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Avortement clandestin: Eau de javel, bleu de méthylène, comprimés, ces pratiques qui font froid dans le dos

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Avortement clandestin: Eau de javel, bleu de méthylène, comprimés, ces pratiques qui font froid dans le dos
Insertion de bâtonnets pointus dans les parties intimes, ingestion de substances toxiques telles que de l'eau de Javel, insertions de préparations à base de plantes, infliction d'un traumatisme en se tapant l'abdomen ou en chutant volontairement, comprimés abortifs, opérations chirurgicales. Les méthodes utilisées pour avorter de manière clandestine sont nombreuses au Sénégal.

En 2012 déjà, le pays comptait 51500 avortements par an, selon l’enquête Guttmacher, soit un taux de 17 avortements pour 1000 femmes âgées de 15 à 44 ans. La plupart des avortements ont été réalisés de manière clandestine et dans des environnements non médicalisés.

En ce 28 septembre, journée internationale du droit à l’avortement, zoom sur l’avortement clandestin au Sénégal.

4 pilules pour avorter

Fatou Fall (nom d’emprunt) a avorté à l’âge de 23 ans. Étudiante à l’époque dans une université de la place, elle est tombée enceinte de son copain en 2013. Elle n’a pas voulu parler devant un micro ou une caméra.
“Je tiens à ne pas être reconnue, ce n’est pas sûr”, a-t-elle lancé.
Néanmoins, Fatou a accepté de partager cette expérience qu’elle décrit comme “traumatisante”.

« J’ai avorté grâce à un monsieur qui travaille dans une pharmacie assez connue. Sur les lieux, il t’amène dans un cabinet qui se trouve à l’arrière de la pharmacie et te pose quelques questions. Ensuite, il fait appel à une femme présentée comme une infirmière. Celle-ci m’a donné 4 comprimés à 150 000 francs CFA. Je devais en mettre 3 sous ma langue et un dans mon vagin”.
Prescription qu’elle a respectée, une fois de retour chez elle.

“J’ai ressenti des douleurs à partir de 23h00, soit 5 heures de temps après la prise. Toute la nuit j’ai eu des contractions et j’ai réellement pensé que j’allais mourrir. Avant de saigner, j’ai énormément vomi et j’ai eu une diarrhée. Lorsque les premiers caillots de sang sont sortis vers 6h00 du matin, je me suis mise à pleurer car c’était très douloureux et je n’avais personne pour me soutenir».

Après cette expérience, s’en sont suivis 15 jours durant lesquels Fatou saignait. “J’ai perdu du poids car je ne savais pas ce qu’il fallait faire après un avortement. Je n’ai bénéficié d’aucun suivi de la part de ceux qui m’ont vendu les comprimés et ils ne prenaient même pas mes appels”, a-t-elle dit.

«Je ne sais toujours pas ce qu’elle a introduit dans mon intimité”...

Comme Fatou, d’autres filles ont eu à vivre la même expérience. C’est le cas d’Astou Ndiaye (nom d’emprunt).
“Jusqu’à quatre mois de grossesse, je n’avais pas réussi à avorter. Les comprimés ne m’avaient pas réussi. J’ai bu du café sans sucre, du vinaigre, du bleu de méthylène, car persuadée que ça pouvait faire avorter, mais rien du tout! J’ai dû faire un avortement chirurgical”.
Une opération qui s’est déroulée dans une maison.
“J’étais choquée quand j’ai vu que je devais avorter dans un endroit qui n’était ni une clinique ni un hôpital. C’était une maison composée de 4 chambres, l’une d’entre elles est destinée aux opérations, les trois autres pour se reposer après avoir subi l’avortement. Sur place, il y avait de nombreuses autres filles”, révèle Astou.
“La dame m’a donné quelques comprimés et par la suite elle a introduit quelque chose dans mon vagin pour aspirer le foetus. C’était douloureux, intenable, inhumain. Pourtant elle avait promis de me faire une anesthésie. Que nenni!”. En parlant, la colère se lit encore dans ses yeux.
“Je le regrette chaque jour, j’ai saigné 5 jours et c’était fini. Mais, cet acte me pèse toujours. Quelques semaines après mon avortement j’ai lu dans les journaux que la dame a été arrêtée car une de ses patientes a eu des œdèmes et a été hospitalisée d’urgence. Ça aurait pu être moi. ».
A l’époque, Astou avait déboursé la somme de 300 000 francs CFA, en 2015.

« 3% des femmes en milieu carcéral y sont pour avortement », Amy Sakho (AJS)

Au Sénégal, l’avortement est interdit par le Code pénal. L'article 305 punit en effet les femmes y ayant eu recours d'une peine pouvant aller de six mois à deux ans de prison et d'une amende comprise entre 20 000 et 100 000 F CFA. Les personnes qui ont procuré ou tenté de provoquer un avortement à une femme enceinte sont condamnées plus sévèrement : les peines vont de un à cinq ans de prison. Quant aux médecins et personnels de santé, ils risquent au minimum cinq ans de suspension, voire l'interdiction d'exercer.

D’ailleurs, selon Amy Sakho, chargée de la communication de l’Association des femmes juristes du Sénégal. 16% des femmes en milieu carcéral y sont pour infanticide et 3% pour avortement.  

Des pilules abortives vendues dans la rue

Pourtant, en faisant un tour à Keur Serigne-bi, il est très facile de voir des personnes aborder des femmes. Ce, pour leur demander si elles désirent des comprimés pour avorter.

Là-bas, ils coutent entre 10000 et 25000 francs CFA. “Des prix qui varient selon la tête du client”, souffle un des vendeurs  qui rôdent aux environs de Keur Serigne Bi.

“Mais attention ! Il y a des vrais comprimés pour avorter et des faux. Parfois des femmes en achètent mais ils ne marchent pas”.

A la question de savoir comment les reconnaître, il répond: “chance, c’est une question de chance. Sachant que nous sommes dans un marché noir personne ne viendra faire un scandale parce que ces comprimés n’ont pas marché sur elle”.

Ici, ils se vendent dans un sachet. Il y en a par lots de plusieurs qui ont la taille d’un petit comprimé de « paracétamol » et par lots de 4, beaucoup plus gros. « Ça dépend de la personne qui achète, tous les comprimés s’utilisent de la même manière de toutes les façons”, renseigne le vendeur.

“Une mort subite”, Dr Abdoulaye Diop

Les conséquences de ces avortements clandestins sont nombreux selon Docteur Abdoulaye Diop, gynécologue et obstétricien à la clinique Nest.

D’après lui , “les pratiquantes peut être victimes d’une hémorragie, d’infections, de douleurs séquellaires chroniques, d’insuffisance hépatique ou rénale, de dépression, de douleurs lors des rapports sexuels et/ou d’infertilité. Sans oublier une mort subite”.

Autorisé si et seulement si...

Au Sénégal, l’avortement est autorisé uniquement lorsque la vie de la mère est en danger. C’est à dire qu’il faut que cette “intervention soit susceptible de sauver la vie d'une femme dont la vie est menacée par une grossesse. Il faut le rapport du médecin traitant de la femme pour attester que sa vie est en danger et l'avis de 2 autres médecins disant la même chose et que l'un des médecins soit agréé par le tribunal”, renseigne Amy Sakho.

Une loi qui est remise en cause par les associations qui luttent pour les droits de la femme et certains acteurs de la société civile. D’ailleurs depuis quelques mois, une campagne nommée « Faites entendre votre voix » est lancée. Son objectif est la légalisation de l’avortement lorsque la vie de la femme est en danger, en cas de viol et d’inceste, conformément au protocole de Maputo, ratifié par le Sénégal depuis 2005.


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