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Affaire Sonko: «Il y a peut-être une justice à deux vitesses» au Sénégal

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Affaire Sonko: «Il y a peut-être une justice à deux vitesses» au Sénégal
Au Sénégal, l'étau judiciaire se resserre autour du député d'opposition Ousmane Sonko, qui était arrivé troisième à la présidentielle de 2019 et qui est aujourd'hui poursuivi pour viol par l'employée d'un salon de beauté de Dakar, où il allait se faire masser. Est-ce seulement une affaire judiciaire ou s'agit-il d'un complot politique monté par le président Macky Sall, comme le crie haut et fort l'accusé ? Moussa Diaw est enseignant-chercheur à l'Université Gaston Berger. En ligne de Saint-Louis du Sénégal, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Qu’est-ce que vous pensez de cette plainte pour viol contre l’opposant sénégalais Ousmane Sonko ?

 

Moussa Diaw : Cette plainte arrive à un mauvais moment. Elle arrive dans une période compliquée. Et à mon avis, derrière tout cela, au-delà de cette affaire de mœurs, il y a de fortes tensions au niveau politique.

À la suite de cette plainte pour viol, Ousmane Sonko crie au complot ourdi contre lui par le chef de l’État Macky Sall. Il dit que tout cela est fait pour ruiner son projet d’être candidat à la présidentielle de 2024.

Oui, il l’a dit dans sa déclaration. Et c’est suite justement à une déclaration que le président Macky Sall avait d’ailleurs tenue, en disant qu’il va « réduire l’opposition à sa plus simple expression ». Et dans cette opération, à mon avis, il y a deux méthodes qui sont employées. La première méthode, c’est la récupération politique. C’est-à-dire, faire en sorte que l’on puisse récupérer, intégrer, les leaders de l’opposition dans la majorité. Et il a réussi à le faire, parce que récemment le président du parti Rewmi -Idrissa Seck- a rejoint la majorité et il a été nommé au poste de président du Conseil économique, social et environnemental. La deuxième méthode consiste, bien sûr, à traquer les opposants. Ceux qui le gênent dans sa politique, ceux qui sont considérés comme l’opposition radicale, ceux qui l’interpellent, ceux qui critiquent sa gestion et les gens qui sont considérés comme des agents de la mauvaise gouvernance, qui détournent les fonds publics, etc.

Est-ce à dire que, pour vous, Ousmane Sonko est victime de la même manœuvre politico-judiciaire que Karim Wade ou Khalifa Sall ?

Oui, on peut dire cela, parce qu’on a vu des responsables politiques qui ont été victimes, justement, parce qu’ils ont annoncé leur ambition de se présenter aux élections présidentielles. Et cela, avec instrumentalisation de la justice, parce qu’il y a un problème de séparation des pouvoirs. C’est tel que c’est perçu, parce que certaines personnalités politiques ont été impliquées dans la mauvaise gouvernance et n’ont jamais fait l’objet d’utilisation de la justice de façon indépendante. Donc aux yeux des citoyens et de l’opinion publique, ces personnalités sont protégées. Il y a peut-être une justice à deux vitesses et donc un problème de confiance dans la justice.

Et quand vous parlez de proches du chef de l’État qui seraient protégés, faites-vous allusion à son frère AliouneSall, qui a été mis en cause dans un dossier d’hydrocarbures il y a deux ans ?

Oui et il n’est pas le seul. Il y a d’autres personnalités qui sont concernées par des affaires de détournement. On a parlé de 94 milliards [de francs CFA] et d’ailleurs cette affaire a été classée. Le procureur l’a classée, il l’a voulue comme telle, parce qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes. En regardant cela, l’opinion et les citoyens pensent, compte tenu que des hommes qui sont très proches du pouvoir ou de la majorité sont plus ou moins épargnés et que les autres sont victimes, justement, de leur gouvernance, qu’il y a une justice à deux vitesses : celle qui concerne les hommes politiques proches du pouvoir qui sont épargnés et celle qui concerne les leaders qui ont été traqués, emprisonnés, etc.

Ousmane Sonko est visé par une plainte déposée par une employée d’un salon de beauté de Dakar, dans lequel il allait se faire masser. Est-ce que le pouvoir ne peut pas affirmer qu’après tout, s’il y a une plainte en justice, il faut aller au bout de cette plainte ?

Oui, s’il n’y avait pas cette situation, où certaines personnalités très proches du pouvoir sont épargnées, peut-être que l’on aurait pu faire confiance à la justice. Mais on se rend compte, du point de vue des citoyens, qu’il y a une justice à deux vitesses. Donc il y a un problème de confiance dans la justice. C’est la raison pour laquelle il y a cette stratégie qui a été développée par Ousmane Sonko pour se défendre.

À la suite de la présidentielle de 2019, celui qui est arrivé deuxième, Idrissa Seck, vient de se rallier au pouvoir. Et celui qui est arrivé troisième, Ousmane Sonko, a aujourd’hui des déboires avec la justice. Est-ce à dire que l’opposition sénégalaise est décapitée ?

On ne peut pas dire cela. On ne peut pas dire qu’elle est décapitée, mais elle est déstabilisée. Dans ce contexte-là, de manière générale au niveau de l’Afrique, s’opposer en Afrique est problématique.

En novembre dernier, le président Macky Sall a écarté du pouvoir des personnalités très proches de lui, comme Amadou Ba, Aly NgouilleNdiaye, Aminata Touré… Etes-vous d’accord avec l’analyste Cheikh Oumar Diallo, qui constate que « Macky Sall écarte les ambitieux au sein de sa propre famille et qu’il rallie à lui les ambitieux qui gravitent en dehors » ?

Oui, on peut l’analyser comme tel, parce qu’il avait donné des consignes pour dire de ne pas évoquer le troisième mandat. En fait, la ligne de mire, aujourd’hui, c’est le troisième mandat, parce que le président ne veut pas se prononcer de façon claire. Il avait dit que c’était son dernier mandat. Il l’a dit publiquement. Et au fil du temps, il y a eu du changement dans l’attitude, dans les déclarations… Il ne veut pas se prononcer. Il dit que peut-être oui, peut-être non, il entretient une ambigüité, au regard, bien sûr, de ce qui se passe au niveau de certains pays africains, comme en Guinée et en Côte d’Ivoire. Tous ceux qui sont proches du président de la République - quand il avait donné consigne de ne pas évoquer le mandat - certains qui sont plus ou moins ambitieux l’ont évoqué. Et à partir de là, ils sont ciblés par le pouvoir et sont écartés. C’est ce qui s’est passé avec ces personnalités qui étaient très proches du président de la République, parce qu’il ne veut plus que l’on évoque cette question de troisième mandat, alors que dans la Constitution on ne peut pas faire plus de deux mandats consécutifs.

Et si Ousmane Sonko est bloqué par cette action en justice, quelles sont les autres figures de l’opposition qui peuvent émerger d’ici 2024 ? On pense évidemment à Karim Wade et à Khalifa Sall, mais quelle chance ont-ils de pouvoir se présenter ?

Khalifa Sall a au-dessus de lui une épée de Damoclès judiciaire, qui n’est pas encore levée. Il faut qu’il bénéficie d’une amnistie. Tout comme Karim Wade. Tous les deux, ils ne peuvent pas se présenter, parce qu’ils ont cette contrainte judiciaire. Donc je ne vois pas. Si jamais Ousmane Sonko est condamné, il n’y a pas d’autres opposants. Pour l’instant, dans le paysage politique sénégalais, on ne voit pas un leader politique qui puisse vraiment représenter l’opposition afin de faire face à la majorité.

Macky Sall ou la stratégie du vide ?

Pour Macky Sall, de toute façon, c’est justement sa stratégie, c’est de faire le vide autour de lui. Et à mon avis, ça pose problème, parce qu’il y a des acteurs politiques. Il y a la société civile au Sénégal et il y aura des résistances. À mon avis, la meilleure façon est d’essayer de respecter la Constitution. Après son deuxième mandat, il devrait céder la place et quelqu’un d’autre pourrait continuer.


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