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CAHIER VACANCES : CROYANCES POPULAIRES DAKAR, VILLE "HANTEE"

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CAHIER VACANCES : CROYANCES POPULAIRES DAKAR, VILLE "HANTEE"

Il y a, pour chaque communauté, ethnie ou race, des secrets que seuls les initiés sont les détenteurs. La communauté léboue établie à Ndakarou (de Toubab Djalaw à Ouakam) depuis des siècles ne fait pas exception à cette règle. Il existe dans cette large contrée des lieux mythiques où des esprits s’y incarnent, sous différentes formes. Pour la plupart, ce sont des demeures de génies ou de djinns. Ces lieux ont besoin d’un entretien particulier, car relevant d’un patrimoine sacré à préserver. La quiétude de la communauté en dépend largement. 

Des bandes d’enfants sont éparpillées sur la plage de Yoff Warhar. Certains se jettent à l’eau de mer au fond de laquelle on aperçoit d’énormes rochers en basalte. Les enfants jouent au plongeon, sous les regards désintéressés de jeunes garçons et femmes massés sous des tentes. Lesquelles sont dressées le long de la petite plage sablonneuse. Les gamins se débattent dans les eaux. Avec innocence. Les lieux qu’ils ont l’habitude de fréquenter sont «le domaine privé d’un djinn», confesse le Djaraaf de Yoff, Mbaye Nguirane Mbengue. Les lieux sont caractérisés par la formation de deux «piscines» séparées par des blocs de pierres bien incrustés dans les eaux. Chaque piscine a sa spécificité. «On chasse le mauvais sort par un bain dans la piscine de droite et l’on attire les bienfaits dans celle de gauche», révèle M. Mbengue.

«Khéérou Ndiouma» ou les pieds de...Prophète

La place est d’une grande signification pour les populations autochtones et son histoire remonte à des siècles. Si l’on en croit les témoignages de Djaraaf, «un Prophète du nom de Khoular était passé par là. Ce qui en fait une zone de lumière». En avançant de quelques dizaines de mètres dans l’eau, le guide montre un rocher imposant parmi d’autres. «Khéérou Ndiouma» ou la pierre du génie. C’est le principal secret de la place. Au-dessus du rocher, il y a un creux. «C’est l’empreinte du pied du Prophète Khoular», clarifie Djaraaf qui perce les mystères de ce lieu à préserver : «Seuls les initiés peuvent reconnaître l’emplacement du rocher, surtout en période de marée haute. Il suffit de loger les pieds au fond du creux, faire les offrandes recommandées par les esprits pour que les vœux soient exaucés.» Mais, il apprend que «le site a montré ses valeurs dans les résultats des batailles mystiques que nous avons engagées. Nous les avons toutes gagnées». Et pour ceux qui doutent de la sacralité des lieux, M. Mbengue désigne un bâtiment de deux étages recouvert de coquillages. L’édifice surplombe la plage et est attenant à la résidence de feu Ousmane Sembène. Des constructions ont été effectuées sur le terrain où passe régulièrement les esprits, alors que des offrandes n’ont pas été faites. Conséquence : «Tous ceux qui ont eu à acquérir la maison sont morts. La demeure est hantée.» De l’autre côté de cette maison qui menace ruines, se dressent une mosquée et une belle villa : «C’est un Palais construit par Moustapha Niasse, mais il a fait nombre de sacrifices avant de commencer la construction. La place a ses réalités qu’on ne peut pas occulter.»

Le puits de Mame Ndiaré

En ce jour, Djaraaf est en compagnie d’un de ses patients de nationalité française à qui il doit administrer une thérapie de purification. L’homme est contraint de se déshabiller, s’asseoir sur un rocher, tremper ses pieds dans l’eau avant de verser un sachet le lait caillé dans l’eau, en guise d’offrande au maître des lieux. Les caillots de lait se dispersent, sous les eaux. Le spectacle attire l’attention des enfants. Pour Djaraaf, il n’a pas à s’inquiéter pour les visiteurs car, l’esprit du génie aime la compagnie des enfants. «C’est pourquoi, il n’a jamais été enregistré de cas de noyade ou de blessures, malgré l’importance des rochers.»

La nourriture annuelle des esprits

A côté de cette plage de Waraar, il existe dans le périmètre de Yoff d’autres lieux sacrés faisant partie du patrimoine mystico-traditionnel de la communauté léboue. C’est le cas de cette demeure clôturée, située à l’angle du quartier Ndénate. Au milieu de la maison fermée, trône majestueusement un gigantesque arbre et les herbes qui poussent tout autour commencent à atteindre le niveau du mur de clôture. «Ndieufougne est le nom de la demeure. Il abrite un puits qui est la propriété de Mame Ndiaré, le génie tutélaire de Yoff», renseigne Djaraaf. L’eau du puits est parfois sollicitée par des dignitaires qui en ont besoin pour des travaux mystiques. Outre Ndieufougne, le site de Ndiaw situé dans le quartier de Yoff Nguente est un petit carré clôturé, au milieu de la rue. Le lieu ne s’ouvre qu’une fois l’an. Et c’est là où on dépose la nourriture annuelle des esprits. La ration se compose essentiellement de riz, de mil, de lait caillé et de cola, entre autres. Par ces offrandes, les esprits gagnent en longévité et un honneur leur est fait auprès de leurs pairs. Ainsi, d’après le Djaraaf de Yoff, les esprits exaucent les vœux de ceux qui font des sacrifices en leur honneur.

Les demeures de Leuk Daour

Ce n’est pas seulement à Yoff où l’on trouve ces coins soigneusement gardés comme des temples du fait de leur importance. Dans d’autres zones de la capitale, existent d’autres lieux auxquels la communauté léboue tient, parce qu’ils font partie de leur patrimoine ésotérique. Ce sont les demeures du génie tutélaire de Dakar, Leuk Daour. Ce dernier qui assure la protection du «grand Ndakarou» dispose de plusieurs lieux de retraite dont la majorité est à différents lieux, le long de la côte, allant du Cap Manuel à la Pointe des Almadies, confie un notable lébou. Sous les rochers ou en mer ? Mystère et boule de gomme. Le notable refuse de donner des détails du fait de la sensibilité du sujet. Mais, pour lever un coin du mystère qui enveloppe les lieux dits secrets de Dakar, il y a des personnes qui, outre le fait qu’ils détiennent la science, sont nanties de cette prérogative. El Hadji Ma Cheikh Fatma Ndiaye, fils du premier «Bathie Guéwel» de Dakar en fait partie. Prenant le soin de préciser qu’il ne maîtrise pas tout le sujet, il confie qu’il y a des places sacrées de la capitale où le génie s’incarne sous des formes différentes.

Ces sites sont considérés comme ses maisons et il revient aux dignitaires d’en prendre soin et d’y faire des sacrifices et des offrandes, à sa demande (voir par ailleurs). Des demeures du protecteur de Dakar, M. Ndiaye cite «Koussoum», la plage qui se situe derrière la porte du millénaire ; «Kakalam», vers le Bloc des Madeleines et «Soumbédioune». Sur cette ligne droite qui longe la corniche ouest, Leuk Daour en dispose trois demeures. Ma Cheikh Fatma Ndiaye préfère se limiter à ces seules indications plus ou moins vagues. Ce n’est pas parce que ses connaissances sont limitées, bien au contraire. La prudence est de mise, pour une raison très simple. «Il n’est pas recommandé de chercher à identifier le lieu si l’on n’est pas un initié», conseille un vieux notable lébou. «Ceux qui ont essayé de percer le mystère l’ont appris à leurs dépens», menace-t-il. «C’est un secret qu’il faut garder car, il est l’une des forces majeures qui garantissent la stabilité sociale qui règne dans la capitale.»

Ne jamais percer le mystère

Autre lieu faisant office de maison à Leuk Dadou Mbaye, il y a «Terrou Baye Sogui» qui se trouve derrière la Présidence de la République. Pourtant, dans ce site dont on dit propriété du génie de Dakar, sont érigés des hôtels et des habitations. Outre le caractère sacré de ce lieu, «Terrou Baye Sogui» a aussi occupé une place capitale dans l’histoire de la communauté léboue. Selon les témoignages recueillis auprès de dignitaires et de notables de Dakar, le développement urbain et l’expansion démographique ont fait que des sites, alors versés dans le patrimoine mystique et secret de Dakar, sont maintenant occupés ou dénaturés. C’est le cas du «Carrefour Cyrnos» et la «Place du souvenir africain» que les initiés appellent «Kuun». Malgré les travaux effectués sur ces sites, des sages refusent de croire au déménagement des esprits du génie. «La sacralité des lieux est éternelle.» Mais, de tous les lieux où s’incarne l’esprit de Leuk Daour, l’île aux Sarpans est le plus mystérieux et le plus inaccessible. Cet endroit dont les lébous appellent «Weur» est, selon nombre de témoignages, le gîte naturel du génie tutélaire de Dakar qui a besoin de calme et d’obscurité, mais aussi discrétion pour mettre sa famille à l’abri des contacts humains.

Monuments et symbolisme

Loin du patrimoine de Leuk Daour, Dakar compte aussi, aux yeux des lébous, des places d’une importance capitale. Celles-ci représentent des monuments historiques à préserver, compte tenu du symbolisme qu’ils incarnent. C’est le cas de «Baigne» qui fut le premier campement des lébous, lors de leur migration du centre vers l’Ouest. Selon Ma Cheikh Fatma Ndiaye, le village de «Baigne» s’étend aujourd’hui de Hann Maristes, près du dépôt des citernes hydrocarbures à la plage de Yaraakh. Il en est de même pour le second village lébou alors dénommée «Tanni Guedji». Ce village se situe, de nos jours, entre l’actuel hôtel Novotel et le siège de la Bceao, sur l’ex-avenue Albert Sarraut. «Là, il y avait un géant baobab sous lequel les ancêtres s’asseyaient, face à la mer, pour discuter des problèmes des populations.» Mais, aujourd’hui...

SENS DES OFFRANDES ET SACRIFIES AUX GENIES : Les bœufs, le couteau, le lait, la cola...

Il arrive que les dignitaires lébous se retrouvent pour organiser des séances de prières pour Dakar. Mais, derrière l’aspect religieux, se cache une partie plus ésotérique. Un arsenal mystique est déployé pour sacrifier au rituel. Mais, là, rien n’est fait au hasard. Ce sont les génies qui fixent les règles du jeu. Et les humains d’en tirer profit. Suivons le décodage.

 Les génies ont besoin de nourriture. Certains aliments comme le lait et les céréales prolongent leur vie parmi les humains à qui ils assurent, en échange, une protection. C’est la révélation faite par le Djaraaf de Yoff, Mbaye Nguirane Mbengue, un des gardiens des temples secrets de la zone. Il coordonne souvent des séances de sacrifices pour les esprits. C’est soit pour conjurer le mauvais sort, ou pour solliciter l’intervention des esprits pour le compte d’une personne ayant besoin d’assistance. Le plus souvent, jure M. Mbengue, les résultats sont satisfaisants. Mais, il n’est pas donné à n’importe qui de savoir les éléments qui composent les sacrifices à faire, les lieux où ils doivent être effectués et les conditions dans lesquelles ils doivent être faits. «C’est du domaine exclusif des initiés, et j’en suis un pour avoir hérité la science et le pouvoir de mon père», explique fièrement le Djaraaf.

Le petit-fils du grand «Bathie guéwel de Dakar», Ma Cheikh Fatma Ndiaye, riche du legs de la science par son grand-père, souligne que les offrandes et sacrifices faits en l’honneur du génie de Ndakarou, Leuk Daour Mbaye le sont en conformité avec les exigences du génie tutélaire qui en fait la demande. «Il y a des personnes à qui il parle et ces gens ne sont pas étrangers au cercle restreint des sept dignitaires à qui il revient de perpétuer la tradition léboue» (voir en encadré). Il arrive aussi, poursuit-il, que «le génie fasse passer son message par de rares privilégiés qui sont dans la plupart des cas, des initiés». C’est ce qui explique l’organisation de cérémonie de sacrifices en des moments déterminés et dans des lieux fixes. Les sites sur lesquels les offrandes se font ne sont pas choisis par hasard, ce sont des zones sacrées par leur histoire ou sont parmi les demeures de Leuk Daour. Dans celles-ci, est organisée la plus grande et la plus célèbre cérémonie d’offrandes en l’honneur du maître des lieux : «Le Sarakhou Ndakarou.»

«Sarakou Ndakarou»

Cette cérémonie est composée de deux étapes : la partie religieuse et l’autre ésotérique. A la demande du génie, «ce sont des bœufs qui sont immolés à différents lieux, avec tout un rituel mystique qui l’accompagne». D’après Ma Cheikh Fatma Ndiaye, «les bœufs sont de couleur noire, blanche et marron. Chaque animal est immolé dans une des maisons de Leuk Daour, laquelle est tenue secrète». «C’est par le même couteau qu’on doit égorger les trois bêtes et il n’est pas ordinaire. Car, le couteau, qui est gardé la veille par l’Imam ratib, est accompagné d’éléments secrets dont lui-même peut ignorer.» Le lendemain, après la prière du matin, l’Imam est conduit aux différents lieux où l’attendent des initiés. Mais, «son rôle se limite à égorger les bêtes tour à tour. Après que l’Imam a fini de faire son devoir, des initiés se chargent de dépecer les bêtes et une partie distincte est prélevée de chaque bœuf». Le tout est mis dans un sac que d’autres personnes, ayant ce pouvoir, vont transporter en pirogue vers un lieu tenu secret. «Arrivés sur place, ces dignitaires et notables doivent jeter le sac contenant les morceaux de viande en mer, avec l’obligation formelle de fermer les yeux. Après l’acte, si le sac reste à la surface, cela veut dire que le génie n’a pas accepté le sacrifice, auquel cas, il faut tout reprendre.» Par contre, si le sac et son contenu disparaissent, le sacrifice est accepté par le génie.

Les dignitaires, gardiens du temple 

La Communauté léboue est une société hiérarchisée. Une bonne organisation interne permet à cette entité de distribuer les rôles et d’éviter des frictions. Ce partage des fonctions date depuis des siècles quand les différentes ethnies, qui composent la communauté, décident alors de s’organiser. Ces ethnies étaient, selon les rappels de Ma Cheikh Fatma Ndiaye, «les Khonk boop, les Diaassiraatou, les Waleer, les Sombaar, les Thiey Guédji, entre autres». Ainsi, il fut décidé qu’une fonction soit confiée à chaque ethnie. Ainsi, sept postes furent créés et leurs détenteurs sont élevés au rang de dignitaires.

Selon le témoin de l’histoire, les titres ne sont pas choisis au hasard et chacun d’entre eux est investi d’une mission. «Le Ndey ji reew» est le maire, «le Ndey ji jambour» fait office de ministre des Affaires étrangères. Les terres et l’agriculture sont confiées au «Djaraaf» et la défense du territoire est dévolue au «Saltigué». La liste est complétée par le «Kadi» et «l’Imam ratib» qui s’occupent respectivement de la justice et des affaires religieuses. C’est après avoir institué cette organisation qu’il a été décidé de trouver un grand Serigne dont la mission est de servir de médiateur au cas où des différends opposeraient les dignitaires ou les ethnies. La nécessité de neutralité a exigé que le Grand Serigne soit un étranger. Et paradoxalement, c’est le litre le plus convoité de nos jours.



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