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DÉFIANCE, IGNORANCE, MANQUE DE SURVEILLANCE : Pourquoi les plages de Dakar tuent

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DÉFIANCE, IGNORANCE, MANQUE DE SURVEILLANCE : Pourquoi les plages de Dakar tuent

Noyade lundi 12 septembre à Guédiawaye d’un jeune homme. Il s’agit de la énième tragédie sur cette plage pourtant interdite. Il ressort d’ailleurs des informations reprises par la presse que le Groupement national des sapeurs pompiers (Gnsp) a dénombré 67 cas de noyade entre le 1e mai et le 25 août. 61 ont rendu l’âme, ajoute la même source.

Il est 10 heures 55, lorsque notre véhicule s’immobilise face à la plage du « Virage ». En cette fin de ramadan, le temps est plus ou moins ensoleillé. Les gens viennent se baigner à cause de la chaleur. D’autres sont là pour évacuer le stress ou s’adonner à la lecture. Mais cet espace maritime est interdit de baignade. Les vagues sont dangereuses et il y a un fort courant marin. Avant notre arrivée sur la plage, un jeune, gérant de cabanon selon ses dires, nous interpelle : « Que voulez vous » ? « Nous sommes à la recherche d’un maître nageur », répond le reporter qui poursuit : « Il paraît que cette plage est interdite et les gens s’entêtent à venir se baigner ici ». Notre interlocuteur sort un peu de ses gonds. « Vous ne devrez pas amplifier les choses. Même sur la route, il y a des accidents. Cette plage n’est pas interdite. Un décret est sorti dans ce sens », se défend-il. De quel décret s’agit-il ? Pris de court, il ne peut répondre. Nous changeons d’interlocuteur, pendant qu’il essaie de noyer le poisson. Un autre groupe d’hommes et de femmes est assis à l’écart, non loin des rochers. Informé sur nos préoccupations, l’un d’entre eux, torse-nu, lance « Vous êtes journalistes de quel organe ». Lorsque nous avons décliné l’identité du Soleil, il indique : « Allez vous renseigner de l’autre côté, demandez Babs (c’est le diminutif de Babacar). Suivant à la lettre ses indications, nous allons à la rencontre d’un jeune en train de parler à des enfants au bord de l’eau.

Respect du périmètre de sécurité

Babacar Thiaw, torse nu et culotte en check-down, est un moniteur de surf. Agé entre 24-25 ans, il fréquente la plage depuis six ans. « Nous savons que cette plage est interdite. Mais la majeure partie des plages autorisées sont privées. Ce qui nous préoccupe, c’est la privatisation des plages publiques. J’en saisis quelque chose, puisque j’ai sauvé pas mal de noyés : des Sénégalais, des Européens. Même dans les plages où les baignades sont autorisées, il y a des cas de noyade. Allez à Ngor pour vérifier. Quand les gens sont nombreux », dit le maître en surf. « S’il y a une foultitude de personnes, un enfant peut se noyer facilement même si la plage est autorisée. Il suffit qu’il rentre dans un trou, il perd le pied et commence à avoir peur. Il y a la responsabilité de l’Etat, mais aussi celle des parents qui doivent surveiller leurs enfants », conclut-il. Interrogé sur la fréquentation assidue des plages, il donne dans le détail : « Ce que nous faisons ici, c’est pour la promotion de la jeunesse. Tu ne peux pas fréquenter une plage depuis le bas-âge pour voir un beau jour qu’on te l’interdit ou qu’on t’exige de payer 3000 francs avant la baignade. Si la famille compte 4 personnes par exemple, c’est 12 mille francs. Tout le monde n’a pas cet argent. Et quand il fait chaud, tu ne peux pas rester à la maison. Tu voudrais amener tes enfants ici pour qu’ils s’amusent sur le sable ».

Cas de noyades

Le non-respect du périmètre de sécurité est source aussi de beaucoup de cas de noyades. C’est la leçon du professeur Thierno Diouf. « Les baigneurs ne doivent pas dépasser les boulets », nous indique-t-il. Trouvé en train de donner des cours de natation à ses élèves, le maître nageur affirme que depuis qu’il fréquente la plage Virage (5 ans déjà), il n’a pas assisté à des cas de noyade. « Mais moi, je ne viens que le matin », témoigne-il. Par contre Assane Samb, un superviseur de l’espace, dit que cette année, ils ont repêché des eaux un jeune de 18 ans. « Après le repas, il est rentré dans la mer ». Thierno précise : « C’est ce qu’on appelle choc thermique ». Et Assane de continuer : « Au début, il faisait semblant de se noyer, pour jouer. C’est au retour que nous avons su qu’il était déjà mort. C’était trop tard. Nous avons ensuite appelé les sapeurs pompiers ». Selon Thierno qui prépare la course à la nage Dakar -Gorée, « il n’est pas conseillé de nager seul. Tu peux être atteint de malaise pour la première fois et si jamais tu es seul, tu coules ». Assane Samb raconte un cas similaire dans lequel, heureusement, l’homme a été sauvé.

Mais, comme l’a indiqué une autre source, en plein été, les surveillants de plages avaient croisé les bras. « C’était un mouvement d’humeur, parce que la mer ne les paye pas. Alors que ce sont des pères de famille », a dit notre interlocuteur. « Ils ont restés deux à trois jours sans travailler », raconte-t-il sous le sceau de l’anonymat.

Occupation illégale du littoral

Dès le virage, Babs avait pointé du doigt les prometteurs immobiliers qui construisent, selon lui, comme bon leur semble. « Ce qui leur importe, c’est l’argent », a-t-il dit. A ce rythme, nos interlocuteurs se demandent ce que nous et nos enfants ferons de notre temps de loisir demain. Les cas de noyade sont parfois le résultat de l’occupation du littoral, car selon lui, toutes les côtes des plages autorisées sont vendues. Chargées de veiller sur les biens sociaux, les collectivités locales ont un rôle très important à jouer. C’est le cas de la mairie de Dakar qui gère les maîtres nageurs, les surveillants de plage et autres sauveteurs. « Ce sont les collectivités locales qui gèrent les activités des plages. Mais l’Etat a aussi son rôle à jouer », rétorque sur le fil, Meïssa Seydi Ndiaye, responsable des surveillants de plage, établi au building communal de Dakar. « Il faut que l’Etat mette des policiers sur les plages interdites », conseille M. Ndiaye. Interpellé sur l’entêtement des populations qui continuent de fréquenter les plages non autorisées, l’avocat Me Issa Diop fustige les permis de construction que certains ministères concernés distribuent à l’emporte pièce. L’avocat dit toute sa désapprobation : « dès lors qu’il y a occupation illégale, il y a problème. Ce sont des actes délivrés en toute illégalité. Il appartient à la Cour suprême de dire que ces actes sont illégaux », lance. Me Diop qui reconnait qu’il faut être courageux pour s’attaquer à ses actes.

Le maître de surf, Babacar Thiaw embouche la même trompette. « Les constructions doivent être distantes de 100 mètres de la mer. C’est la Loi qui le dit. L’Etat doit réagir par rapport à cela. J’espère que les informations que je vous ai données vont améliorer la situation. Nous devons éviter d’être des étrangers dans notre propre pays. C’est ça ma conception des choses », tempête-t-il. Allant plus loin, Babacar raconte : « Un jour, un Européen, dont je vais taire la nationalité, m’a dit que les Sénégalais se rendront compte très tardivement du danger de l’érection des bâtiments à côté de la mer ». Ce même constat amer est partagé par Thierno Diouf qui est professeur de natation. Il déplore qu’aujourd’hui, la majeure partie du littoral soit occupée par des constructions illégales et anarchiques. A cela, s’ajoute la privatisation de certaines plages.

Entêtement devant le danger

Lui, c’est Ibrahima Thioune. Né en 1986, nous l’avons accroché lorsqu’il s’apprêtait à se baigner dans la mer à Ouakam. « Cette plage est interdite. Et pourtant, les gens sont entrain de se baigner. Je vais y aller », nous lance-t-il, après ses étirements. A côté de l’ignorance de certains, il y a donc pire : cet entêtement devant le danger. Samba Ndiaye est en pleine discussion. Tee-shirt et culotte lui servant de couverture, la peau ridée, laissant une barbe très mal entretenue, il raconte : « un volontaire a été envoyé ici récemment parce qu’il y a eu un cas de noyade l’année dernière. Ce sont les enfants qui nous ont alertés. J’ai pris mon masque, toutefois, le coup était déjà parti », déplore-t-il. Un autre décor nous attend à la plage de Soumbédioune. Une plage désertée par les baigneurs à cause de la saleté mêlée aux eaux usées, dans une odeur pestilentielle qui émane du Canal IV de l’Orm. Derrière les rochers, des gens sont en train de creuser. « Ce sont des orpailleurs », nous souffle notre photographe après les avoir salués. Plus loin, Doudou Gueye est en pleine baignade avec quelques enfants portant des gilets de sauvetage. « Cette plage est interdite ? Je ne le savais pas. C’est la première fois que je vienne ici », lance-t-il. Comme pour attester du poids de l’ignorance.


 



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