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Dr Djibril NDAW (cancérologue) : ‘ La mortalité du cancer du foie est de l’ordre de 50 à 70 % au Sénégal ’

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Dr Djibril NDAW (cancérologue) : ‘ La mortalité du cancer du foie est de l’ordre de 50 à 70 % au Sénégal ’

Les médecins ont une grande part de responsabilité dans les failles notées dans le système médical du pays. L’avis est du cancérologue médical et hématologiste, le Dr Djibril Ndaw. Au cours de l’entretien qu’il nous a accordé, celui qui est l’un des rares spécialistes de la maladie du cancer, dénonce l’attitude de ses confrères qui officient aussi bien dans les structures publiques que privées. Une situation qui, selon lui, freine leur engagement au niveau des hôpitaux. Le Dr Ndaw est, en outre, revenu sur la situation du cancer au Sénégal. Une situation marquée par l’absence de spécialistes, faisant que l’on a du mal à réussir dans la lutte contre la maladie. Par ailleurs, le cancérologue médical et hématologiste a accepté de nous parler de ses difficultés à se réinsérer dans le système médical de son pays alors que l’Arabie Saoudite où il a officié, pendant plusieurs années, continue à lui faire les yeux doux. S’il s’obstine à ne pas répondre à ces sollicitations, c’est, explique-t-il, pour répondre à l’appel du chef de l’Etat contre la fuite des cerveaux, mais également pour servir son pays qui n’a que deux cancérologues de formation (dont le Dr Ndaw) pour ses 10 millions d’habitants. Entretien.

Wal Fadjri : Quel est le profil épidémiologique du cancer au Sénégal ?

Dr Djibril Ndaw : Plutôt que de parler du profil épidémiologique du cancer au Sénégal, il est important de parler du profil épidémiologique des cancers en Afrique qui est, à peu près, le même partout. C’est le profil des pays sous-développés. Malheureusement, l’enregistrement des cas de cancers ne permet pas d’avoir un profil exact. Mais, ce que l’on peut globalement dire est que ce profil n’est pas trop différent du profil des cancers développés. Cela veut dire que les cancers les plus fréquents en Afrique sont particulièrement le cancer primitif du foie (Cpf), les cancers du sein et du col utérin chez la femme. L’intérêt du cancer du col, c’est que c’est un cancer principalement dû à des virus et, aujourd’hui, nous avons une vaccination contre ce cancer. Chez l’homme, nous avons surtout le cancer de la prostate qui est la première cause de cancer. De plus en plus, nous avons aussi le cancer du poumon, lié au tabagisme. Il faut savoir qu’il y a quelque 3 500 produits chimiques dans le tabac et qu’une trentaine de ces produits est connue comme cancérigène. Voilà, globalement, le profil épidémiologique du cancer en Afrique et c’est le même profil au Sénégal. Mais, je voudrais surtout insister sur le cancer primitif du foie dont la mortalité est très élevée dans certains pays d’Afrique, en particulier par exemple au Mozambique où elle atteint 120 pour 100 000 habitants.

Wal Fadjri : Et au Sénégal ?

Dr Djibril Ndaw : Au Sénégal, elle est de l’ordre de 50 à 70 %. C’est énorme. Mais aujourd’hui, nous avons une arme très efficace contre le cancer primitif du foie qui est provoqué par deux types de virus : le virus de l’hépatite C et le virus de l’hépatite B. Et en particulier l’hépatite B dont on a, aujourd’hui, une vaccination qui permet de prévenir, très efficacement, ce type de cancer.

Wal Fadjri : Et y a-t-il un âge propice pour avoir le cancer ?

Dr Djibril Ndaw : Tous les âges sont concernés par le cancer. Mais, de plus en plus, nous recrutons les cancers à un âge avancé, c’est-à-dire à partir de 60 ans. Ce qui est dû à la longévité de la vie et à l’exposition des facteurs environnementaux qui sont principalement à la cause des cancers. Parmi les causes des cancers, il faut distinguer quatre facteurs principaux. Nous avons les causes virales que l’on peut prévenir. Il y a également des causes environnementales que l’on peut prévenir, mais le gros problème, aujourd’hui, c’est le réchauffement planétaire. Nous avons aussi les cancers chimiques, des cancers dus aux radiations et enfin nous avons les cancers dus, de manière intrinsèque, c’est-à-dire venant de l’organisme lui-même et que l’on appelle les cancers génétiquement déterminés. Par exemple, nous savons que dans 5 % des cancers du sein, c’est des facteurs génétiques et que toute femme porteuse de ces facteurs a pratiquement 100 % de risques de faire un cancer du sein.

Wal Fadjri : Quel est l’état des lieux des cancers au Sénégal ?

Dr Djibril Ndaw : C’est vrai que je suis un des rares dans le traitement du cancer. Je suis cancérologue médical par formation, diplômé de l’école de Paris. C’est vrai que je me suis absenté pendant une dizaine d’années (un séjour assez long en Arabie Saoudite). Mais n’empêche que j’étais tenu informé de l’évolution de la situation. Très globalement, la situation du cancer au Sénégal est préoccupante pour la bonne et simple raison que, très longtemps, la lutte contre le cancer au Sénégal n’a pas bénéficié d’une logistique spécialisée. C’était, principalement, l’Institut du cancer de l’hôpital Aristide Le Dantec qui était chargé de coordonner cette lutte contre le cancer. En 2006, la 58e session de l’Organisation mondiale de la santé (Oms) a particulièrement insisté sur le rôle croissant du cancer comme cause de mortalité, devenant un grave problème de santé publique dans les pays développés. Et une mention particulière a été faite pour la lutte contre le cancer dans les pays en voie de développement. Surtout que les statistiques renseignent qu’en 2002, onze millions de cancers ont été diagnostiqués dans le monde. Un chiffre qui va atteindre 17 millions en 2020 et ironie du sort, les deux tiers des morts devraient être enregistrés dans les pays en voie de développement. Et l’on comprend la préoccupation de l’Oms d’autant plus que les ressources financières de ces pays destinées à la santé sont très insuffisantes. Ainsi, l’Oms avait recommandé une meilleure prise en charge des cancéreux avec la création, un peu partout dans les pays en voie de développement, de ‘point focal sur la lutte contre le cancer’ pour ‘éviter le désastre’. Le Sénégal a respecté cette recommandation de créer un point focal pour lutter contre le cancer au Sénégal. Ce que je peux dire globalement au niveau du traitement est que les moyens commencent à s’améliorer. Aujourd’hui, à l’Institut du Cancer, on a un service de radiothérapie, un département de chirurgie et il y a également un département de chimiothérapie. Seulement, le problème qui se pose actuellement, c’est au niveau des ressources humaines. C’est surtout l’absence de spécialistes en la matière qui pose problème.

Wal Fadjri : Voulez-vous dire que, malgré les moyens matériels existants, le cancer ne connaît pas de recul au Sénégal ?

Dr Djibril Ndaw : Le cancer est l’une des rares maladies que l’on doit aborder, en médecine, avec ce sentiment de traiter de manière curative ou non. L’hypertension, par exemple, on la traite avec des médicaments pour la vie. Le cancer, on le guérit ou on ne le guérit pas. Et la première décision thérapeutique est une décision très importante. Faisant que si l’absence de compétence est là, on risque de passer à côté de cette première décision thérapeutique qui est primordiale.

Wal Fadjri : Est-ce à dire que le Sénégal passe à côté de la lutte contre le cancer ?

Dr Djibril Ndaw : Dire que le Sénégal passe à côté, non. Par contre, je pense que les résultats devraient s’améliorer si, effectivement, autour du cancer, nous avions de vrais spécialistes pour prendre les décisions idoines.

Wal Fadjri : Mais Dr Ndaw, vous êtes un spécialiste de la maladie. Alors, qu’est-ce qui vous empêche de vous insérer dans le tissu pour mettre votre savoir-faire au service des populations ?

Dr Djibril Ndaw : (Hésitations). Mon histoire est ordinaire ou particulière, c’est selon. J’ai été formé en Oncologie médicale dans l’une des très grandes structures de cancer à Paris. Et quand je suis revenu au Sénégal en 1996, j’ai été surpris de constater que mon poste avait été suspendu, malgré le fait que pendant six mois, j’ai essayé de régulariser cette situation. La raison donnée à l’époque, c’est que j’ai eu un dépassement d’un an de séjour à Paris. En réalité, c’était normal parce que, quand je suis arrivé, en 1991, à Paris pour ma formation, pour des raisons universitaires, j’ai dû bénéficier d’une dérogation, accordée en 1992, pour faire ma formation. Ce qui fait que l’autorisation qui m’a été donnée en tant que fonctionnaire décisionnaire pour faire ma formation, a été décalée d’un an. Les papiers justificatifs ont été envoyés au niveau du service d’origine. Et je n’ai jamais compris pourquoi cela n’a jamais été transmis au niveau du ministère de la Santé. Quand, après des démarches, je n’ai pas pu régulariser la situation, je suis retourné à Paris et de là, j’ai pu avoir un contrat pour aller travailler, pendant neuf ans, en Arabie Saoudite. Mais je suis revenu au Sénégal, depuis un an et demi, parce qu’à un moment, l’on se dit qu’il faut retourner dans son pays pour donner le maximum de soi-même. Je suis hautement qualifié dans le traitement des cancers et des maladies du sang et je pense que mon pays a besoin de moi. Au-delà de cela, je réponds également à l’appel lancé par le président de la République pour lutter contre la fuite des cerveaux. Malgré tout, j’ai eu beaucoup de problèmes. Depuis que je suis arrivé, j’ai pris contact avec tous les collègues qui sont, plus ou moins, impliqués dans le traitement du cancer en général et des maladies du sang. J’ai aussi fait des démarches officielles pour revenir au niveau de l’Institut du cancer.

Wal Fadjri : Et quel a été le résultat de toutes ces démarches ?

Dr Djibril Ndaw : Malheureusement, aussi bien au niveau de la Faculté que de l’hôpital Le Dantec, je n’ai pas eu d’approbation que je pourrai y retourner. N’empêche, je continue à faire des démarches au niveau du ministère de la Santé. Je commence à rencontrer les autorités du ministère qui me promettent de voir dans quelle mesure on pourra régulariser cette situation pour me permettre de retourner travailler à l’Institut du cancer. C’est très difficile. Et comme je vous l’ai dit, je suis hautement qualifié dans le traitement du cancer avec une très bonne expérience pratique. A Paris, c’était le système français et en Arabie-Saoudite, c’est le système américain. Un système qui est très exigeant en matière de pratique, du fait de l’exigence d’une mise à jour assez régulière des connaissances, avec une contrainte juridique de rendement. C’est ce qui fait que je suis désolé de voir que les choses sont très difficiles pour les malades atteints de cancer au Sénégal. Je pense que c’est dû au fait que les ressources sont insuffisantes et relativement peu formées pour prendre en charge ces questions.

Wal Fadjri : Au-delà de ces explications, n’y a-t-il pas d’autres raisons qui empêchent votre ré-intégration ?

Dr Djibril Ndaw : Lors des différentes rencontres avec mes collègues, le sentiment que j’ai eu, est que les gens ont perdu de vue notre rôle en tant que médecins de la santé publique. Le système de lobbying est très dense dans le système médical et c’est très regrettable. L’impression que j’ai eue dans mes différents contacts, c’est que la préoccupation de la santé publique est reléguée à un autre plan. C’est regrettable et il faut que les gens reviennent à la réalité. Surtout que chaque travail est une mission qu’il faut remplir avec dévouement, amour et compétence.

Wal Fadjri : Y a-t-il des statistiques sur le nombre de cancéreux au Sénégal ?

Dr Djibril Ndaw : Depuis quelque temps, on n’a aucune donnée. J’ai récemment revu la littérature internationale mais, il n’y a pratiquement aucune donnée pour le Sénégal. La raison est qu’il y a eu une période vide au niveau de la lutte contre le cancer au Sénégal. Les institutions n’étaient pas fonctionnelles, le laboratoire d’hysto-patélogie non plus. Il était, par conséquent, difficile d’avoir une idée du phénomène. Mais, ce qui est sûr, c’est qu’en pratique, le cancer est une maladie fréquente au Sénégal. Et le cancer du foie est le plus fréquent, aussi bien chez les hommes que les femmes. Les cancers du sein et du col utérin sont aussi très présents chez les femmes.

Wal Fadjri : Mais peut-on définitivement guérir le cancer ?

Dr Djibril Ndaw : La curabilité du cancer est à l’image de la curabilité de toutes les maladies. Quand on vient tôt à l’hôpital, il est certain que pour chaque type de maladie, on guérit bien. Ceci est d’autant plus valable pour le cancer que sa particularité est que c’est une maladie qui est née localement, avant de se disséminer dans tout le corps. Et cette dissémination est en général mortelle pour la plupart des cancers. Les chances de guérir un cancer dépendent fondamentalement de ce que l’on appelle la classification. Plus un cancer est localisé, plus il y a des chances de le guérir. Et au Sénégal qui est un pays pauvre, les gens viennent à un moment avancé de leur maladie. Ce qui rend les résultats plutôt décevants.

Wal Fadjri : L’on dit du cancer qu’il est une maladie. Qu’est-ce qui fait sa complexité ?

Dr Djibril Ndaw : La complexité du cancer provient de sa biologie, qui fait intervenir ce qui est fondamental dans la lutte, c’est-à-dire le gène. Vous savez, l’unité vivante de l’homme est la cellule et si le cancer naît de cette cellule, c’est qu’il y a une modification du gène. C’est un peu ce qui gouverne les cellules dans leurs comportements. Et le cancer devient complexe parce que tout ce qui est dans ce gène s’exprime au travers de la maladie. Ce qui fait que, dans le traitement du cancer, il y a pratiquement trois types d’unités qui s’en occupent. Il s’agit d’un traitement médical, d’un traitement chirurgical et d’un traitement par la radiothérapie. Mais, dans l’évolution de la maladie, l’approche thérapeutique et le pronostic sont totalement différents, selon que l’on est en face d’un cancer localisé, confiné dans l’organe qui lui a donné naissance ou d’une maladie en loco-régionale ou enfin une maladie disséminée (ou métastique). En même temps que le processus tumoral, des manifestations particulières parfois très dangereuses peuvent accompagner le cancer. On les appelle le syndrome paranèoplastique dont la guérison dépend de l’efficacité du traitement initial. Malheureusement, la plupart de nos malades viennent à un stade avancé de leur affection. Ce qui rend l’option du traitement curatif très difficile.

Wal Fadjri : Vous dites que le cancer fait appel à trois types d’unités. Est-ce à dire qu’un seul médecin ne peut pas assurer le traitement du cancer ?

Dr Djibril Ndaw : Tout à fait. Aujourd’hui, si l’on veut donner toutes les chances à un malade de cancer, en tout cas pour la plupart des cancers, il faut une concertation multidisciplinaire. Obligatoirement, à une même table, devant un dossier, doivent s’asseoir un cancérologue médical, un chirurgien et un radiothérapeute pour prendre une décision collégiale afin de mieux traiter le cancéreux.

Wal Fadjri : Pendant longtemps, vous vous êtes absenté du pays. Alors quel regard portez-vous sur la médecine au Sénégal ?

Dr Djibril Ndaw : Ce que je constate, c’est que tous les jours, quand on regarde la télé, que l’on lise les journaux ou que l’on écoute les radios, il y a des problèmes partout. On ne comprend pas qu’au Sénégal, le système de la santé soit régulièrement dans des problèmes de fonctionnement. Surtout que le Sénégal a une faculté de Médecine qui date de 1946 et qui a formé la plupart des médecins en Afrique. Ainsi, nous avons pratiquement toutes les compétences, mais l’hôpital ne marche pas. Est-ce un problème administratif ou purement médical ? En tout cas, je pense que c’est un non engagement du corps médical à assumer ses responsabilités parce que si le corps médical a la foi de résoudre les problèmes médicaux, il peut s’imposer à la structure étatique. L’Etat ne doit exécuter que ce que veut le corps médical.

Wal Fadjri : Voulez-vous dire que vos confrères ne sont pas très engagés ?

Dr Djibril Ndaw : Quand je regarde la structure actuelle du fonctionnement de l’hôpital, les mêmes gens qui sont à l’hôpital, ce sont les mêmes que l’on retrouve dans les cliniques privées. Je ne suis pas sûr que ce type de système puisse permettre à l’hôpital de fonctionner correctement. Les gens ne doivent pas aller dans les privés quand ils sont des fonctionnaires. Je vois pas pourquoi l’on autorise les fonctionnaires à aller faire du privé. Cette situation rend très faible le système parce que quand l’essentiel de vos revenus sont dans le privé, il y a très peu de chance que vous vous occupiez de ce que la structure publique a, avec ses difficultés et ses contraintes.

Wal Fadjri : A l’Etat alors de prendre ses responsabilités ?

Dr Djibril Ndaw : Absolument. Il faut un Etat rigoureux. Que les fonctionnaires restent dans les structures publiques et les privés dans le privé. Pourtant, je crois que l’on a permis à des médecins de faire du privé à l’hôpital. Mais que l’on s’organise à ce qu’ils soient à l’hôpital pour y faire leur privé. 



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