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Babacar Sall, directeur de publication aux éditions l'Harmattan : « Le président Mamadou Dia est un homme de rectitude avec ses points forts et ses nœuds de fragilité »

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Babacar Sall, directeur de publication aux éditions l'Harmattan : « Le président Mamadou Dia est un homme de rectitude avec ses points forts et ses nœuds de fragilité »
Un colloque sur l'œuvre du président Mamadou Dia, disparu il y a quelques mois, va réunir des universitaires, ses proches pour ‘analyser ses points forts et ses nœuds de fragilité’. Le colloque se tient, ce samedi, à la célèbre école de Sciences politiques, communément appelé Sciences Po, où sortent des cadres de l'administration française. Tout un symbole. A la veille de cette rencontre scientifique, Babacar Sall, coordonnateur de la journée d'hommage, revient ici sur quelques aspects de la trajectoire du défunt. Non seulement en tant qu'universitaire enseignant à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, mais aussi en tant que fils putatif du président Dia.

Wal Fadjri : Vous allez organiser un colloque sur l'œuvre du Président Mamadou Dia, samedi, à Sciences Po de Paris. Pourquoi ?

Babacar SALL : D'abord parce qu'il fut un grand homme, qu'il a joué un rôle extrêmement important dans l’histoire politique du Sénégal d'avant, pendant et d’après l'indépendance. C'est parce qu’aussi, les réformes les plus significatives de l'Etat sénégalais ont été entreprises sous son égide, notamment dans le domaine rural. Voilà pourquoi il était normal, à partir de Paris, c'est-à-dire là où nous vivons, que nous puissions, en souvenir de sa mémoire, rassembler à la fois ses premiers compagnons, le cercle des intimes, la communauté sénégalaise, africaine et ses amis du monde pour célébrer son œuvre multidimensionnelle et en tirer aussi les enseignements pour construire une alternative de progrès, de justice et de développement.

Wal Fadjri : Sur quoi allez-vous insister ?

Babacar SALL : Nous allons particulièrement insister sur sa philosophie politique, sur la centralité qu'il donnait à la question de l'éthique dans la fonction politique, sur l'articulation qu'il faisait entre la foi et la politique, c'est-à-dire l'éthique religieuse et la gestion des affaires publiques, la moralisation des institutions, la question de la laïcité, la qualité des rapports entre le citoyen et l'administration. Voilà, en somme, quelques éléments clefs autour desquels tourneront les communications.

Wal Fadjri : Quand on jette un coup d'œil sur la liste des invités, on remarque la présence des proches du président Mamadou Dia. Est-ce que vous avez invité ses critiques ?

Babacar SALL : Je viens de sortir un film sur lui, qui s'intitule : ‘Les dernières confidences de Mamadou Dia’, où lui-même montrait l'aspect imparfait de l'homme dans l'exercice du pouvoir. Il cherchait en permanence la perfection au point qu’on pouvait se demander parfois si c’était le temps humain qui lui servait de référence ou le temps divin. Je pense qu’il était rempli par la puissance divine et vivait chaque instant comme un prompt départ pour l’éternité. Il avait conscience des limites de l’homme et cherchait à les pousser le plus près de la perfection et de Dieu par conséquent : c’était le sens de sa politique et de sa conduite humaine. Lui-même le reconnaissait. Les hommages mettront l'accent sur les aspects les plus significatifs de son œuvre. Maintenant, c'est aux intervenants de voir par quel angle ils devront l'aborder. C'était un homme de rectitude avec des points forts et certainement aussi avec des nœuds de fragilité ; mais la fragilité peut être une force. On est là pour parler de lui tel qu'il fut en respectant ses lignes de vérité, son inscription sur la terre de vérité qu’est la foi et à partir de laquelle il construisait tout son engagement public.

Wal Fadjri : Qui (viendront) pour analyser ces points forts et ces nœuds de fragilité du président Dia ?

Babacar SALL : Les gens viendront de partout des Etats-Unis, de toutes les diasporas sénégalaises. Des citoyens sénégalais ont décidé de venir par leurs propres moyens pour assister à l’événement. Nous sommes inondés d'appels, de courriers électroniques de gens qui nous demandent comment faire pour venir. Au Sénégal, il y aura Amadou Makhtar Mbow, ancien directeur général de l'Unesco et président des Assises nationales. Il y aura Oulimata Dia, son épouse, Moustapha Niasse, Roland Colin, l'homme d'affaires Alioune Sow, le philosophe Souleymane Bachir Diagne, le sociologue Mamadou Diouf, l’universitaire Pathé Diagne, entre autres. Sans oublier le corps diplomatique et bien d’autres personnalités françaises. Nous attendons cinq cents personnes. C'est à la fois des universitaires, des compagnons de la première heure, mais aussi le cercle des intimes. On aura vraiment des points des vues tout à fait différents, variés, riches qui nous permettront de regarder l'homme dans toutes ses dimensions.

Wal Fadjri : Vous avez connu le président Dia et l'on va plancher sur son œuvre ce samedi. S'il faut retenir quelque chose de lui, ce sera quoi ?

Babacar SALL : C'était un patriote, un homme extrêmement doux, d'une très grande tendresse, d'une très grande humanité, mais aussi d'une très grande exigence. Je crois qu'il a vécu pour son pays, pour l'Afrique, pour l'amour qu'il a de l'humanité en général. Mais il a aussi vécu comme un soldat du développement, comme un éclaireur, comme un père et comme une haute autorité morale du continent et du monde. Je retiendrai l'image d'un patriote et d'un grand humaniste. Je l'ai connu depuis 1959-1960. J'habitai près de chez lui. J'ai assisté aux événements de 1962, même si j'étais enfant. Ensuite, j'ai eu l'honneur d'avoir publié ses différents ouvrages, notamment ses mémoires, d'être avec lui, de l'accompagner à Paris à raison de deux mois l’an pendant près d’une dizaine d’années. Il habitait à l'hôtel, mais partout où il allait, on était ensemble. J'étais avec lui de façon quasi permanente. C'était un père et un très un grand ami.

Wal Fadjri : Vous avez dit que c'était un grand homme de foi. Est-ce que c'est la foi religieuse ?

Babacar SALL : C'était un grand soufi. Il considérait même la politique comme une forme de Jihad, une forme de sacerdoce, c'est-à-dire le don absolu de soi à la cause publique. Il avait vraiment une grande vocation des autres. La foi, pour lui, était indissociable de la politique. On ne peut pas faire de la politique si on n'a pas cette qualité de conviction majeure qu’on ne retrouve que dans l’éthique religieuse.

Wal Fadjri : Peut-on le qualifier d'intégriste ?

Babacar SALL : Ah non ! Pas du tout ! C'était un homme extrêmement tolérant. C'est lui l'instituteur de la laïcité au Sénégal. C'est lui qui défendait la communauté catholique du Sénégal dans son droit à être différente. Il a toujours considéré que le Sénégal était un pays multiconfessionnel et qu'il fallait défendre les confessions, surtout les plus fragiles. Car c’est cet ensemble hétéroclite qui constitue le socle de la Nation sénégalaise. Mgr Thiandoum était son grand ami.

Wal Fadjri : Certains Sénégalais retiennent de lui le mariage forcé qu'il a eu à organiser entre des femmes et des hommes...

Babacar SALL : J'ai vécu cette période-là, mais j'étais jeune. Mais il faut le resituer dans le contexte historique d’alors. Jusqu'à la fin des années 1950, c’était très rare de rencontrer une fille-mère. La fille-mère était considérée comme la honte de la famille, du quartier et même de la ville. C’était une société très morale. Et l’action politique du président Dia s’inscrivait dans ce contexte historique d’une société de valeurs et d’interdits. Donc on ne peut pas juger un homme sans contextualiser son action.

Wal Fadjri : Vous étiez proche du président Mamadou Dia. Avez-vous parlé de cette affaire. Qu'est-ce qu'il pensait de cela avec le recul ?

Babacar SALL : Ce n'était pas ça le plus important. On dit souvent que le diable est dans le détail ; mais j'ajoute que le Bon Dieu est aussi dans le détail. Ce qu'il faut voir, c'est l’impact durable de son action sur le devenir de notre société.

Wal Fadjri : Qu'est-ce que Mamadou Dia retenait des évènements de 1962 ?

Babacar SALL : Aucune amertume ! Il trouvait qu'il avait fait son devoir et avait raison d’avoir agi de la sorte. Mais il est parti en homme apaisé. Vous allez le voir à travers le film. Après avoir fait douze ans de prison dans des conditions inhumaines, il en était sorti sans rancœur. Il n'avait aucune rancune, ni contre Senghor ni contre qui que ce soit. Il pensait qu'il avait fait son devoir et que ce devoir avait un coût. Quand le président Senghor avait dit qu'il allait le libérer à condition qu'il renonçât à la politique, il avait répondu que l'‘on peut renoncer à son droit, mais on ne peut pas renoncer à son devoir’. C'était un homme de devoir et c'est l'image, enfin, que je retiens de lui.

Wal Fadjri : Vous avez parlé de ses points forts avant de dire que puisque l'homme est imparfait, il y aurait des points de fragilité chez le président Dia. Quels sont ces points de fragilité ?

Babacar SALL : C'est un paradoxe de le dire, mais son point de fragilité tel que je l'ai connu, c'était qu’il croyait beaucoup aux gens. Il croyait en l'amitié. Quand il se donnait, il le faisait à cent pour cent, intégralement. Or, le jeu humain est complexe : les gens calculent, rusent et jouent avec la vérité. Le président Mamadou Dia ne pouvait pas comprendre de telles attitudes. C’était ni dans sa culture personnelle, ni dans son schéma mental. Entre Senghor et lui, il y avait ce type de problème. C'est la croyance en l'amitié qui l'a perdu. C'était sa force, mais aussi sa faiblesse en politique. Mais dans une société où les gens cherchent des opportunités, il est bien entendu que l'homme de conviction et de rectitude est souvent en danger. Et puisqu'il inscrivait son action dans des invariants historiques, naturellement il avait plus de difficultés dans ce sens. Si l'on devait lui trouver une faiblesse ce serait celle-là.

Wal Fadjri : Parlons du film qui va être projeté samedi lors du colloque. Quel est son essence ?

Babacar SALL : Le film que j'ai fait sur le président Mamadou Dia a été tourné le 13 septembre dernier. Il revient sur sa vie. Il se livre en tant qu'être humain et parle de lui, de ses moments de fortes convictions, mais aussi de fragilité. Il fait aussi des confidences sur le Sénégal d'aujourd'hui et de demain. C'est son rêve d'avenir qu'il décrit en somme à travers ce film. Ce sont des images bouleversantes. Je n'ai jamais vu un homme aussi doux que le président Mamadou Dia. Tout ce qui est dit dans la périphérie de cet homme est totalement en dehors de la vérité. Ce n'était pas un homme dur, mais tendre… Il y a même des moments où il chante. C'était un homme très joyeux, mais aussi très exigeant par rapport au respect des engagements. Au Sénégal, quand on est exigeant, on trouve qu'on est dur. Non ! Quand un homme s'engage, il doit respecter sa parole donnée. Le président Mamadou Dia ne pouvait pas supporter qu'un homme, surtout politique, ne respecte pas sa parole. La parole a de la valeur et elle est engageante. Il était impitoyable avec les gens qui jouaient avec la vérité. C'était un être de vérité et ce n'est pas étonnant que les gens qui jouent avec la vérité fussent en difficulté avec lui.

Wal Fadjri : Dans quelles conditions avez-vous réalisé le film ?

Babacar SALL : Le président Dia est un intime. Pour moi, ce n'était pas le président que j’avais en face. D'ailleurs, il m'a toujours dit, devant son épouse, Mme Oulimata Dia, de ne jamais l'appeler Président. Il me disait : ‘Toi, tu peux m'appeler tonton’. Donc je l'appelais toujours tonton. Entre nous, on pouvait tout se dire. On riait, on débattait ; parfois on n'était pas d'accord. C'était un grand ami. Il n'y avait plus de différence d'âge entre nous. Avec moi, il était sans âge. On discutait de tout.

Wal Fadjri : Aviez-vous eu des difficultés pour obtenir son accord pour réaliser le film ?

Babacar SALL : Vous savez qu'il n’accordait plus d'interview. Combien de journalistes avaient voulu l'interviewer, le filmer, et à qui il disait toujours non ? Mais il m'avait dit : ‘Toi, Babacar (Sall), je ne peux rien te refuser’. Alors que cela faisait près de dix ans qu’on se voyait à Paris, sans que l’idée ne me vînt de prendre mon caméscope. Il se trouve que ce jour-là, par hasard, j'avais dit à Mme Dia (épouse du président Mamadou Dia, Ndlr) que j'allais venir pour prendre des images. Ensuite, on s'est installés dans une forme de dialogue et j’avais le caméscope à la main en même temps. Ce n’était pas confortable. On a échangé et à la fin, j'ai gardé le film que je n'ai plus regardé jusqu'à sa disparition. Deux jours après, j'ai visionné les images et je me suis rendu compte que les propos avaient une grande valeur symbolique. C'est à la suite de cela que j'ai décidé de le partager avec le grand nombre. Le film dure 22 minutes.

Wal Fadjri : Avez-vous discuté, débattu sur tous les sujets ?

Babacar SALL : Nous avons discuté sur tous les sujets et ce n'était pas préparé. Ce sont des images fortuites. C'est le président Mamadou Dia à l'état pur dans sa nature intime, tel qu'il est en privé, tel que les Sénégalais ne l'ont jamais vu. Ce film va surprendre beaucoup de gens. Il interpelle tout le monde. C'était un homme apaisé. C'était ses dernières confidences. C'est une parole de réconciliation, une parole de pardon, d'espérance, mais une parole qui appelle à l'effort, à la solidarité, à l'éthique et à la foi. Ce film est disponible dans sa version Dvd, mais aussi sous un format plus professionnel. Il n’est pas destiné à la commercialisation. Je le confierai volontiers à la fondation qui portera son nom et qui devra gérer à son compte les droits. Il devrait en être de même pour les autres œuvres faites sur lui.

Wal Fadjri : Comment l'avez-vous connu ?

Babacar SALL : J'habitais près de chez lui, à la Médina, non loin de ce qu'on appelait ‘Keur Mamadou Dia’ qui est devenue la résidence de la Médina, puis la Maison ‘Douta Seck’. Je l'avais vu, la dernière fois, à l'occasion des évènements de 1962, mais il ne me connaissait pas naturellement. J'étais parmi ces centaines d'enfants curieux. Je l'ai retrouvé plus tard ici à Paris, trois mois après l'alternance. Depuis lors, on s'appelait souvent. Et je peux même dire qu’il m’appelait plus je ne l’appelais. Surtout lorsque je traversai des moments difficiles avec l’édition des ouvrages sur le Sénégal. Tous les deux ou trois jours, il m'appelait après la prière du soir pour me dire : ‘Ne t'inquiète pas, je prie pour toi’. Et quand j'ai perdu ma mère et que je ne pouvais pas aller au Sénégal pour des raisons liées à mon engagement, ces prières quotidiennes m'avaient beaucoup aidé moralement. Il a été pour moi un père et surtout un grand ami comme je vous l’ai déjà dit.

Wal Fadjri : Comment expliquez-vous que l'Etat n'ait pas été représenté aux obsèques de Mamadou Dia ?

Babacar SALL : Il y a une rumeur qui véhicule l’idée que le président Mamadou Dia ne voulait pas de funérailles nationales. A ma connaissance et celle de ses proches, il ne s’exprimait jamais sur les initiatives qui visaient à le célébrer. Il n’a jamais rien dit à ce propos. J’étais dans son intimité close et je vous certifie que cette rumeur n’a aucun lien avec la vérité. Un homme d’Etat de la stature du président Mamadou Dia, l’artisan de notre indépendance nationale, devait être honoré par l’Etat lors de sa disparition : beaucoup de Sénégalais furent choqués par le fait qu’il n’y eût pas à l’occasion de funérailles nationales et que le drapeau national ne fût pas mis en berne. Le sens et la continuité de l’Etat doivent être conservés en toutes circonstances.



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