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Sante

Trop se soigner peut-il être dangereux pour la santé ?

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Médicaments en pharmacie, @ BERTRAND GUAY / AFP

Jean-Pierre Thierry, médecin, et Claude Rambaud, juriste, publient mercredi "Trop soigner rend malade". Mais qu'entendent-ils par là ?

"Le trop est l'ennemi du bien", lancent en chœur Claude Rambaud et Jean-Pierre Thierry, auteurs de l'ouvrage "Trop soigner rend malade", paru mercredi (Albin Michel). Claude Rambaud est juriste, spécialiste de la prévention des risques liés aux soins et présidente du CISS, un collectif d'associations (Fédération française des diabétiques (AFD), Vaincre la mucoviscidose, AIDES, Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), Association des paralysés de France (APF) etc.) qui militent pour la garantie des droits des patients. Jean-Pierre Thierry est chercheur et consultant international, spécialiste en santé public, en économie de la santé et en organisation des soins.

Dans cet ouvrage engagé, tous deux font ce constat inquiétant : malgré les progrès de la médecine, les cas de certaines maladies ne diminuent pas. Comment l'expliquer ? "Il a suffi de déplacer un peu les curseurs, c’est-à-dire de baisser les seuils de dépistage", répondent-ils. "Désormais, tout facteur de risque est traité comme une 'maladie'", peut-on lire. Or, les effets de cette surdose de diagnostics, suivie d'une surdose de traitements, selon les auteurs, ne sont pas anodins. Cela entraîne "des examens et traitements inutiles qui génèrent des effets secondaires et des complications" pour les patients. Et pour le système de santé, cela provoque "des dépenses superflues quand nous avons tant besoin d’argent pour soigner les vrais malades et financer la recherche scientifique".

>> Quelles sont les maladies concernées ? Europe 1 vous a sélectionné quelques exemples.

Cholestérol : la France se lâche sur les statines. En France, selon l'Assurance maladie, 6,3 millions de Français prennent des statines (chiffres 2013), une molécule utilisée pour réduire le cholestérol. L'efficacité de cette molécule est internationalement reconnue lorsque les risques cardiaques liés au cholestérolsont élevés, lorsqu'un malade a déjà fait un malaise, voire un petit AVC par exemple. En revanche, pour un faible tôt de cholestérol, leur efficacité est fortement remise en question dans la communauté scientifique. La Haute autorité de santé, par exemple, ne les recommande que pour des cas à risques. Les autorités sanitaires américaines évaluent les risques cardiovasculaires sur dix ans, et ne recommandent les statines qu'en cas de risques élevés.

Or, en France, "la majorité des prescriptions de statines sont encore décidées sur la base du taux de cholestérol dans le sang", écrit l'ouvrage. En clair, certaines personnes qui ne présentent pas de risques cardiovasculaires particuliers se voient prescrire des statines, par précaution, juste parce qu'elles ont du cholestérol. Le problème ?  "Le ratio bénéfice / risque est nul, voire négatif", avance Jean-Pierre Thierry, contacté par Europe 1. Il y a d'abord un risque pour les comptes de la Sécurité sociale : les Français dépensent plus d'un milliard d'euros par an en statines, contre 400 millions en Grande-Bretagne (où les génériques sont davantage répandus). Mais les statines présentent aussi de nombreux risques d'effets secondaires, plus ou moins reconnus.

"Pour 1% des cas, les statines semblent favoriser le diabète. Et dans au moins 20% des cas, si ce n'est bien davantage, on a constaté des défaillances musculaires", détaille le chercheur. Qui enchaîne : "avec les statines, le risque est également de se sentir couvert et de lâcher prise sur les activités physiques et dans la régulation de sa consommation de sucre." S'ils ne disposent pas encore de chiffres clairs sur la part de personnes qui prennent des statines inutilement, les auteurs avancent une part "bien plus élevée que 50%". En 2013, la Haute autorité de santé rendait une conclusion similaire dans un rapport : la France continue d'avoir "un recours abusif aux statines".

Il n'est pas stupide de ne pas se faire dépister systématiquement

Les cancers sont-ils vraiment des cancers ? L'ouvrage s'attaque aussi à des maladies bien plus graves, comme certains cancers. "Pour le cancer du sein par exemple : depuis 20 ou 30 ans, on a abaissé les seuils de dépistage, on a ainsi trouvé deux fois plus de 'cancers'. Pourtant, le taux de mortalité n'a pas baissé", avance Jean-Pierre Thierry. Le nombre de diagnostics de cancers du sein en France augmente, en effet, d'environ 2% par an depuis les années 80 (ce qui peut s'expliquer par l'amélioration du diagnostic mais aussi par le vieillissement de la population, le changement de mode de vie des femmes ou encore l'utilisation de traitements hormonaux), mais son taux de mortalité ne diminue pas (il reste à plus de 11.000 morts par ans depuis les années 2000).

Selon l'ouvrage, cela doit amener à "réfléchir" sur la nécessité d'un dépistage systématique pour les personnes où il n'y a pas de risques avérés. En France, toutes les femmes de 50 à 75 ans reçoivent une invitation pour un dépistage par mammographie tous les deux ans. "Et beaucoup de femmes le demandent d'elles-mêmes tous les deux ans, parfois dès 40 ans, par précaution, sans forcément qu'elles ne présentent de risques", assure Jean-Pierre Thierry. Or, en l'absence de facteurs de risques (antécédent familiaux, présence d'une boule dans le sein etc.), la possibilité d'un surdiagnostic n'est pas anodine. Par sur-diagnostic, on entend le diagnostic d'un cancer alors qu'il n'y en a pas du tout. Mais aussi le diagnostic d'une tumeur de petite taille, qui a de très faibles chances d'évoluer vers un cancer dangereux. 

Sur ces risques de surdiagnostic, les chercheurs sont extrêmement divisés : cela se produirait lors d'une mammographie sur dix, voire même une sur quatre ou une sur deux. Or, en plus de coûter de l'argent à la Sécurité social, un surdiagnostic "peut fortement déstabiliser les personnes. Elles risquent de rester angoissées toutes leur vie", explique Jean-Pierre Thierry. En Californie, une équipe de chercheurs spécialistes de ces questions a même récemment fait la proposition de ne plus appeler "cancer" certaines formes bégnines ou incertaines de tumeur, afin que l'on arrête de les chercher lors des dépistages. 

Mais là aussi, le sujet divise. L'Institut français de veille sanitaire, par exemple, affirme que la multiplication des diagnostics, même inutiles, peuvent faire  progresser la recherche et pourrait permettre, à l'avenir, de mieux identifier les cancers qui vont évoluer et ceux qui resteront latent. L'ouvrage, pour sa part, incite à s'inspirer du modèle danois : bien se faire suivre par un médecin (par des autopalpations notamment), mais ne pas mettre en place de dépistage organisé ou systématique. "Les Danois ont résumé ainsi : 'il n'est pas stupide de ne pas se faire dépister systématiquement'", explique Jean-Pierre Thierry.

Que se passerait-il si l'on se remettait à mourir après une biopsie ?

Antibiotiques : des logiciels pour refréner l'engouement ? Il y a quelques années, la communauté scientifique internationale alertait sur un phénomène qui risque de devenir l'enjeu sanitaire numéro un de ces prochaines années : la sur-prescription d'antibiotiques. Dans les années 90-2000, la consommation a bondi. Conséquences : les bactéries deviennent de plus en plus résistantes, et tous les scientifiques craignent, à termes, que les antibiotiques ne servent plus à rien. "Ce serait terrible. Que se passerait-il si l'on se remettait à mourir d'une infection après une biopsie ? Les antibiotiques servent pour éviter des choses très graves. Or, on continue d'en consommer pour tout et presque n'importe quoi. Il ne faut pas oublier qu'à l'origine, les antibiotiques servaient à soigner les G.I. (les soldats américains). Ils se sont malheureusement un peu trop démocratisés", alerte Jean-Pierre Thierry.

Les multiples campagnes gouvernementales ("les antibiotiques, ce n'est pas automatiques") ont permis, un temps, de diminuer la consommation (on est retombé, en 2010, au niveau de 1999 en France). Mais elle a de nouveau augmenté d'environ 6% entre  2010 et 2014, selon l'Ansem, l'agence publique du médicament. Or, il ne faut pas oublier que l'antibiotique est inutile pour les virus, et qu'il n'est absolument pas nécessaire si vos enfants ont juste un peu de fièvre. L'ouvrage, pour sa part, propose de s'inspirer de la méthode hollandaise : au Pays-Bas, les médecins sont dotés d'un logiciel ultra-documenté et ultra-puissant, qui permet de faire des recommandations en direct sur la nécessité, ou non, de prescrire un antibiotique. Cela leur permettrait d'avoir un argument de poids face à un patient qui insiste un peu trop pour s'en faire prescrire.



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