ENQUETE SUR LA VIANDE ET LE FOIE IMPORTÉS AU SENEGAL : Les Sénégalais consomment de la chair de Buffle

Dans l’imagination populaire, la viande importée et commercialisée sur les différents étals des marchés de la région de Dakar proviendrait des réserves de pays menacés de guerre en Amérique Latine et en Asie. Des produits qui ont été congelés pendant plus de 10, voire 20 ans, avant d’être vendus à certains pays africains. Une enquête effectuée dans les marchés et auprès des autorités chargées de la qualité des produits importés révèle que la viande et le foie importés sont du bœuf, mais aussi du buffle appelé «naggou hale» en wolof.

De la viande de buffle, les Sénégalais en consomment à gogo. Si l’on sait qu’elle constitue 90% de la viande importée. Des produits en provenance de l’Argentine, de l’Inde, du Pakistan…transitent au port de Dakar dans des cartons estampillés Allana, Safaa, Daara, 5 Star... dans lesquels se trouvent de la viande et du foie de bœuf, mais aussi ceux de Buffle. Dans le dictionnaire Le petit Larousse illustré de 2010, le Buffle est défini comme suit : «Un mammifère ruminant aux longues cornes arquées, dont il existe plusieurs espèces en Europe méridionale, en Asie et en Afrique. (Cri : le buffle souffle ; famille des bovidés). Buffle domestique : karbau.» A noter que depuis l’apparition de la viande désossée dans le marché sénégalais, la vente des brochettes de viande ou de foie se fait dans toutes les rues de Dakar.

Elles sont nombreuses, les femmes qui se sont converties dans ce commerce de brochettes de foie dans les gares routières ou les devantures des établissements en raison du prix de vente de la viande importée. Un produit que certains bouchers refusent de commercialiser. «J’ai fait 40 ans dans ce métier. Mais, je n’ai jamais vu un bœuf avec un foie de 15 kilogrammes. Les foies de nos bœufs peuvent peser jusqu’à 7 kg, mais 15 kg c’est trop. Je ne vends pas de la viande importée», explique Cheikh Dieng, vendeur de viande au marché Castors. «Il y a une très grande différence entre les viandes. La viande importée à un goût fade. Ce qui est dû à la longue conservation ainsi que les produits qui sont introduits dans la technique de congélation de longue durée. Qui peut même durer des années. Si l’on sait que les pays exportateurs de ladite viande sont capables de garder des cadavres au frais pendant un siècle. Il y a une forte ruée des restaurateurs vers la viande et le foie importés à cause du prix de vente fixé à 1 800 FCfa», ajoute le boucher C. Dieng. «Le kilogramme de la viande de la Séras et celui du foie est vendu à 2 200 FCfa. Alors que le kilogramme de la viande importée coûte 1 800 FCfa et celui du foie à 1 000.»

Louanges des bouchers

«Il faut être un méchant pour dire que cette viande est mauvaise à la consommation», tempête Ibrahima Diallo avant de vanter les qualités de la viande et du foie importés. «La viande importée est plus facile à digérer que celle provenant de la Seras. Car, cette dernière qui vient d’être mise à la consommation est fraîche. Donc, difficile à digérer. Contrairement à la viande importée mise en congélation depuis quelques mois», constate Ibrahima Diallo. Lequel avance qu’il ne consomme que cette viande chez lui depuis 5 ans. Mamadou Diallo, commerçant au marché Sandaga, abonde dans le même sens que son compatriote guinéen. «Il n’y a aucun problème dans la viande importée. La taille du foie et son poids ne doivent pas inquiéter les consommateurs. Car, l’élevage n’est pas le même», soutient M. Diallo. Toutefois, d’autres bouchers implantés à Sandaga révèlent que les vendeurs de la viande importée trompent souvent certains clients en leur disant «qu’ils vendent de la viande de la Séras». Ce qui est faux. «Ils arrosent la viande importée avec du sang de bœuf pour tromper les clients», constatent-elles.

La bonne affaire des grossistes

Les grossistes de la viande et du foie importés se frottent les mains. Du fait de la forte demande constatée sur le marché. Surtout les Fast-foods et les restaurants qui se procurent de la viande et du foie importés en grande quantité. Chérif Diallo, grossiste au marché Sandaga, explique «qu’il vend de la viande de bœuf importée». «Il est bien inscrit sur les cartons qu’il s’agit de la viande de bœuf. Et, je n’ai jamais eu de problème avec des clients», dit Chérif Diallo. Ce dernier souligne également que les prix en gros varient selon le marché. «La viande que l’on appelle communément avant (c’est-à-dire les pattes avant) coûtent 31 000 FCfa le carton de 20 kg et celle de derrière (les pattes de derrières) 36 000 FCfa», soutient-il. Pour ce qui est du foie, il déclare que le kilogramme peut être vendu à 1 000 ou 1 200 FCfa.

Les doutes des Ménagères et restaurateurs

Mme Dièye, rencontrée au marché Tilène, est catégorique. «Je ne mange jamais cette viande importée», dit-elle d’un ton ferme. «Je ne sais pas quand est-ce que l’animal a été tué et dans quelle condition. Je suis musulmane. Et, j’ai entendu beaucoup de chose dans cette viande. Il s’y ajoute qu’elle a un goût amer. Car, j’avoue que j’ai une fois goûté à cette viande. Mais, depuis ce jour, à chaque fois que l’on cuisine de la viande, je demande d’où est-ce qu’elle provient», raconte-t-elle. Adrien Tavarez, gérant du Maxi-Food rue 15X6 Médina, avoue avoir une fois acheté de la viande importée. «J’ai une fois acheté cette viande, mais nous avons constaté qu’elle était dure après cuisson. Depuis lors, on a mis une croix sur cette viande», note A. Tavarez. «Nous n’achetons maintenant que de la viande de la Séras pour nos «chawarmas» et sandwichs. C’est plus rassurant. Car, il y a des vétérinaires qui sont sur place pour contrôler les bêtes avant l’abattage», explique le gérant de Maxi-Food.

La viande est licite, selon l’Islam

Toutefois, l’animateur de la Rfm, Oustaz Taïb Socé, rassure que la consommation de la viande de Buffle n’est pas interdite par l’Islam. «La viande de Buffle peut être consommée par un musulman. Car, il se nourrit de foins», soutient Taïb Socé. Mais, la viande des animaux, comme «le lion, le chien…», est interdite aux musulmans. D’ailleurs, constate l’islamologue, les Occidentaux écrivent souvent «Halal» sur les cartons de viande importée. Ce qui veut dire qu’elle est propre à la consommation. 

Mouhamadou Mbaye, commissaire aux enquêtes économiques, chef de la Division de la consommation et de la sécurité des consommateurs (Dcsc)

«Il y a de la viande de bœuf et celle de buffle, c’est clairement spécifié», explique Mamadou Mbaye. Le chef de la Division de la consommation et de la sécurité des consommateurs révèle également que les produits proviennent, en général, de l’Argentine et des pays du Sud-est asiatique, comme l’Inde, le Pakistan… Mais, il rassure les consommateurs en disant que cette viande peut être consommée sans risque. Car, fait-il savoir, «pour qu’un produit alimentaire puisse être importé au Sénégal, par exemple, le lait, la viande… il faudrait que ce produit soit de vente légale dans le pays d’origine et que ça soit consommé dans ce pays». «C’est l’un des principes premiers pour que le produit soit commercialisé dans ce pays», dit-il. Et de poursuivre : «Pour l’importateur, il doit avoir la facture du fournisseur et également un certificat de qualité sanitaire du produit. Qui atteste que le produit a été agréé par un laboratoire agréé. Tels sont les documents obligatoires que nous réclamons. Et, une fois au Port de Dakar, nous prélevons quatre échantillons dans le produit. Lesquels seront amenés au laboratoire de la Direction du commerce intérieur (Dci). Et, c’est après les résultats du laboratoire de la Dci que le produit peut être autorisé à la vente. Et tant que nous ne visons pas le document dénommé Déclaration d’importation de produit alimentaire (Dipa), il ne peut pas être dédouané. Alors que nous n’apposons notre cachet sur la Dipa qu’après les analyses du laboratoire de la Dci.» Pour ce qui est du poids et de la taille inquiétants du foie importé, Mamadou Mbaye convoque «la différence liée dans les types d’élevages». «Nous n’avons pas le même type d’élevage que certains pays asiatiques et d’Amérique Latine. Car, il y a des vaches qui subissent l’insémination artificielle.» Toutefois, il soutient «qu’il est extrêmement déconseillé de décongeler un produit et de l’exposer à la vente, a fortiori la viande». Le chef de la Dcsc souligne aussi «qu’il n’y a pas un produit qui entre ici sans être contrôlé». A preuve, révèle-t-il, «avant l’apparition de la grippe aviaire, nous avions saisi plusieurs tonnes de poulets inaptes à la consommation». A noter que l’importation de la volaille est interdite au Sénégal depuis l’apparition de la grippe aviaire.