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Sante

Au Sénégal, le combat contre le cancer du col de l’utérus pollué par les «antivax»

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Au Sénégal, le combat contre le cancer du col de l’utérus pollué par les «antivax»
La défiance des Français vis-à-vis du vaccin contre les papillomavirus humains (HPV) s’exporte en Afrique.



Dans la cour de récréation de l’école élémentaire Sacoura-Badiane, du quartier populaire de la Médina de Dakar, des infirmières s’installent. Quatre chaises en plastique, une glacière, et une boîte de seringues, c’est tout ce dont elles ont besoin pour vacciner la centaine d’écolières qui se mettent en file indienne. En moins de trois heures, toutes ces jeunes filles recevront leur première dose du vaccin contre les papillomavirus humains (HPV). Il en faudra une autre six mois plus tard pour que les fillettes de 9 ans soient efficacement protégées de ces virus sexuellement transmissibles, responsables des lésions du col de l’utérus pouvant évoluer en cancer. Si le cancer peut mettre des années à se développer, le virus s’attrape généralement très jeune, au moment des premiers rapports sexuels.


Dans les rangs, l’appréhension et la crainte se devinent. Certaines regardent du coin de l’œil ce qui se passe quelques mètres devant elles, tandis que les plus téméraires rient de voir leur copine grimacer ou verser une larme au moment de l’injection. «Ça ne fait même pas mal. Ça picote, c’est tout», lance une fillette fluette tout en pressant fièrement le morceau de coton contre son épaule. Son visage s’assombrit un peu quand elle apprend qu’une deuxième injection est nécessaire dans six mois.

Plus généralement, l’incompréhension domine. Peu d’entre elles ont réellement saisi à quoi sert cette injection. Pour ces petites filles, le cancer du col de l’utérus est un mal inconnu. Et en ce début du mois de mars, l’arrivée des premiers cas de Covid-19 à Dakar fait régner la confusion. «Si c’est pour le coronavirus, ma mère ne veut pas», prévient l’une d’elles tout en triturant le bout de sa robe rose délavée. «Mais non, ce n’est pas pour le coronavirus, c’est pour le cancer du col de l’utérus. C’est une maladie qui touche les femmes adultes, et qui tue. C’est pour vous protéger. Je vous l’ai expliqué hier», répond l’enseignante Marième Ndiaye. «Les parents aussi ne comprennent pas vraiment. Plusieurs sont venus à l’école pour obtenir des explications. Le cancer du col de l’utérus touche pourtant toutes les familles ici au Sénégal. Mais il n’est pas rare que les médecins n’utilisent pas le mot cancer. Et puis tous les parents ne parlent pas français. Nous devons donc leur expliquer dans la langue nationale, le wolof», glisse Mme Mendy, sa collègue.

Le deuxième cancer le plus fréquent et le plus meurtrier

De fait, au Sénégal, et plus largement sur le continent, le cancer du col de l’utérus est omniprésent. C’est le deuxième cancer le plus fréquent et le plus meurtrier (après le cancer du sein). «Les femmes arrivent à des stades très avancés à l’hôpital, en raison du manque de dépistage et du difficile accès aux soins. Le coût des traitements qui peut grimper jusqu’à 3500 euros est aussi un frein, même si la chimiothérapie est gratuite pour les cancers gynécologiques depuis un an», commente le Pr Mamoudou Diop, directeur de l’Institut de Cancer de Dakar, l’unique centre de prise en charge de tout le pays.

Le ministère de la Santé a décidé de l’introduire dans son programme de vaccination en octobre 2018. Il est le premier pays d’Afrique de l’Ouest à l’offrir aux jeunes de filles de 9 ans et plus grâce au soutien financier de l’Alliance mondiale du vaccin (Gavi) qui réunit des pays donateurs, des fondations comme celle de Bill et Melinda Gates, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Unicef, mais aussi l’industrie du vaccin. Et le programme est ambitieux: plus de 95.000 jeunes filles doivent être vaccinées tous les ans.

Certaines familles se ­méfient des vaccins financés, en partie, par l’étranger. Elles pensent qu’ils sont de mauvaise qualité, mal ­stockés, voire pire, dangereux

Mme Séné, superviseur du programme de vaccination dans le district sud de Dakar

Mais à la fin 2018, une grève des agents de santé pour une meilleure rémunération a tout compliqué. Pour exprimer leur mécontentent, ils ont boycotté les séances de vaccination. Certains sont même allés plus loin en véhiculant de fausses informations sur l’innocuité du vaccin. Des intox venues tout droit de France. Les agents de santé, rejoints par des directeurs d’école et des enseignants, ont en effet repris les propos antivaccins de médecins français, et notamment ceux du cancérologue Henri Joyeux. «Les vidéos dans lesquelles il remet en doute l’efficacité du vaccin et raconte qu’il provoque de graves effets indésirables ont beaucoup circulé sur les réseaux sociaux. Il a créé beaucoup de soucis», témoigne Mansour Niang, secrétaire général de la Ligue sénégalaise contre le cancer (Lisca) qui s’est battu dès 2011 pour que le Sénégal propose le vaccin aux jeunes filles.


La défiance de la population française autour de ces vaccins (commercialisés sous les noms de Gardasil ou Cervarix) a aussi nourri la polémique. En France, la vaccination est recommandée pour toutes les jeunes filles de 11 à 14 ans, mais moins d’un quart des moins 16 ans avaient effectué toutes leurs injections fin 2018. «Des parents nous disaient: “Si les Français ne font pas vacciner leurs enfants, c’est bien qu’il y a un problème. Pourquoi le ferai-je?”», relate Mme Séné, superviseur du programme de vaccination dans le district sud de Dakar. Et de poursuivre: «Certaines familles se méfient des vaccins financés, en partie, par l’étranger. Elles pensent qu’ils sont de mauvaise qualité, mal stockés, voire pire, dangereux», déplore-t-elle. Puisant dans le souvenir de scandales médicaux qui ont marqué l’Afrique, et la peur d’être «le cobaye» des Occidentaux, des familles ont donc refusé que leurs filles soient vaccinées. Des craintes que l’on voit ressurgir aujourd’hui en pleine tempête Covid-19.

À Ziguinchor, la plus grande ville de Casamance située à plus de sept heures de Dakar, deux écoles mitoyennes ont une politique différente face à cette vaccination. Curieusement, l’une accueille volontiers les équipes et a déjà administré la première dose alors que l’autre dit ne pas savoir que cela existe. «Personne n’est venu me voir pour faire vacciner les enfants», assure le directeur de l’école récalcitrante. Refus déguisé ou véritable ignorance? Difficile de trancher. La majorité des mères de famille croisées au marché aux légumes n’ont jamais entendu parler de ce vaccin. Celles qui en ont eu vent ont un avis bien arrêté: «Ma fille ne sera pas vaccinée tant que j’aurai des doutes.»

Pour contrer la diffusion de ces messages qui ont déferlé dans tout le pays, un groupe de gynécologues a multiplié les apparitions dans les médias. «Toutes les données scientifiques montrent que ce vaccin est sûr et efficace pour prévenir les infections à HPV, et les lésions précancéreuses du col de l’utérus», répète inlassablement le Pr Diop. Les ministères de la Santé et de l’Éducation ont aussi organisé des séminaires pour former les directeurs d’école, acteur clé de la stratégie de vaccination du pays.

En parallèle, la Lisca s’est appuyée sur les marraines de quartier, un réseau de femmes bénévoles, jouant un rôle essentiel dans les communautés. «Ces figures respectées sont chargées de sensibiliser les femmes aux questions de santé, de sexualité et de contraception. Nous les avons formées pour qu’elles puissent informer sur le cancer du col de l’utérus, et déconstruire les fausses informations relayées par ce médecin français», explique le Dr Fatma Guenoune, spécialiste des pathologies cervico-vaginales et présidente de la Lisca.

Sur le terrain, les équipes de vaccination assurent que ces actions ont payé. La confiance s’améliore, et les refus sont devenus rares. Et de fait, à Dakar, toutes les fillettes de 9 ans de l’école Sacoura-Badiane ont été vaccinées. Pour autant, les registres ministériels révèlent un nombre important de perdues de vue: en 2019, moins de 69.000 petites filles ont reçu leur seconde dose sur plus de 222.900 primo-vaccinées dans tout le pays.


* Ce reportage a été financé par une bourse du Centre européen pour le journalisme (EJC).


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