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AMADOU DIOP, ANCIEN CONSEILLER DIPLOMATIQUE DE WADE : «le Qatar avait promis un deuxième sommet de l’Oci a Diouf»

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AMADOU DIOP, ANCIEN CONSEILLER DIPLOMATIQUE DE WADE : «le Qatar avait promis un deuxième sommet de l’Oci a Diouf»

ENTRETIEN...AMADOU DIOP, diplomate, auteur de Sénégal : repères et grandeur d’une diplomatie : «Ma vision de la diplomatie “Wadienne” ? Ce sera dans mon prochain livre»

L’ambassadeur Amadou Diop aura été le premier diplomate sénégalais à publier un livre sur la diplomatie sénégalaise. Son parcours de diplomate, il le soutient, vient «du discours de Senghor parlant de la civilisation de l’Universel, du donner et du recevoir qui invoquait le banquet de l’Universel, qui parlait de ce petit pays, le Sénégal ,mais qui est incarné par un grand peuple». Une fois aux Affaires étrangères, il sera d’abord à la direction des Affaires publiques et culturelles, ensuite à la direction des Affaires consulaires. Plus tard, il sera affecté à Bruxelles comme ambassadeur du Sénégal. Il va finalement rejoindre le cabinet de Abdou Diouf, à la Présidence. Poste qu’il occupe onze ans durant, avant de poursuivre l’aventure avec Abdoulaye Wade pendant deux ans et demi. Aujourd’hui conseiller diplomatique auprès du président de la commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), Soumaïla Cissé, il publie Sénégal : repères et grandeur d’une diplomatie. Dans cet entretien, il revient sur son ouvrage, évoque la diplomatie sénégalaise et son limogeage de la Présidence.

Vous venez d’écrire le premier ouvrage sur la diplomatie sénégalaise. Qu’est ce qui vous a motivé à le faire ?

Il ne faut pas oublier qu’il y a eu un essai sur la diplomatie du doyen Saloum Kandé. Mais qu’est ce qui m’a motivé à écrire ce livre ? Généralement les livres sont écrits à la retraite. Et j’avais pensé si Dieu me prête vie de faire mes mémoires, d’écrire à la retraite. Mais j’avoue que j’ai eu deux tentations pour déroger finalement à cette règle. La première tentation, c’est quand nous avons vécu les péripéties de l’élection du Dr Jacques Diouf (Ndlr : à la Fao) en novembre 1993 à Rome. Nous étions face à de très fortes candidatures : l‘Allemagne avait un candidat qui avait mobilisé beaucoup de moyens, l’Australie avait un candidat fortement soutenu par le Canada, par les Etats-Unis, le Chili avait aussi un candidat et bien sûr le Sénégal. Nous étions face à des machines financières et diplomatiques.

La manière dont les choses se sont déroulées, le travail diplomatique, qui a été fait sur le terrain de manière réfléchie, méthodique, organisée avec les différents contacts aux Nations-Unies, à l’Oci, au G15, a fait gagner le Sénégal au sixième tour. Et là, je me suis rappelé d’une phrase, celle de El Hadj Ibrahima Sakho avant qu’on aille à cette élection : «Mon fils, je sais que le Sénégal est réputé avoir une grande diplomatie, mais je sais que vous allez dans une épreuve très difficile. Je vous rappellerais dans les moments difficiles, pensez à la bataille de Badr.» A ce moment, je me suis dit que je vais essayer de tremper ma plume pour écrire. Mais j’ai freiné cet instinct en soutenant qu’il ne faut pas dans les victoires, succomber à l’euphorie. Une deuxième fois, c’était par rapport à certains tumultes. A certaines accusations, d’autres éléments qui me chargeaient, là aussi, j’ai voulu prendre ma plume pour me battre. Mais là aussi, j’ai dit qu’il ne faut pas succomber à l’instinct du Cayorien. Et pour revenir à votre question, j’ai été interpellé par un ami qui était à la commission de l’Uemoa, Mohamed Al Alassan. Il avait suivi les échanges que j’avais à l’aéroport avec le secrétaire général des Affaires étrangères de Palestine. Et il m’a dit : «Amadou, j’ai entendu, lors de votre conversation, que vous avez évoqué beaucoup de souvenirs… Vous avez aussi parlé des démarches pour appuyer la Palestine pour soutenir les accords d’Oslo. Je crois que tout ce que vous avez dit c’est bon. Mais il faut le matérialiser dans un écrit. Et je compte sur votre génération pour rompre avec le fait qu’en Afrique un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle.» J’avoue que j’ai succombé cette fois-ci à cette interpellation. Et j’ai décidé d’écrire.

Mais pourquoi avoir limité votre exploration sur la diplomatie sénégalaise de 1960 à 2000 ?

Pour une raison objective. Quand on prend la responsabilité d’écrire, il faudrait coller à ce qui est fondamental pour la vie d’un homme, la vérité. Je crois que cette vérité, nous n’avons pas la prétention d’en détenir le monopole. Quand on prend la responsabilité d’écrire, il faudrait restituer vrai. Et dans cet exercice, j’ai essayé de voir plusieurs angles d’attaque. Je me suis dit qu’il faudrait interroger le facteur temps. Et le facteur temps nous indique que le Sénégal de 1960 à l980 a eu comme Président, Léopold Sédar Senghor. Il a accompli son œuvre, sa mission et il est parti. Son successeur, le Président Abdou Diouf a, de 1980 à l’an 2000, conduit la diplomatie sénégalaise. Lui aussi a eu une œuvre achevée, une œuvre globale. Le Président Abdoulaye Wade a entamé son mandat en 2000. Son mandat est en train de courir. Autant pour le Président Senghor et le Président Diouf, les œuvres sont achevées, autant pour celle du Président Wade, elle se déroule. Par conséquent, il est plus véridique, plus prudent, plus scientifique de se prononcer sur une œuvre achevée que de le faire sur une œuvre qui est en train de se dérouler. Cela ne veut pas dire que je n’ai pas d’éléments pour me prononcer sur l’œuvre en mouvement du Président Wade. Mais si je le fais, cela serait parcellaire, partiel, et je ne voulais pas succomber à cette démarche.

Est-ce pour cette raison que vous écrivez qu’en diplomatie, il est important d’être présent en maîtrisant le fond et en soignant la forme ?

Oui, là, j’ai emprunté cette formule de notre vice-doyen, feu l’ambassadeur Aliou Kandji. Lors des sessions de la commission des droits de l’Homme à Genève, au moment des pauses après le déjeuner, il nous conviait autour de lui pour discuter de la diplomatie. C’est à ces moments qu’il nous inculquait cette sagesse qui veuille que le diplomate est quelqu’un qui soigne la forme, tout en collant à la pertinence du fond. Si vous observez la vie de la diplomatie, dans sa construction, dans son élaboration, sa formulation, dans la diplomatie tout est forme, tout est symbole, tout est élite. Je crois que, c’est l’essence même de la diplomatie qui se nourrit de la foi. Mais ce commerce formel qui qualifie la diplomatie doit reposer sur des éléments solides que sont les acteurs. Nous sommes des acteurs internationaux donc nous réfléchissons sur la marche du monde, sur les relations entre les Etats, entre les autres acteurs non étatiques.

Vous écrivez dans votre livre que la diplomatie du Sénégal c’est le rayonnement dans la constance de principes cardinaux, règlement pratique des différents, dialogue, recherche constante de paix, non ingérence dans les affaires intérieures des autres Etats, solidarité africaine, ouverture dans le monde. Est-ce que la diplomatie sénégalaise joue toujours ces rôles ?

Ce que j’ai évoqué dans le livre ce sont des principes que le Sénégal a érigés pour la conduite de sa politique extérieure. Ce ne sont pas des principes puisés ex-nihilo. Le bon voisinage, le règlement par-ci et par-là des différends, de dialogue, de solidarité… si vous visitez la charte des Nations-Unies, si vous visitez la charte de l’Union africaine, vous retrouverez ces principes cardinaux. Le Sénégal a eu, en s’appuyant sur ces principes, à définir sa spécificité. Donc ce sont des principes qui guident l’action diplomatique du Sénégal. Mais les principes ne valent que par rapport aux réalités qui les fécondent. C’est pour cela, dans la deuxième partie de mon livre, je me suis dit, avant d’illustrer ces principes, il faudrait voir les sources qui les fécondent. Des sources historiques, géographiques, économiques, culturelles. Ce sont ces sources qui érigent ces principes et j’ai voulu donc, après avoir jeté un regard sur les racines de cette diplomatie, voir comment les feuilles ont pu germer pour donner cette grande diplomatie. Vous me dites, est-ce que ces principes constants sont toujours d’actualité. Quand on dit constant, cela veut dire que c’est toujours d’actualité. Mais comme on dit, les principes sont les principes et la mise en œuvre de ces principes maintenant peut être inscrite dans le champ de la variabilité. Constant dans les principes ? oui. Variabilité dans la mise en œuvre de ses principes ?, je crois qu’à chaque période, chaque chef d’Etat a eu son style et sa manière de mettre en œuvre ces principes. Et dans le livre, j’ai essayé de voir comment le Président Senghor a, selon son style académique, poétique, inspiré, romantique, su instauré une diplomatie bâtie sur le socle de la culture, et comment le Président Diouf, par son style beaucoup plus pragmatique, plus consensuel, est arrivé à mettre en œuvre ces principes. Ce sont les deux parties évoquées en restant fidèle à l’analyse sur des œuvres achevées et en espérant un jour pouvoir me prononcer de la même manière sur l’œuvre, qui sera un jour achevée, du Président Wade.

Excellence, est-ce qu’il existe une diplomatie purement sénégalaise, surtout quand vous écrivez qu’un bon diplomate c’est la conjugaison de la subtilité du wolof, la finesse du hal pulaar, l’habileté du sérère, la profondeur du diola, l’éloquence du mandingue et la fidélité des soninké et des khassonké ?

La diplomatie se mesure à l’aune de notre environnement culturel. Culturellement le Sénégalais est un diplomate. Nous sommes un peuple de brassage, par l’interpénétration qu’il y a entre les ethnies. Nous formons ce que le Président Senghor appelait l’homosenegalensis. Et je disais que l’homosenegalensis est culturellement porté vers la diplomatie, est porté par un réflexe diplomatique. Si nous fouillons notre histoire, les relations entre nos royaumes, les liens de cousinage qui ont été tissés entre les royaumes, à l’intérieur des royaumes, les mécanismes de gestion des conflits tournaient autour de symbole diplomatique. J’ai eu à l’expliquer dans le livre à travers les Barguedj dans le Cayor, qui jouaient le rôle d’organe de sécurité. Il y a aussi ce lien de cousinage entre sérères et diolas, cette diplomatie de plaisanterie qui nous prédispose à cette diplomatie d’entente, de cordialité et de famille. C’est le niveau historique.

Prenons le facteur éducatif. Dans notre enfance, quand on était assis autour du bol avec les parents, les messages se transmettaient par les yeux. On n’a pas besoin de vous dire «tenez le bol», on n’a pas besoin de vous dire «ne touchez pas à ça». Avec le regard, on comprenait le message. Cette diplomatie du regard se trouve dans notre éducation, dans notre système culturel. Même pendant les décès, la gestion est faite de manière diplomatique. On peut dire tout ce que l’on veut par des messages codés.

Je reviens au Président Senghor qui disait que nous sommes, de par notre position géographique, un peuple de diplomatie. Nous sommes un pays carrefour entre le monde négro-africain et arabo-berbère, carrefour entre l’Afrique du nord et l’Afrique du sud-Sahara mais aussi avec l’Europe, l’équidistance par rapport à l’Amérique. C’est cette position qui a engendré un esprit carrefour de brassage et le brassage est aussi synonyme de diplomatie.

Est-ce ce qui explique que le tiers des ambassades du Sénégal se trouvait dans les pays arabes ?

Ce qui l’explique c’est l’histoire. En ce sens que le contact entre le monde à la poussée des Almoravides qui, des confins de l’Arabie en passant par le Maghreb en venant, transitant par le Maroc, ont transité jusqu’aux berges du fleuve Sénégal, depuis le XIe siècle. Cette poussée almoravide, cette pénétration des arabes, cette islamisation a fait que le brassage entre le Sénégal et le monde arabe est un brassage lointain, profond et c’est ce qui fait que le Sénégal et le monde arabe évoluent dans une dynamique interactive. C’est sur ce socle civilisationnel et historique que des relations se sont nouées. Au Sénégal, il y a beaucoup d’arabisants qui ont fait leur humanité dans les pays arabes, beaucoup ont étudié dans les universités arabes du Caire, en Tunisie, en Algérie. A côté des facteurs culturels, il y a les facteurs géographiques, nous sommes à côté de la Mauritanie qui est un pays voisin. Peu après, si nous remontons, il y a le Maroc, l’Algérie. Tous ces éléments ont concouru à tisser des relations très profondes entre le Sénégal et le monde arabe. Et bien sûr, la diplomatie ne se fait pas dans l’abstraction. La diplomatie se fait sur la base des convergences historiques, des convergences culturelles et sur des intérêts économiques et c’est ce qui explique que la diplomatie sénégalaise soit portée vers les pays arabes.

C’est cela qui nous a valu d’accueillir le sommet de l’Oci.

En tout cas, non seulement cela nous a valu d’organiser le sommet de l’Oci, mais avant ce sommet, la première rencontre des ministres des Affaires étrangères entre les pays arabes et les pays africains. C’est une rencontre qui s’est tenue, ici, à Dakar. Avant cette rencontre, le Président Senghor, au cours d’un exposé à l’Université du Caire, avait lancé une nécessité de bâtir une coopération arabo-africaine sur le socle de la complémentarité entre civilisations arabe et négre qui doivent se retrouver pour bâtir une coopération sud-sud féconde. Le Sénégal a toujours été dans l’établissement de cette coopération, son impulsion et, au fil des ans, sa consolidation. C’est la raison pour laquelle, lorsque le Président Diouf a posé la candidature du Sénégal pour que notre pays abrite le sommet de l’Oci, il y a eu cet enthousiasme de la part des pays arabes, de la part de la Uhmma Islamique. Le Sénégal est le berceau de la coopération arabo-africaine. Le Président Diouf a été le président de l’Oci pendant trois ans et aussi, a joué un rôle important en accompagnant le Maroc dans la présidence de l’Oci. Il a joué aussi un rôle important à Téhéran pour que le Qatar puisse avoir la chance et l’opportunité d’avoir à organiser le sommet. Il y avait beaucoup de difficultés, il a fallu l’intervention du Président Diouf pour lever les obstacles pour permettre au Qatar d’organiser le sommet. Et d’ailleurs, lorsque l’Emir du Qatar s’est levé pour remercier le Président Diouf, il lui avait promis qu’ils feront tout pour que le prochain sommet se tienne à nouveau au Sénégal.

Donc l’organisation du prochain sommet à Dakar vient de la promesse faite par l’Emir du Qatar au Président Diouf.

En tout cas, il y a eu cette promesse. Et cette volonté s’est révélée à Islamabad, lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères, où le Prince Turqui d’Arabie Saoudite, après un entretien avec la délégation sénégalaise, comprenant le ministre des Affaires étrangères, l’ambassadeur Pape Abdou Cissé, a dit que le moment était venu pour que le sommet retourne en Afrique. Et si l’on parle d’Oci en Afrique, toutes les pensées vont au Sénégal. Cette volonté de l’Arabie Saoudite est venue s’ajouter à la promesse de l’émir du Qatar et aussi aux souhaits du Maroc, ami du Sénégal et à la volonté du Koweit. Et vous voyez que le fruit était mûr pour que nous puissions le cueillir et organiser une deuxième fois le sommet de l’Oci. Mais tout en tenant compte des paramètres internationaux et en s’inscrivant dans une démarche que le Président Senghor appelait la méthode et l’organisation.

Quelle lecture faites-vous de l’annulation du sommet de l’Oci qui devrait se tenir à Dakar ?

Les éléments que je viens de vous livrer ce sont les éléments de mon vécu. Mais maintenant, je suis à Ouagadougou, j’ai suivi le communiqué. On ne parle pas d’annulation, mais de report. J’ose espérer que ce report ne soit pas tiré vers un phénomène qui survient à travers la vie diplomatique. Je me rappelle qu’à un moment donné pour un sommet ordinaire qui devait se tenir à Khartoum, dans un contexte de tensions avec certains pays occidentaux, des pays éprouvaient quelques difficultés à venir à ce sommet. Ce qui a été retenu c’est de faire un sommet extraordinaire à Islamabad pour examiner la situation en Bosnie-Herzégovine et la situation des minorités musulmanes dans le monde. Après ce sommet extraordinaire, le sommet ordinaire de Khartoum est entré dans l’impasse. Nous avons suivi aussi que souvent dans les organisations internationales, le contexte international, qui est très fluctuant, peut jouer sur l’organisation. Donc je nourris l’espoir que mon pays ne soit pas enfermé dans ces tourbillons des incertitudes, des imprévus pour que nous puissions, dans les délais requis, selon les formes convenues et en tenant compte de la volonté des autorités sénégalaises nous préparer dans les meilleures conditions. J’ose espérer que les choses iront pour le mieux.

Le Président Diouf disait : «La diplomatie était la principale matière première du Sénégal. Si aujourd’hui notre pays est respecté, consulté et écouté, à travers le monde, c’est en grande partie grâce à notre diplomatie.» Est-ce toujours le cas d’autant plus que notre diplomatie a été entachée de scandales ces derniers temps ?

C’était à l’occasion de la rencontre des ambassadeurs et des consuls en 1999, dans son discours d’ouverture, en s’adressant aux diplomates au sens large du terme. Quand on regarde l’Arabie Saoudite, c’est un peuple dont la richesse est essentiellement basée sur le pétrole, la Chine a le capital humain, les Etats-Unis d’Amérique ont la capacité financière. Et au Sénégal, nous n’avons pas cette chance, mais nous avons notre diplomatie.

Pour une bonne diplomatie, pour faire rayonner le Sénégal, il faut du génie, du talent, des objectifs, une vision, des hommes pour conduire cette vision, mais aussi le sens du suivi. Et par rapport à votre question, vous me tirez sur une analyse, si je devais continuer le livre, sur cette partie, je serais beaucoup plus à l’aise pour vous donner une réponse plus complète, plus globale, plus véridique. A ce stade, je peux, peut-être discuter de tel ou tel aspect, mais si je le fais, je vais créer un déséquilibre dans l’analyse. Je ne cherche pas à fuir le débat. Mais je me réserve. J’ai des éléments d’analyse qui sont déjà disponibles dans le tiroir de la diplomatie… Comme quoi par exemple…

Il y a des éléments que j’ai vécus. Lorsque à Lusaka, on faisait la fusion du plan Omega et celui de Mbeki, j’ai vu dans quelles conditions on s’est battu rapidement pour un document unique à travers une résolution unique. J’ai suivi les débuts des actions diplomatiques sur le dossier ivoirien. J’ai suivi une partie de la tentative du Sénégal pour la candidature de Eva Marie Coll Seck retirée par la suite. Sur ces différents points comme par rapport à d’autres, je peux donner mon point de vue. Mais je ne peux pas donner mon point de vue sur des choses que je n’ai pas vécues. Ce serait très prétentieux de ma part. Je ne veux pas faire une analyse segmentée, car ce serait tomber dans ce que Senghor disait, les analyses à l’improviste, les coups de boutoir qui ne reflètent pas une vue d’ensemble…

Mais vous avez travaillé avec Diouf comme avec Wade et vous devez avoir une vue d’ensemble de ces deux formes de diplomatie ?

Ah bien sûr. J’ai des clignotants… mieux que des clignotants, j’ai des éléments absolument sûrs. Absolument.

Mais pourquoi n’en parlez-vous pas ?

J’ai dit que chaque homme a son style, sa manière de conduire les actions diplomatiques sur la base des principes supposés êtres constants. Mais si je vous livre cette vision que j’ai de la diplomatie «Wadienne», en ce moment, j’anticipe sur le prochain livre qui va sortir. J’avoue que j’ai des éléments et je l’ai dit dans mon livre que je nourris l’espoir de revisiter à temps opportun l’œuvre diplomatique du Président Wade.

Ces éléments que vous détenez sont peut-être négatifs pour la diplomatie ?

Comme j’ai dit en commençant les actions diplomatiques sur les Présidents Senghor et Diouf, dans la vie tout n’est pas rose. Il peut y avoir des points forts comme des points faibles. Encore que la diplomatie du Sénégal est réputée avoir de grandes performances sous Senghor et Diouf. J’ai écrit dans le livre les regrets qui ont été formulés par rapport à l’éclatement de la fédération du Mali. J’ai aussi mis quelques réserves par rapport au point de fixation entre le Président Senghor et Sékou Touré.

J’ai évoqué en parlant de la diplomatie du Président Diouf, à un moment donné où le contexte géopolitique du Sénégal, selon mon analyse, après le recul, ne militait pas à une candidature du Sénégal pour la Cour internationale de justice. J’ai essayé vraiment, encore que je n’ai pas la prétention de révéler dans un livre toutes les actions négatives qui ont été menées par ces chefs d’Etat, de voir certains éléments qui me paraissent essentiels, en ciblant certaines actions d’interventions prioritaires pour les deux hommes et les faire monter en surface. Mais de manière visible et lisible, de manière que tout cela entre dans notre histoire. Je fais un travail de mémoire, un travail de restitution la plus fidèle possible.

Vous écrivez aussi que les diplomates en général sont très bien formés et que la nomination passe-partout fausse le jeu. Quelle en serait la conséquence sur la diplomatie sénégalaise ?

J’avais oublié de vous dire que j’ai été frappé par une chose, quand j’écoutais les radios, j’entendais souvent dire Anne Marie Mouradian, journaliste qui vous parle de Bruxelles : «Hier, nous avons été séduit par l’intervention de l’ambassadeur du Sénégal, Seydina Oumar Sy, qui a fait une proposition importante pour le Stadex.» Vous entendez, un reporter à Genève vous dire que l’ambassadeur Alioune Sène (sic) a défendu avec brio le dossier de l’Afrique sur la situation des droits de l’Homme. L’ambassadeur Alioune Sène présidait la conférence sur le traité de non-prolifération des armes nucléaires. On parle du dossier irakien et c’est l’ambassadeur Sène qui préside cette conférence. Aux Nations-Unies, c’est Médoune fall qui préside la commission des droits inaliénables du peuple palestinien, relayé par d’éminents ambassadeurs, Massamba Saré, Falilou Kane, Ibra Deguène Kâ, Claude Absa Diallo, Papa Louis Fall. Partout en Afrique, les diplomates étaient cités comme des références. C’est le produit d’un vivier qui, de génération en génération, a incarné la qualité et cela renvoie à ce que Senghor disait à Houphouët-Boigny : «Vous, vous avez votre café et votre cacao. Vous avez bâti votre force sur ça. Moi je vais bâtir la force du Sénégal sur la culture et la formation.» La mobilisation pour la formation au Cfpa pour la chancellerie, la section diplomatique à l’Enam, avant cela la formation en France et les autres corps aussi. Nous avons aussi les généraux comme Babacar Gaye, Mansour Seck, Mouhamadou Keïta. Partout, c’étaient des diplomates chevronnés. C’est pour cela que le Président Diouf disait que ces hommes de dossiers, qui travaillent dans l’ombre avec beaucoup d’abnégation, au service de leur pays, ont beaucoup contribué au rayonnement du Sénégal. Je parle de ce que j’ai vécu, de ce que j’ai connu, de ce que j’ai appris. Maintenant, je suis à Ouagadougou à la commission de l’Uemoa dans un creuset tout en continuant à naviguer sur les rives de la diplomatie économique et multilatérale. Je ne peux pas et je ne veux pas faire de jugement de valeur par rapport à la qualité des hommes qui actuellement conduisent, en tout cas au niveau que vous m’avez posé la question….

Quelles pourraient être les conséquences sur la diplomatie sénégalaise de la nomination de quelqu’un qui n’a jamais été formé ou n’ayant pas les aptitudes nécessaires ?

Je commencerai par une parenthèse. J’étais en Afrique centrale, représenter le président de la commission de l’Uemoa au sommet de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). C’est après avoir délivré son discours que j’ai été interpellé par un chef d’Etat qui m’a dit : «Alors le jeune, qu’est ce qui se passe dans votre pays. J’ai suivi sur Internet une polémique vive sur la diplomatie sénégalaise entre un ambassadeur et le ministre des Affaires étrangères.» J’avoue que j’étais très gêné ce jour. Comment on peut transposer ou bien glisser sur un terrain de la polémique qui met à nu notre diplomatie, domaine par excellence de souveraineté. Il faut protéger ce domaine de souveraineté, et je ne veux pas ici et maintenant me livrer à une analyse ou un jugement qui pourrait ressembler d’une manière ou d’une autre à contribuer à mettre à nu notre diplomatie. Je dis notre diplomatie, parce que c’est notre patrimoine à nous tous. Je vous ai dit que je suis à l’Uemoa par la volonté de Dieu mais je suis conseiller des Affaires étrangères, diplomate ; ma maison c’est le ministère des Affaires étrangères et quand je prendrai ma retraite, on va dire l’ancien diplomate. Cette étiquette, personne ne peut l’enlever, c’est mon métier, c’est mon choix. C’est ma maison. Donc cette maison, je ne vais pas faire une peinture, ou bien interpréter une peinture qui pourrait lui donner un visage négatif.

Excellence, pouvez-vous revenir sur votre départ de la Présidence de la République qui a fait à l’époque l’objet de polémiques ?

(Un peu hésitant). J’ai voulu le faire, mais maintenant, j’avoue que j’hésite à le faire par fidélité à la mémoire d’un chef religieux à qui j’ai voué un grand respect. C’était un père pour moi. C’est Cheikh Mourtada Mbacké. Lorsqu’il y a eu ce problème, mon premier réflexe a été, et là vous pouvez le vérifier auprès d’une amie, camarade de promotion, Me Aïssata Tall Sall, avocate, de mener des actions pour me défendre. J’avais aussi préparé un document comme droit de réponse pour expliquer et j’avais donné copie à Abdou Latif Coulibaly. Entre temps, le Cheikh m’a appelé à Touba. Il y avait un de ces hommes de confiance présent, il est toujours vivant. Un autre qui s’appelle Palle Diop était aussi présent quand le Cheikh me parlait. Après nos échanges, il a conclu en me disant : «Dans la vie, en toutes circonstances, il est préférable de laisser son destin entre les mains de Dieu», en me rappelant les péripéties, certaines séquences de la vie de son père Cheikh Ahmadou Bamba Khadimou Rassoul. Il m’a dit : «Le croyant dans sa vie peut connaître des moments durs. Mais la meilleure réponse, c’est de garder le silence et de laisser le Bon Dieu départager. Le meilleur juge, c’est le Bon Dieu et tu es mon talibé, tu es mon fils, je vais prier pour toi.» Quand je suis revenu de Touba, je suis venu dire à Me Aïssata Tall Sall qu’on laisse tomber. J’ai appelé Babacar Touré pour en faire de même. Pour moi, la page est tournée. Donc, c’est par fidélité à Cheikh Mourtada Mbacké que je préfère ne pas revenir en arrière, que je préfère, comme le disait souvent le Président Diouf, ne pas regarder dans mon rétroviseur. Je considère ces événements comme une traversée d’un pont, parfois le pont bouge, mais Dieu merci, le pont a été traversé. Et au moment où je vous parle, c’est quelque chose que j’ai rangé dans les tiroirs de l’histoire en remerciant le Bon Dieu, d’être là en pleine forme, à l’aise, les yeux dans les yeux avec le peuple sénégalais pour lui parler en bonne confiance et dans le respect de la déontologie. J’avoue qu’en suivant le conseil du Cheikh, j’ai vu les bienfaits.

 



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