Une fierté pour l'Afrique

Avait-on vraiment raison d’avoir peur de la présidentielle sénégalaise? De ses lendemains? Et surtout de la perspective d’un second tour? A priori, la réponse c’est oui. Parce que les Sénégalais ont dessiné le diable sur le mur.

Parce qu’ils l’ont surtout tenté de plus près, ils ont donné des sueurs froides aux Africains et au reste du monde. D’abord par l’entêtement du président Abdoulaye Wade à briguer un autre mandant de sept ans à la tête de l’Etat, au terme des deux premiers au prétexte du principe de la non-rétroactivité de la loi limitant le nombre de mandats à deux. Ensuite à cause du raidissement des lignes de fractures, après le saut citoyen du 23 juin 2011, ayant fait échec à la réforme constitutionnelle prévoyant un ticket élu par 25% de suffrages à la tête du pays. Enfin, du fait de l’escalade déclenchée au lendemain de la validation de la candidature d’Abdoulaye Wade, le 27 janvier, par le Conseil constitutionnel, et qui a culminé au cours de la récente campagne présidentielle par les affrontements entre la police et les manifestants contre la candidature de président Wade. 08 morts sont restés sur le carreau.

Contre toute attente cependant, ce peuple a donné la preuve d’une étonnante maturité politique. Il a surtout traduit à travers le scrutin de dimanche, 26 février 2012, son attachement aux valeurs démocratiques. Une cinglante admonestation au président sortant, Me Abdoulaye Wade. Lui, a tenu jusqu’au bout, à son maintien au pouvoir. Allant jusqu’à annoncer sa réélection au premier tour, non sans suggérer le score de 53%. Il a vite oublié donc, les douze années d’une gestion controversée du pouvoir. Il a évacué de manière sommaire, ses frasques, incartades dans une incompréhensible obstination. Elu avec 54% de suffrages dès le premier tour en 2007, le président candidat est condamné à un second tour des plus redoutés. Il devra croiser le fer avec son «fils», Macky Sall, au cours du prochain round mathématiquement acquis à son ancien Premier ministre.

Une perspective qui ne se concrétise que parce que les Sénégalais ont su se mettre debout pour faire barrage à l’effronterie de Gorgui \[le vieux en wolof], dans un sursaut patriotique, n’hésitant pas à se constituer en une coalition de politiques et de militants de la société civile, baptisée M23. Un mouvement populaire qui a entretenu la flamme de la résistance née le 23 juin 2011 lors d’une marche vers le parlement sénégalais. Une mobilisation dont la place de l’Obélisque à Dakar est devenue l’emblème. De ces marches pacifiques au vote de dimanche dernier, les Sénégalais ont affirmé le rejet des modes d’expression violents. En effet, le taux d’abstention record de près de 40% a mis entre autres en évidence les craintes des potentiels électeurs de se retrouver pris dans une spirale de la violence électorale au cas où les adversaires déclarés de la candidature de Me Wade auraient à en découdre le jour du scrutin avec des forces de l’ordre de toute évidence sur les dents.

A l’opposée, la mobilisation des autres 60% dans l’ordre et la discipline, a montré la préférence de la majorité, de l’expression démocratique, des différences et au regard des résultats sortis des urnes, de la capacité du peuple sénégalais à distribuer les bons et les mauvais points à qui les mérite. C’est ici que ce peuple qui s’est retrouvé quasiment dans la même situation que le Cameroun, lui adresse un message. Celui d’une citoyenneté agissante. Celui d’une lutte politique démocratique qui intègre dissonances et dissidences dans l’unité. Une implication en temps réel de tous les citoyens dans la vie de la République, contrairement à ce pays, le Cameroun, où tout le monde aspire au mieux-être et à l’émancipation sans daigner faire de sacrifice.

Au Sénégal, il est possible de se retrouver en compétition avec son mentor et façonneur d’un destin politique sans risquer d’être voué aux gémonies. Il est surtout normal d’avoir consolidé un système dont on devient le pourfendeur dès lors que l’on se donne des projections politiques cohérentes et pertinentes. Dans ce pays-là, le peuple qui ne succombe pas aux achats de voix, fait payer le prix de l’arrogance et de l’incohérence à ses promoteurs. Mais aussi, celui de la césure avec le peuple. La rançon de l’aveuglement forcené. Une voie jamais tracer par Senghor et Diouf. Un sillon ramassé en cours de route par le géniteur du «sopi» que ses disciples d’hier ne reconnaissent plus. Une reculade que de nombreux observateurs vivent mal à ce Sénégal évolué, comparé aux autres pays africains de même niveau où les dirigeants n’ont, en général, fait montre que de cécité politique.

En choisissant Macky Sall (50 ans) comme challenger du président Abdoulaye Wade, loin des vieux briscards de la classe politique sénégalaise en lice, les Sénégalais font le choix de la rupture d’avec une génération. Ils disent leur espoir en l’avenir. Non sans congédier Moustapha Niasse (72 ans) et Ousmane Tanor Dieng (65 ans). Surtout que l’un et l’autre ont annoncé au début de cette échéance électorale qu’elle sera pour chacun d’entre eux la dernière, quelle que puisse en être l’issue. Un trait devrait donc être tiré sur cette génération qui a connu Senghor, travaillé avec Diouf et combattu aux côté ou face à Wade. Une soif de jeunesse et de dynamisme que Macky Sall incarne. Une tendance qui manque cruellement à un Cameroun, par exemple, qui broie ses meilleures ressources humaines. Doute de ses valeurs les plus sûres et abrite son devenir sous l’aisselle d’un chef d’Etat manifestement épuisé par un pouvoir qu’il exerce de puis plus de 50 ans. Autant de leçons pour lesquelles, à l’issue de ce premier tour, le Sénégal est une fierté pour l’Afrique.