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DEPIGMENTATION OU « XESSAL» : Un drame sociétal

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DEPIGMENTATION OU « XESSAL» : Un drame sociétal
La dépigmentation, communément appelée «xessal» en wolof, est un phénomène très en vogue dans notre société. Et dont l’ultime but est la recherche effrénée d’une peau claire. Et le plus souvent, pour plaire. C’est selon ! Les toutes premières statistiques font état de dix (10) morts, de 2000 à nos jours, recensés à l’hôpital Aristide Le Dantec. De quoi relancer le débat sur une pratique qui étend ses tentacules de manière sournoise et insoupçonnée.

Sens et Signification
La dépigmentation, ou «xeesal» en wolof, est «l’ensemble des procédés et produits utilisés pour obtenir un éclaircissement ou un blanchissement de la peau», selon Mme Fatoumata Ly, dermatologue et présidente de l’Association internationale d’information sur la dépigmentation artificielle (Aiida). Pour le sociologue Kaly Niang, «la dépigmentation n’est rien d’autre que cette volonté que certains individus (femmes et hommes) se donnent pour changer la couleur de leur peau».
Coumba Bâ, 46 ans, vendeuse de friandises pour enfants au marché de Cambérène, dans la banlieue dakaroise, la définit ainsi : «Le ‘xeesal’, c’est rendre sa peau plus belle, plus attractive parce que la femme n’a que sa beauté à vendre. Elle n’a que son corps à montrer, c’est son atout majeur. Le charme d’une femme, c’est la peau claire.»
Toutes les définitions s’accordent donc sur le fait que l’ultime but de celle ou celui qui pratique la dépigmentation reste la recherche effrénée de la couleur blanche à des fins esthétiques. Il s’agit de l’application, généralement sur tout le corps, d’un ou, plus souvent, de plusieurs des composés suivants : laits ou crèmes à base d’hydroquinone, crèmes ou gels à base de corticoïdes puissants, produits modérément caustiques (savons liquides non rincés, shampooings, etc.) et, rarement, savons mercuriels.
Une étude, la seule sérieuse sur le sujet, faite par la revue «Sciences sociales et Santé, Vol. 22, n°2, juin 2004», montre clairement que les produits ont été appliqués sur tout le corps dans 90% des cas (sauf souvent sur la région du bassin) une ou deux fois par jour. «Il s’agit de produits à base d’hydroquinone chez 93% des utilisatrices, de corticoïdes chez 68%, de produits caustiques chez 18%, de savons mercuriels chez 11% et de produits de nature indéterminée chez 13%. La dépense moyenne occasionnée par l’achat de ces produits est de 3 200 FCfa, avec des extrêmes de 250 et 25 000 FCfa. Le coût étant supporté par l’intéressée elle-même dans 50% des cas, par le conjoint ou compagnon dans 33% des cas, par une tierce personne dans 17% des cas.»

Les Wolofs et les musulmanes plus pratiquantes de Xeessal
La même étude fournit respectivement des indications intéressantes sur les différents groupes ethniques, les religions, les niveaux de scolarisation : Wolofs (35,4%), Lébous (6%), Hal Poulars (21 %), Sérères (15,3%), Malinkés (7,4%), ethnies casamançaises (Diolas, Mandjaks) (6,8%) et autres groupes (8,1%). Quatre vingt quinze pour cent (95%) des femmes sont de religion musulmane, 5% de religion chrétienne. Les niveaux de scolarisation sont les suivants : absence de scolarisation (38%), fréquentation exclusive d’une école coranique (4%), niveaux primaire (31%), secondaire (24%) et supérieur (3%).
La dépigmentation apparaît plus fréquente chez les Dakaroises âgées de vingt à quarante ans, chez les femmes mariées ou faisant état d’un compagnon, chez les femmes ayant un niveau de scolarisation primaire, une activité professionnelle comportant un contact avec une clientèle et chez celles qui disposent de certains biens de consommation (télévision, téléphone, automobile).
Aucun segment de la vie sociale n’échappe donc à la pratique de la dépigmentation de la peau. C’est certainement ce qui fait dire au sociologue Khaly Niang que la dépigmentation de la peau est «passée d’un phénomène social à un drame sociétal».

La dépigmentation : aux sources d’une société de jouissance
La dépigmentation de la peau serait méconnue des sociétés traditionnelles qui mettaient plus en exergue la beauté intérieure et la primauté des valeurs. Or, aujourd’hui, elle est un phénomène de mode basé essentiellement sur la rationalité instrumentale, car privilégiant l’objectif visé ou à atteindre. Elle s’explique par le basculement de nos sociétés dans l’ère de la société de jouissance dans laquelle le paraître l’emporte largement sur l’être. C’est donc, de l’avis, toujours, de Khaly Niang, une résultante d’un conflit entre le groupe d’appartenance (groupe social de l’individu) et le groupe de référence (groupe dans lequel l’individu veut adhérer). Les références sont, ici, les divas, les «diongomas» et autres stars à la peau claire.
Les motivations qui poussent les femmes et certains hommes à se dépigmenter la peau obéissent donc profondément à une logique esthétique : s’éclaircir la peau pour répondre aux canaux de la beauté. Mame Dieynaba Bopp, 22 ans, première année en Géographie, du haut de ses 1,65m, a bien voulu interrompre ses révisions pour se prêter à nos questions. Et c’est pour abonder dans le même sens : «Les femmes font de la dépigmentation pour être claires dans le seul but de plaire aux hommes qui considèrent que seule une femme de teint clair est belle.» L’influence des membres de la famille est aussi souvent convoquée : «Personnellement, je ne voulais pas faire du  ‘xeesal’. Mais presque toute ma famille en fait. Je peux dire que c’est par contrainte que je suis entrée dedans, mais ce n’était pas mon choix premier», à en croire Penda Ndoye, 28 ans, teint bien clair et gérante d’un magasin qui vend des accessoires de téléphones portables à Yoff.
Certaines femmes s’adonnent à cette pratique à cause de l’influence de leurs copines, comme le souligne si bien Mamy Ndiaye, 32 ans, technicienne de surface (ménagère) au Casino de Sam et vivant à la Médina. «Il faut dire que j’ai fait de la dépigmentation un peu par suivisme. Toutes mes copines faisaient de la dépigmentation, je n’avais pas le choix. Elles ont réussi à m’influencer, mais c’est la vie, on n’a pas toujours ce que l’on veut.» Khady Fall, 53 ans, femme au foyer habitant Cambérène, nous a affirmé être une inconditionnelle. «Je ne peux pas dire franchement ce qui m’a poussée à faire du ‘xeesal’. Je crois que c’est à la fois par feeling ou par amour de la blancheur, mais aussi par imitation, car mes sœurs et certaines copines faisaient ça. C’est un engrenage, je veux bien arrêter, mais j’ai peur que mes copines et mon entourage se moquent de moi. J’ai aussi peur d’avoir un teint charbon, comme on dit, ou d’avoir des problèmes de peau.»
Les cérémonies familiales comme le baptême ou le mariage ainsi que les manifestations religieuses constituent aussi des facteurs explicatifs importants. Il s’ensuit que les principales motivations des utilisatrices sont la mode, le désir d’être belle, l’imitation des personnes de l’entourage, l’automédication ainsi que les amies qui apparaissent comme étant souvent à l’origine de compliments et d’incitations directes, les conjoints ayant une position intermédiaire.

Quand les hommes s’y mettent aussi
La dépigmentation de la peau fonctionne souvent comme un phénomène de mode, avec identification à un groupe (rôle prépondérant des amitiés féminines) et revendication implicite de certaines valeurs : urbanité, modernité, féminité adulte, pouvoir de séduction et accès à un certain niveau social ; un désir d’émancipation par rapport aux modèles féminins classiques semble perceptible.
La pratique de la dépigmentation qui relevait exclusivement des femmes est devenue aussi une activité masculine de nos jours. De plus en plus d’hommes se dépigmentent la peau pour, généralement, les mêmes raisons que les femmes. «Pourquoi vous ne parlez que des femmes, maintenant les hommes aussi font de la dépigmentation, surtout les «Niack» (Ndlr : appellation désignant les Africains de l’Ouest et du Centre principalement)», peste Fatoumata Dramé, 20 ans, première année d’Anglais à l’Ucad. Si la dépigmentation passe quasiment pour naturelle chez les femmes, son usage chez les hommes tombe généralement sous le coup du non-sens absolu. Comme en atteste ce témoignage de Mariama Sané, 27 ans, surprise au marché «Tilène» en train de marchander des bracelets en or : «Vraiment, un homme qui fait du ‘xeesal’, c’est vilain, ce n’est pas beau à voir, je ne sais même pas comment qualifier ça. Je pense qu’un homme à autre chose à faire que du ‘xeesal’, il faut laisser ça aux femmes.»
Cette nouvelle donne entraîne une déstructuration des barrières entre genres. Les hommes qui se livrent à cette pratique appartiennent le plus souvent au showbiz (artistes, musiciens, mannequins…) et courent le risque d’être étiquetés homosexuels ou travestis. Les conséquences cliniques sont notoirement connues : infection dermatologique comme les mycoses, la gale, les érysipèles, l’acné…

Générateurs de maladies
Plus récemment, on a suspecté que l’usage des produits de dépigmentation constitue un facteur à risque pour l’hypertension artérielle et le diabète. Les topiques (produits) utilisés sont, en effet, potentiellement toxiques : corticoïdes, composés aux nombreux effets secondaires locaux, voire systémiques, dérivés de l’hydroquinone, aujourd’hui très réglementés en Europe du fait d’un potentiel mutagène aux risques incertains, mercuriels, composés à la toxicité bien connue.
La dépigmentation née également, chez certains, du complexe d’infériorité qui les conduit à sous-estimer la couleur noire et à favoriser, démesurément, la couleur blanche. Mais plusieurs hypothèses explicatives classiques, voyant effectivement dans la dépigmentation, l’expression d’un quelconque complexe lié à une perception dévalorisante de la peau noire par référence à une typologie raciale occidentale, sont loin d’être confirmées. Il convient de restituer la dépigmentation dans une perspective historique locale de modes de perception des différentes tonalités de couleur de peau, ainsi que des stratégies de séduction.

Solutions préconisées
En dehors de la sensibilisation, qui demeure prioritaire, Mme Ly en appelle à une implication totale des autorités sanitaires pour interdire l’usage des médicaments à des fins cosmétiques. De plus en plus de voix s’élèvent pour demander aux autorités gouvernementales d’interdire, à l’image de la Gambie et de la France récemment, l’importation des produits de dépigmentation. Pour inverser la tendance, Khaly Niang insiste, lui, sur la responsabilité aux niveaux familial et communautaire. Et estime que la société a intérêt à procéder à une insurrection des mentalités et une revalorisation des croyances et coutumes pour inverser la tendance. 
Il faut, selon lui, faire un travail méthodique de sensibilisation, d’éducation des jeunes qu’il faudra conscientiser sur les dangers de la dépigmentation dans la mesure où la science conclut à une réduction de l’espérance de vie chez les adeptes de la dépigmentation.
L’Etat, de son côté, doit également jouer pleinement son rôle en comblant le vide juridique, puisqu’il n’existe, à l’exception du décret 79-231 du 9 mars 1979 (il est inappliqué) interdisant la dépigmentation aux élèves des établissements d’enseignement élémentaire, moyen et secondaire, sous peine d’exclusion temporaire ou définitive), aucune coercition en la matière. La volonté politique doit déboucher sur une loi interdisant la vente des produits toxiques.
Toutes les couches sociales, de 15 à 45 ans, sont ainsi concernées par la pratique de la dépigmentation qui est véritablement au cœur d’un problème épineux de santé publique. Il faut remédier à la déliquescence préoccupante des «garants méta-sociaux» (les leaders d’opinion) qui se singularisent par un mutisme déconcertant.



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