... C'est dans ce décor que Cheikh Diouf peste contre les politiques qui n'ont rien fait pour améliorer la situation des plus démunis. «Au lieu de me fatiguer à suivre es politiques, je me contente de travailler comme aujourd'hui pour venir à bout de mes problèmes. Je n'attends plus rien des députés, qui, une fois élus, se soucient plus de leurs intérêts et de ceux de leurs clans que de nous autres les pauvres», martèle-t-il, debout comme une statue. 

A quelques mètres de là, Fallou Ndoye, un jeune de 25 ans, assis sur un tabouret devant une table bien achalandée de chaussures de sécurité, tient entre ses mains les listes des 24 formations en lice pour les élections législatives. Pourtant, lui n'est pas encore parti voter. «C'est un de mes amis qui m'a donné ces bulletins, je ne suis pas allé voter, parce que j'ai perdu ma carte d'électeur il y a de cela une semaine», justifie-t-il, sans convaincre. De ses arguments tirés par les cheveux, l'on devine aisément son manque d'engouement. Mais, Fallou qui habite Grand-Yoff, trouve une explication à la manière désinvolte dont ses amis vendeurs observent les élections législatives. «Ici tout le monde s'est mobilisé lors de la Présidentielle pour voter Macky Sall, mais depuis qu'il est au pouvoir il y a trois mois de cela, nous n'avons pas encore vu de grands changements. Il a essayé de réduire les prix des denrées de première nécessité, mais on ne sent pas la baisse, avise-t-il, Macky devra faire plus d'efforts pour satisfaire la demande sociale.» Son ami Cheikh Amar, 23 ans, fait voir avec ostentation son doigt trempé dans l'encre indélébile. Lui a voté à l'école Sacoura Badiane de Colobane, mais presque à contrecœur. Il dit : «Si ce n'était pas le souci de satisfaire à un droit civique, je n'allais pas voter. Parce que je suis découragé des politiques, qui ne s'occupent due de leurs problèmes. C'est pourquoi je n'attends plus rien d'eux, je ne crois qu'à moi-même.» Un car rapide laissant cracher un gaz asphyxiant, passe. Colobane ploie sous une chaleur d'étuve, un vieil homme, Ndiaga Guèye, 70 ans, vêtu d'une tunique traditionnelle, semble fuir cette chaleur accablante en se refugiant sous l'ombre d'une table inoccupée. «Je n'ai pas encore voté, mais je vais y aller dans l'après-midi, mais là, il faut que je me débrouille pour amener quelque chose à la maison», explique-t-il, tenant des tee-shirts sous la main. Colobane bruit pourtant de tous les commentaires. Ici l'on parle de la finale de l'Euro qui se joue entre l'Italie et l'Espagne et surtout de Super Mario Balotelli, là, on épilogue sur le combat Modou Lô-Gris Bordeaux, comme si les élections législatives n'étaient pas d'actualité... 

CASE-BI PARCELLES ASSAINIES : «Ils passent leur temps à nous tromper...» 

Le décor de Case-Bi ressemble à un jour ordinaire, taxis en stationnement qui attendent des clients, trafic affluent. Oumar Diakhaté, taximan d'une soixantaine d'années, chemise bleue, pantalon beige quelconque et des sandales en cuir blanc, harangue les passants de sa faconde. «Dakar, Dakar ! Où allez-vous ?» Depuis ce matin, Oumar court les clients, alors, les élections législatives, ça peut attendre. «Les politiques passent leur temps à nous tromper, ils nous promettent des choses qu'on ne voit jamais. Alors, qu'ils nous laissent nous débrouiller pour assurer la dépense quotidienne pour demain, car ils ne le feront pas à notre place», débite-t-il, sous un air taquin. «Nous nous attendions à ce que le gouvernement baisse le prix du carburant et jusqu'à présent, rien. C'est bien de parler des audits, mais il faut parer au plus pressé, penser à soulager déjà les préoccupations des populations», préconise-t-il, sous le regard de ses collègues qui acquiescent d'un hochement de la tête. Lui devait voter à Guédiawaye, mais ne compte pas bousculer son agenda du jour à cause d'élections législatives. Un de ses collègues, Cheikh Faye, barbe abondante, physique filiforme, dit travailler jusqu'à avoir l'esprit tranquille avant d'aller voter. Il lâche dans un large sourire : «Un sac ne se tient pas debout, s'il n'a rien.» Faisant allusion aux problèmes qui empestent son 

quotidien. A l'angle au rond-point Case Bi, Bassirou Gaye tient une table remplie de tee-shirts, de survêtements, de slips, ce commerçant de 28 ans qui devait voter à Nioro (centre du pays) plaide le manque d'argent pour expliquer son choix. «Je ne peux pas aller comme ça à Nioro, juste pour voter ; il faut que j'apporte des étrennes à mes parents qui attendent beaucoup de moi», dit-il, dans un franc-¬parler détonnant. La tristesse dans son regard épouse les contours de son tee-shirt noir et de son pantalon jean sombre. Son voisin d'à côté, vendeur d'accessoires de portables, enfonce le clou : «Nous n'avons plus rien à espérer des politiques. Dans ce pays, désormais, il faut se battre pour soi-même. » Autre lieu, même atmosphère de manque d'engouement à Usine Tally Bou Mack. 

STATION PIKINE TALLY BOU MACK: «Le combat contre Wade était plus important, le reste n'a pas d'importance» 

Dans la grande cohue des vendeurs à la sauvette, des cars rapides et autres clandos qui composent le décor bruyant de la station d'essence de Pikine Tally Bou Mack. En face de là, Aliou Diallo, vendeur de fruits, très aguicheur derrière sa table bien garnie de fruits de toutes sortes, se laisse trahir par son inculture politique. «Je ne suis pas encore parti pour voter, mais je vais voter pour Macky», sourit-il, pince sans rire. Il faut comprendre par là, qu'il va porter son choix sur la coalition «Benno Bokk Yaakaar». Mais, c'est son fils, Alpha, un jeune homme d'une vingtaine d'années au physique bodybuildé, qui va voler au secours de son père. «Je crois que les gens ne sont pas enthousiastes pour aller voter. Parce qu'ils sont découragés de la chose politique», serine-t-il. A cinq mètres de là, très à l'étroit dans son car rapide brinquebalant, le chauffeur Modou Ndiaye Guèye explique son refus d’aller voter par les soucis qui l’habitent. « je suis père de famille et il faut que je pense d’abord à régler les problèmes que j’ai laissé à la maison, avant d’aller voter », opte-t-il, assis au volant de son car. En écho, Ameth Ndiaye, un photographe trouvé à la devanture de Séoul Photo, renchérit. « Nous ne travaillons pas d'habitude les jours d'élections, mais nous avons dérogé à la règle, car nous faisons face aux frais du loyer, au dépenses quotidiennes etc. C'est pour quoi nous avons ouvert. Et puis, les politiques ne méritent pas que nous laissions tomber notre boulot pour eux», dégaine-t-il, sans sommation. Très loin de là, au terrain Hlm Fass Paillote, les deux équipes, «grands » contre «petits» sont aux oranges. Sous la touffeur ambiante, les joueurs suant à grosses goutes, squattent la seule ombre du coin. Djibril Ndoye maillot bleu, bas blouson bleu, l’attaquant des «Grands» qui mènent à un moment de la partie 1 but à 0, n'a pas encore voté. «Je n'ai pas encore voté mais je pense que les Sénégalais n'ont pas encore saisi les vrais enjeux des Législatives et les politiques n'ont rien fait durant la campagne pour les aider», argue-t-il, le souffle coupé. Son coéquipier, El Hadj Top, torse nu, qui joue en défense, passe à l'offensive «Les Sénégalais lors de la Présidentielle, n'avaient qu'un seul combat, aborde-t-il, le départ de Wade. Aujourd'hui qu'il est parti, le gens se foutent pas mal du reste. Pape Belem, attaquant des «petits » vêtu d'un maillot marseillais et d'un culotte rouge, est cameraman dans le civil, son regard n'est pas innocent «Les Sénégalais ont eu du mal à s’habituer aux visages des 24 têtes de listes, s'y ajoute, le départ de Abdoulaye Wade du pouvoir qui cristallisait toutes les passions. Maintenant qu'il n'est plus là, les propositions pour aimanter les suffrages des électeurs font défaut», indique-t-il. Le match a repris sous la chaleur, tout près les posters de Mansour Sy Djamil placardés sur mur de l'immeuble, a peut-être les yeux rivés sur un autre match qui : joue en dehors de ce terrain de foot mais sur les urnes...délestés par les citoyens.