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Sante

Bac+8 en médecine et tout sauf médecin

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Bac+8 en médecine et tout sauf médecin

On les surnomme les « privés de thèse ».

Titulaires d’un bac+8 en médecine générale et ayant pour la plupart exercé pendant plusieurs années, ils sont aujourd’hui au chômage ou en reconversion professionnelle. La raison ? Un décret, paru en 2004 qui enjoignait les étudiants n’ayant pas encore obtenu leur doctorat de fin de cursus à soutenir leur thèse avant la fin de l’année universitaire 2011-2012.

Pour diverses raisons, ces ex-étudiants n’ont pas pu tenir le délai. Tous avaient un pied dans la vie active, grâce à des statuts leur permettant d’exercer la médecine provisoirement sans diplôme, et repoussaient ainsi l’échéance. Surtout, tous affirment ne jamais avoir été informés de ce décret par leur université, ou alors bien trop tard.

Ils sont au minimum une quarantaine en France, selon le Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG), qui a commencé à les recenser via son site internet. Mais ce nombre serait sous-estimé : « Nous manquons d’informations à ce sujet et la situation de précarité dans laquelle se trouvent certains ‘privés de thèse’ peut les dissuader d’en parler. A cela s’ajoutent également parfois un sentiment de honte et une certaine résignation », précise Christine Wyttenbach, qui est chargée de ce dossier au SNJMG.

Pourquoi empêche-t-on des professionnels formés et motivés de passer leur doctorat pour exercer, alors que la pénurie de médecins généralistes en France n’a jamais été aussi criante ? Entre 2007 et 2016, leur effectif a diminué de 8,4%, signale le Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom), qui prévoit la perte d’un généraliste sur trois sur la période 2007-2025.

Nous sommes allés à la rencontre de quatre « privés de thèse ». Qu’ils et elles soient inscrits à Pôle emploi, agent immobilier, vendeuse en charcuterie ou étudiante en sophrologie, tous demandent à l’Etat de leur octroyer une seconde chance. Ils témoignent.

« Je n'avais fait que de la médecine toute ma vie » 


Christian Gauchet, 47 ans, Strasbourg (Bas-Rhin)

« Dix-sept ans et trois mois : c’est la durée durant laquelle j’ai enchaîné les postes en tant que faisant fonction d’interne (FFI)* au Samu, après mes études de médecine. J’ai donc travaillé pour les hôpitaux de Saverne et de Strasbourg jusqu’en février 2013 grâce à des contrats de six mois renouvelables, néanmoins mal payés.

Je savais que cette situation n’était pas pérenne et qu’il faudrait, un jour ou l’autre, que je passe mon doctorat, mais je n’avais pas de date butoir. J’étais pris par le travail – de jour comme de nuit, ou le week-end – et ma vie de couple. Quand on est sur le terrain, on se sent loin des préoccupations scolaires. Plus le temps passait et plus je me disais : “J’ai vécu douze ans comme ça, je ne suis plus à deux mois près.”

Je me suis finalement décidé à commencer ma thèse en 2009, en parallèle de mes FFI. En 2013, je me suis rendu à la fac, ma thèse sous le bras, pour demander un dossier de soutenance. Et c’est là que j’ai appris pour le décret, via la cheffe de la scolarité. Je ne pouvais plus m’inscrire. C’était une douche glacée.

Ce jour-là, mon monde s’est écroulé. A 44 ans, je n’avais fait que de la médecine toute ma vie. Comment peut-on mettre dix ans d’étude et vingt ans d’expérience à la poubelle alors que l’on manque de médecins en France ? Je ressentais un mélange de révolte, d’incompréhension et d’abattement terrible. J’étais à une période où je n’avais plus que le boulot dans ma vie. J’ai fait une dépression.

J’espérais toucher le chômage, mais à la fin de mon contrat, j’avais toujours le statut d’étudiant. J’ai vécu pendant un moment sur mes réserves d’argent, avant de faire une demande de RSA en 2014. J’ai mis presque deux ans à sortir la tête de l’eau, passant d’un métier où je n’avais pas le temps de me reposer à une vie sans rien pour me fatiguer…

J’en suis venu à éviter de donner des nouvelles à mes proches, par fatigue et manque de courage. A ne plus avoir envie de rencontrer des gens pour ne plus avoir à raconter le même baratin. Quand tu es invité quelque part, tu as toujours droit au fameux “tu fais quoi dans la vie ?”, qui débouche éternellement sur la même séquence.

Sur le papier, nous – les privés de thèse – sommes une bande de bras cassés. Ils ne savaient pas quoi faire de moi à Pôle emploi. A tel point que j’avais commencé à répondre à des demandes de contrats aidés, payés au smic, pour l’entretien d’espaces verts. Je ne regardais même pas ce qui passait, je postulais à tout, tant que ce n’était pas trop loin. En vain. Quand j’envoyais mon CV de médecin généraliste, il allait immédiatement à la poubelle : ma candidature était prise pour une erreur d’aiguillage.

Puis un jour, mon conseiller Pôle emploi m’a rétorqué : “Et l’immobilier ?” J’ai répondu “pourquoi pas”, et j’ai fait une formation d’une semaine au mois de juin, financée par le réseau la Fourmi. Je suis dorénavant officiellement agent immobilier indépendant.

On me dit que j’ai du courage de changer complètement d’orientation : non, je n’ai simplement pas le choix. Je n’ai jamais cessé de travailler, et je garde espoir que mes trente années de médecine ne finissent pas aux oubliettes. »♦

* Les postes non pourvus par des internes ou résidents peuvent être proposés à des étudiants en médecine ayant validé leurs six premières années de formation, sous le statut de « faisant fonction d’interne ». Leurs nominations peuvent être renouvelées tous les six mois.

« Tout cela a été fait dans notre dos » 


Virginie Lacombe, 46 ans, Rumesnil (Calvados)

« Huit ans d’études de médecine, deux ans d’internat, des expériences de faisant fonction d’interne au CHU de Lisieux, en chirurgie, en pédopsychiatrie, chirurgie orthopédique et en chirurgie viscérale, trois ans de remplacements de médecins généralistes, puis de nouveau un an en chirurgie à Lisieux… Tout ça a été mis à la poubelle quand j’ai fait le choix d’arrêter de travailler en 1999 pour m’occuper de mes quatre enfants.

A deux médecins généralistes – mon mari l’était aussi, avec des horaires allant la plupart du temps de 7h30 à 21h30 –, c’était intenable. Et dans la majorité des cas, quand il y a un sacrifice à faire, c’est la femme qui s’y colle…

J’avais commencé un sujet de thèse, mais submergée à la maison, je me suis laissée déborder et ma thèse est restée en plan.

C’est lorsque que je me suis dit que ma dernière fille allait partir de la maison que j’ai voulu enfin m’y remettre. En 2013, j’ai contacté le CHU de Caen, où j’avais fait mes études, et j’ai eu une mauvaise surprise. La secrétaire a semblé aussi étonnée que moi de découvrir que je ne pouvais plus passer ma thèse en raison de ce décret de 2004. A ce moment-là, je pensais que l’on me demanderait – et c’est bien normal – d’effectuer des stages de remise à niveau, pas que l’on me dirait que je ne pourrai plus jamais passer mon doctorat. Tout cela a été fait dans notre dos, sans que l’on en soit informés.

Seule solution évoquée par le Conseil national de l’ordre des médecins : repasser tous mes examens de sixième année et valider plusieurs années de stage de remise à niveau. Cela ne me convient pas du tout : il ne me restait plus que ma thèse, dont j’avais commencé à potasser le sujet, tout le reste était validé.

Ce refus de nous permettre de passer notre doctorat est d’autant plus incompréhensible dans un contexte de pénurie de médecins généralistes. Dans les communes alentour, plusieurs praticiens vont partir prochainement à la retraite.

En 2013, j’ai cherché à me reconvertir, d’abord dans des voies professionnelles totalement différentes, comme un élevage de chevaux (j’en ai deux actuellement), mais ça m’aurait coûté plus d’argent que ça ne m’en aurait rapporté. J’ai aussi voulu élever des chiens, mais mon mari n’était pas séduit par cette idée.

Après deux années de réflexion et alors que je suis à présent en procédure de divorce, j’ai plus que jamais besoin de travailler. J’ai finalement décidé de m’inscrire à l’école de sophrologie de Caen en septembre 2015, afin de rester dans une logique de soins. Si j'ai un jour l'occasion de passer ma thèse, j’aimerais lier sophrologie et médecine générale.

Mes études de médecine ne sont jamais bien loin. Nombreuses sont les personnes – à l’école ou dans ma famille – qui me demandent conseil quand elles tombent malades. La plupart du temps, je fais de bons diagnostics. J’ai alors l’impression d’exister encore un peu en tant que thérapeute ! »♦

« Mon conseiller Pôle emploi ne sait pas quoi faire de moi » 


Mohamed Bouamama, 45 ans, Le Robert (Martinique)

« La médecine a occupé ma vie à 100% durant vingt-deux ans. J’étais partagé entre mon cursus à la faculté de Toulouse qui a débuté en 1990, mon internat au CHU de Fort-de-France en Martinique, puis des remplacements dans des zones de déserts médicaux, au nord de l’île, qui m’ont occupé jusqu’en 2012.

Durant ces années, je bénéficiais de licences de remplacement* attribuées par le Conseil départemental de l’ordre des médecins et je ne comptais pas mes heures. J’arrivais en général au cabinet vers 6h30, après avoir effectué une visite de malade à domicile, et je finissais rarement avant 19h30. A certains endroits, les patients arrivaient dès 5 heures du matin pour ne pas faire la queue.

Tout s’est arrêté en 2012, quand j’ai envoyé ma demande de renouvellement de licence, qui m’a été refusée pour la première fois car je n’avais pas passé mon doctorat. Je me suis alors empressé de commencer un sujet de thèse. J’ai fait tout mon travail de recherche en 2013, mais un problème s’est posé lorsque j’ai demandé un dossier de soutenance en 2014. Un doyen de la faculté a refusé, et c’est là que j’ai appris, grâce à lui, l’existence du fameux décret. Un autre doyen, ne voyant pas le problème, a tout de même pris la responsabilité de m’autoriser une dérogation.

J’ai donc soutenu ma thèse en novembre 2014, à laquelle j’ai même obtenu une mention honorable, avec un président de jury qui me connaissait bien et n’imaginait pas un seul instant que ma faculté pourrait par la suite me refuser mon doctorat.

Quand j’ai écrit à Toulouse dans la foulée, avec les documents attestant de la soutenance de ma thèse, je n’ai reçu aucune réponse. J’ai alors décidé de me rendre sur place : la secrétaire administrative a clairement reconnu qu’ils ne savaient pas quoi faire de moi.

Toujours en attente de mon diplôme, je constitue actuellement un dossier à envoyer au Conseil national de l’ordre des médecins et à la faculté de Toulouse.

A 45 ans, je viens de m’inscrire à Pôle emploi, mais je n’ai le droit à aucune indemnité. Mon conseiller est totalement perdu, il ne sait pas quoi me proposer. »♦

* Licence octroyée à des étudiants en médecine inscrits en troisième cycle d’étude, d’une durée maximale de trois mois, renouvelable. Plus d’informations sur le site du Conseil national de l’ordre des médecins.

« J'ai dû faire de l'animation dans des supermarchés » 


Laetitia Monnier, 42 ans, Reims (Marne)

« Bac+8 en médecine, je suis aujourd’hui au chômage après avoir occupé un poste de vendeuse en charcuterie-crèmerie dans un supermarché, au terme d’une longue reconversion.

Après avoir validé le deuxième cycle de mes études de médecine en 2000, j’ai effectué des stages jusqu’en 2003, puis plusieurs remplacements de médecins grâce à des licences spécifiques dont je bénéficiais, jusqu’au jour où ces licences n’ont plus été renouvelées.

Alors que j’avais pris la décision de poursuivre mon projet de thèse en m’inscrivant à la faculté, j’ai dû marquer une pause dans mes projets à cause d’un problème conjugal et d’une dépression.

Une fois remise sur pied, en 2011, j’ai voulu me réinscrire à la faculté. Ma demande a été acceptée, avant d’être finalement rejetée. Ma surprise et mon incompréhension ont été immenses lorsqu’on m’a annoncé le motif : j’étais “privée de thèse”.

Un décret avait en fait été publié entre-temps, duquel je n’avais jamais été informée. Celui-ci imposait une date butoir – juin 2012 – pour que tous les étudiants sous l’ancien régime de formation valident leur thèse.

J’ai ressenti une énorme culpabilité, pensant que je n’avais pas fait mon travail dans les temps. Mais j’ai pourtant validé tout mon cursus, effectué tous mes stages et travaillé.

La période qui s’en est suivie a été très dure pour moi. Au niveau personnel, je repartais à zéro. Après mon divorce, mon conjoint m’avait coupé les vivres, je me suis retrouvée sans rien. Il a donc fallu que je retravaille rapidement.

J’ai d’abord fait des recherches d’emploi dans le secteur médical. Je pouvais devenir infirmière, mais je n’avais pas les moyens de financer la formation. J’ai candidaté à un poste d’aide-soignante en maison de retraite : on m’a répondu qu’il fallait un diplôme d’Etat…

Je me suis finalement tournée vers mon premier job d’étudiante : j’ai fait de l’animation dans des supermarchés. Puis un conseiller Pôle emploi m’a permis d’être embauchée comme vendeuse en charcuterie dans un magasin. J’ai voulu évoluer dans ce domaine, j’en avais besoin. Une sorte de revanche sur le passé. Alors j’ai obtenu un certificat de qualification professionnelle en boucherie, suite à une formation de dix mois. Je suis même arrivée première de mon groupe.

Ensuite, la recherche d’emploi a été plus longue que je ne le pensais. En décembre 2015, j’ai finalement été embauchée comme vendeuse en charcuterie-crèmerie dans un supermarché. J’ai accepté un CDD à temps partiel, sur la promesse d’un CDI aux 35 heures. Je gagnais 970 euros par mois, avec un loyer à 560 euros et une fille à charge. L’entreprise pour laquelle je travaillais a préféré embaucher en CDI une femme plus jeune que moi. Depuis le 23 août, je suis sans-emploi.

Je garde l’espoir de passer ma thèse de médecine un jour. C’est le métier pour lequel je me suis formée, par lequel je suis passionnée, et je ne compte pas laisser tomber.

Je continue à vivre pour la médecine. Lorsque j’ai passé mon diplôme en boucherie, une collègue se plaignait de douleurs à la jambe, soi-disant dues à une insuffisance veineuse selon son médecin. Je n’ai pas pu m’empêcher d’examiner son genou en salle de repos et lui ai trouvé un problème de dos associé. J’ai fait le bon diagnostic : c’est que je n’ai pas encore totalement perdu mes capacités… »♦

 

Les « privés de thèse », pourront-ils, un jour, passer leur doctorat ?

Dans une lettre adressée à Najat Vallaud-Belkacem en septembre 2014, Théo Combes, président du Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG), affirmait être « choqué par ce gâchis humain », déplorant « une impasse aussi tragique qu’absurde ». Un mois plus tard, le SNJMG a déposé un recours devant le Conseil d’Etatpour demander l’abrogation du décret de 2004 et la possibilité pour les anciens résidents d’obtenir leur diplôme. La requête a été rejetée en octobre 2015.

Une possibilité de simple remise à niveau est en discussion, tout comme la reprise d’une partie des études. Saisi par le SNJMG, le Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom) a envisagé plusieurs issues : « Leur faire repasser l’examen classant national est la piste qui nous paraît la plus raisonnable », explique Robert Nicodème, président de la section Formation du Cnom.

Les « privés de thèse » s’engageraient ainsi à refaire au minimum trois années d’études et de stage, avant de finalement pouvoir passer leur doctorat. Laetitia Monnier, à présent au chômage, n’hésitera pas : « Nous sommes plusieurs à avoir peur de l’examen mais je pense que le jeu en vaut la chandelle, j’ai peur que nous n’obtenions rien de plus. Après mon expérience en charcuterie, mon choix sera vite fait. »

« Si les syndicats, les collèges d’enseignants et le Cnom sont d’accord, nous devrions aller vers cette solution », poursuit Robert Nicodème. Reste encore à convaincre les autorités. Véronique Lestang-Préchac, du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, est pour l’instant catégorique. Les dérogations qui ont pu être accordées par certaines universités afin de permettre aux anciens étudiants de se réinscrire sont « irrégulières ». Quant à la possibilité de repasser l’examen national classant : « Pour le moment, je m’en tiens à la réglementation et à la jurisprudence du Conseil d’Etat qui a été assez claire à ce sujet. S’ils devaient être réintégrés, il faudrait modifier cette réglementation pour leur permettre de rejoindre le troisième cycle, donc l’internat. Mais c’est un grand si. A l’heure actuelle, nous n’avons pas de solution. »♦



2 Commentaires

  1. Auteur

    Anonyme

    En Novembre, 2016 (17:39 PM)
    On n'en a rien a foutre. On vit au Senegal.
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  2. Auteur

    Anonyme

    En Novembre, 2016 (20:05 PM)
    C'est de la bêtise ce décret
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