COMMENTAIRE: Le bonheur du désespoir

«Mbeuk-mi », «Jihad», «Dor war», «Barça ou la mort»…Les mots désignent et agissent. Ils nous donnent une idée du drame que ces jeunes sont en train de vivre. Exclus du système, exclus de la société, ils ont perdu tout espoir. Une jeunesse qui répond, sans même se poser des questions, à l’appel des sirènes. Le large devient synonyme de réussite. Partir… quoi qu’il advienne ! Voir Barça (diminutif de Barcelone) ou mourir. La mort, pour cette jeunesse déboussolée, est synonyme de paradis. Elle parle de «Jihad» pour nommer cette aventure périlleuse dont l’objectif est d’assurer le bonheur des parents. Se faire une place au soleil dans une société de plus en plus exigeante, individualiste, qui a mordu à l’appât de la consommation. Une société où les clinquants, le m’as-tu-vu, l’apparence, sont érigés en mode de vie.

Cette jeunesse qui avait tant rêvé en 2000, a laissé se dessécher toute espérance. Le passé, le présent et le futur sont gommés du registre temporel. Comme si subitement, le bonheur était un état de l’âme d’où le temps s’est absenté. Plus épicuriens que ces jeunes, tu meurs ! Dans le désespoir, ils vivent une existence divine, comme des dieux, sans se soucier du temps, sans que le temps apporte quelque ombrage à leur bonheur. Car la mort est l’antithèse du temps. C’est là tout le sens des embarcations de fortune que les candidats à l’immigration clandestine désignent par le mot wolof (langue locale) de «Mbeuk-mi», qui fait penser au coup de tête. Les yeux fermés, ils foncent sur les îles Canaries, l’anti-chambre de Barcelone, de Madrid. De la mer agitée, ils ne retiennent que la musique qui s’échappe des vagues et qui chante le bonheur de Barça. Vue de Yarakh (quartier dakarois qui donne sur la baie), Barça est à un coup de pagaie. «Yarakh-Barça» est devenue l’unique et seule destination des candidats à l’immigration. Ceux-là qui veulent cultiver leur champ (Dème dor war). Car ils réalisent que travailler, c’est ex-ister.

C’est pourquoi, il nous semble qu’aucune mesure dissuasive ne puisse venir à bout de la détermination de ces jeunes. Ceux qui ont osé affronter une mer en furie à bord d’une embarcation de fortune, vont-ils reculer devant un barrage de forces de l’ordre ?
Ce désir de répondre, à tout prix, à l’appel des sirènes, sonne comme un désaveux des pouvoirs publics, incapables d’assurer le minimum à une jeunesse qui ne demande qu’à servir son pays.

Ces jeunes ont eu l’impression qu’il existe deux Sénégal : celui des dirigeants, de leurs familles, de leurs acolytes ; des voleurs de la République (dont le butin assure l’avenir des fils et petits-fils) et leurs complices; des maîtres-chanteurs, véritables sangsues etc, et celui des pauvres, condamnés à mener une vie de misère. La richesse des riches appauvrit davantage les pauvres. Et le paradoxe veut que dans ce pays, des fonctionnaires, responsables politiques, deviennent des milliardaires ou millionnaires.

C’est contre toutes ces pratiques que ces jeunes se révoltent. Espérons seulement que les politiques capteront le message.