Contre l'affectation d'une partie de la baie à un privé : Les populations de Ouakam en ordre de bataille

Soutenues par quelques bonnes volontés, les populations de Ouakam ont organisé, hier mercredi, un vaste rassemblement sur la baie de Ouakam, à côté de la ‘Mosquée de la divinité’, avec un seul mot d’ordre : qu’on ne touche pas à cette partie du littoral.

Décidément, la corniche ouest suscite nombre de convoitises. Après l’aménagement de cette partie, qui relève du Domaine public maritime lors du 13e sommet de l’Organisation de la conférence islamique (Oci), certains individus tapis dans l’ombre veulent continuer à spolier les lopins de terre du littoral qui a fait peau neuve. Le terrain en question est d’une superficie de sept mille mètres carrés et fait 888 mètres de long. Il est situé juste derrière la base militaire française de Ouakam, à côté de la ‘Mosquée de la divinité’. De là, on a une vue magnifique sur l’océan et on respire la brise marine en plein poumon.

Mais, à la surprise générale des populations de Ouakam et des randonneurs, qui fréquentent cette partie de la corniche ouest, depuis une semaine, le site a été totalement terrassé par des engins lourds. Mais pour l’instant, personne ne sait à qui le terrain a été attribué. Les spéculations vont bon train. D’aucuns, sans donner plus de détails, affirment que le terrain a été attribué ‘à un khalife général’. Sans avancer de nom. Au même moment, des pêcheurs que nous avons rencontrés, disent que ‘c’est le fils du propriétaire de la Mosquée de la divinité que nous avons trouvé sur le terrain. Et ce dernier nous a dit qu’il a un projet de 300 millions sur le site’.

En tout état de cause, les populations de Ouakam, soutenues par quelques bonnes volontés, sont décidées à prendre les devants pour barrer la route à tous ceux qui veulent construire un bâtiment privé sur ce terrain. Aussi ont-ils mis en place une organisation dénommée Association pour la défense du littoral. A la tête de cette structure citoyenne se trouve le cinéaste Mansour Soro Wade, habitant de Ouakam, Omar Ngalla Diagne de l’Association des volontaires de l’environnement, Pierre Goudiaby Atépa, architecte-conseil du président de la République, les responsables des notables, des pêcheurs et des jeunes de Ouakam.

Le mot d’ordre de l’Association pour la défense du littoral est qu’on ne touche pas à cette partie de la baie de Ouakam. ‘On s’est rendu compte que tout le littoral a été aménagé. Cette partie est la seule qui nous reste et qui nous permet d’avoir une vue sur la mer. Cette partie est la pointe la plus avancée du continent africain. C’est le nez de l’Afrique. C’est la partie par laquelle le Sénégal et l’Afrique respirent. C’est pourquoi, on ne peut laisser une personne, qui qu’elle soit, construire ici’, explique Mansour Soro Wade, président de l’Association pour la défense du littoral. ‘Construire sur ce cite, ajoute-t-il, équivaut à détruire toute une culture’.

Pour Omar Ngalla Diagne, militant écologiste de l’Association des volontaires de l’environnement, ce qui se passe dans le périmètre de Ngor- Oukam- Almadies est ‘une véritable ruée vers l’or’ à propos du foncier. ‘Il y a beaucoup d’enjeux financiers. Et il y a des spéculateurs qui veulent se faire des milliards en foulant au pied le code de l’environnement et les normes de construction. Il est grand temps que cela cesse. Tout ce que nous voulons, c’est préserver cette belle vue de l’océan’, martèle-t-il. De fait, les uns et les autres s’accordent à dire que les constructions et les occupations du domaine public maritime doivent connaître un terme. C’est la raison pour laquelle, les membres de l’association appellent le président de la République à y mettre un terme.

En tout cas, les sept mille mètres carrés de la baie de Ouakam attribués ‘officieusement’, et où les travaux de terrassement ont bel et bien commencé à grands pas, les populations se disent plus que jamais déterminées à défendre ce ‘bien commun’. ‘Ce que nous déplorons, c’est de voir des gens venir occuper de manière anarchique le secteur, alors que nous y avons des projets. Cette partie est un bien commun qui doit être classé patrimoine national comme le parc de Niokolo Koba. S’il y a une villa ici, la vue de la mer sera obstruée’, souligne le responsable des pêcheurs de la baie de Ouakam, Alioune Ndoye.

Abondant dans le même sens, Daouda Ndiaye, pêcheur de son état, fait remarquer que partout au Sénégal, les pêcheurs habitent au bord de l’eau, sauf à Ouakam. Mais, c’est pour dire que ‘nous n’avons pas laissé cet espace pour voir d’autres venir l’occuper’. ‘Nous sommes prêts à mourir’, avertit-il. Embouchant la même trompette, Pierre Goudiaby Atépa, architecte-conseil du président de la République, dira lui aussi que ‘nous n’accepterons pas que qui que ce soit fasse ici une villa ; sinon, il va le faire sur nos têtes’.

Pierre GOUDIABY ATEPA, architecte conseil du président : ‘Je ne crois pas qu’on ait donné ce terrain à un khalife général’

Aux avant-postes du combat pour ‘la défense du littoral’, l’architecte-conseil du président Wade, Pierre Goudiaby Atépa, se dit convaincu que ce dernier ‘est abusé neuf fois sur dix’. Il s’empresse de signaler : ‘Je ne veux pas prendre sa défense, mais le président ne sait pas ce qui se passe. On se réfugie derrière lui’. C’est la raison pour laquelle, il ne croit pas à l’attribution des 7 000 mètres carrés de la baie de Ouakam à un prétendu ‘khalife général’. Pour cause, dit-il, ‘je connais leurs méthodes. Ils disent qu’on a donné cela à un Serigne tel... Je ne crois pas qu’on ait donné ce terrain à un khalife général. Si on l’affecte à un khalife, il faut aller le voir pour lui dire que ce terrain appartient à tout le monde et ce n’est même pas bon pour lui’.

Selon l’architecte, il y a des ‘attributions dont on ne sait (pas) qui a pris la décision. C’est pourquoi, il faut réglementer cela’. D’ailleurs, signale-t-on, le combat que Pierre Goudiaby Atépa mène contre les constructions anarchiques sur le littoral, lui ont valu dans le passé des menaces de mort. Pour autant, l’architecte-conseil du président Wade n’est nullement intimidé. Ainsi, il entend consacrer ce qui lui reste ‘d’énergie à ce combat’. ‘Le littoral est pour tout le monde. Nos enfants doivent pouvoir venir ici pour admirer la mer’, professe-t-il. Notre interlocuteur rappelle que la première proposition qu’il a faite au chef de l’Etat, lorsque ce dernier l’a appelé à ses côtés, c’est la création d’une Haute autorité pour la corniche. Malheureusement, regrette-t-il, cette structure est aujourd’hui tombée en léthargie.

En outre, ce que déplore l’architecte-conseil du président Wade, c’est le mutisme de ses confrères architectes par rapport à ce combat de défense du littoral. Et il lance un vibrant appel à ses collègues pour qu’ils se penchent ‘sur le dossier du littoral et de la corniche’. ‘Il faut qu’ils se mobilisent’, dit-il. ‘C’est à eux de mener ce genre de combat. Car, ils comprennent mieux que les autres les enjeux’, fait-il remarquer.