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ESPAGNE - Emigration : La vie madrilène des arrivants du mbëkmi

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ESPAGNE - Emigration : La vie madrilène des arrivants du mbëkmi

La vie des arrivants du mbëkmi, ces Sénégalais qui ont rallié l’Espagne par des pirogues, n’est pas tout rose. Mais elle est de loin meilleure à la galère vécue au Sénégal au point que certains, ne pensent point revenir au pays, comme le souhaitent d’anciens émigrés.

Madrid. Lundi, après-midi. Un timide soleil fait son apparition dans la grisaille qui enveloppe depuis le matin la capitale espagnole, mais n’empêche pas l’air frais de s’engouffrer par intermittence dans les dédales des rues sinueuses du vieux Madrid, obligeant les quelques passants chaudement vêtus pour la plupart d’entre eux à hâter le pas vers leur lieu de destination.

Comme s’ils cherchaient à retrouver la chaleur d’Afrique, plusieurs jeunes Sénégalais de Madrid sont là, devisant calmement sur la Plazza de Cabestras. En effet, des rayons de soleil tombent à pic sur les lieux. Ils illuminent plus qu’ils ne chauffent, mais c’est suffisant pour que Modou, Tapha, Serigne, Saliou et autres Matar et Bass prennent d’assaut les bancs de pierre érigés par endroits pour un brin de causette. En attendant la tombée de la nuit qui, décalage horaire oblige, arrive plus vite en Europe qu’en Afrique.

Au milieu des rires gaillards étouffés par le bruit des voitures qui passent sur l’étroite ruelle bordant la Plazza de Cabestras et des chaudes poignées de main échangées avec chaque nouvel arrivant, on jacte en wolof. Le sujet des conversations ? Les dernières nouvelles du Sénégal reçues de la part d’un parent qu’on a eu au téléphone ou dont on a pris connaissance via la télévision.

Chaque lundi, c’est comme ça. Presque en jour férié pour beaucoup de jeunes émigrés sénégalais spécialisés dans le commerce, ils quittent tôt le marché de «Sol» (soleil) situé à quelques jets de pierres pour, une fois pris le déjeuner, se retrouver entre compatriotes. Des moments rares qu’ils savourent à leur juste mesure, car le plus clair du temps il faut se battre pour gagner quelques euros dont une partie sert à tenir le coup, l’autre devant être expédiée à la famille restée au Sénégal.

Ibrahima Ndiaye, établi depuis plus de dix ans à Madrid où il tient un restaurant spécialisé dans la cuisson des plats sénégalais et africains, reconnaît qu’il est de plus en difficile de vivre en Espagne du fait de la nouvelle législation qui ôte quasiment à un irrégulier tout espoir de trouver du travail. «Quand tu n’es pas en règle, c’est trop difficile de travailler (...) la vie est dure», même si «la solidarité entre compatriotes joue beaucoup ici», relève M. Ndiaye, marié à une Espagnole. En dépit de l’aisance qu’il semble dégager, le restaurateur confie qu’il ne rêve que de rentrer au Sénégal, car dit-il «notre futur c’est notre pays». A en croire Ibrahima, ils sont plusieurs «anciens» émigrés vivant à Madrid à entretenir le rêve du retour au pays natal.

TOUT SAUF RETOURNER AU PAYS

Une perspective loin d’enthousiasmer Matar. Arrivé en Espagne, il y a de cela un an, après 13 jours passés à bord d’une pirogue, le jeune ressortissant de Yarakh (un quartier de pêcheurs dakarois) ne pense qu’à gagner sa vie pour ne plus avoir à retourner «dans la galère» d’une pêche qui ne rapporte plus rien. Né dans une famille de pêcheurs et ne connaissant que la pêche, Matar souligne avoir quitté son Yarakh natal où le poisson «est confisqué par les bateaux européens» les obligeant à errer en vain de Ziguinchor en Mauritanie en passant par la Guinée-Bissau avant qu’il ne décide à embarquer pour l’Espagne, dans la pirogue d’un ami et aux côtés de 90 candidats au voyage clandestin.

Aujourd’hui qu’il travaille dans le garage d’«un ami espagnol», le jeune homme a l’air heureux et n’en mesure que davantage les difficultés laissées derrière lui. «Ce que j’apprécie le plus ici c’est la bouffe. Il est facile de manger à sa faim, contrairement au Sénégal où c’est la croix et la bannière pour se restaurer. Tout est cher là-bas. Même en Guinée-Bissau et en Mauritanie où j’ai séjourné, il est plus facile de trouver à manger», souligne-t-il non sans plaider pour un allègement des prix des denrées au Sénégal.

Venu en Espagne comme Matar à bord d’un «cayuco» (pirogue) de 125 personnes, parti de Saint-Louis pour rallier Las Palmas, après sept jours passés en mer, Thierno bénit le ciel d’avoir pu trouver à travers son commerce au marché «Sol» une occupation plus lucrative que les deux charrettes à bord desquelles il transportait les hommes de son Touba natal. A l’entendre débiter son histoire, le jeune homme est habité par une chance inouïe : après 11 jours d’attente à Saint-Louis où il assiste au retour forcé de sept pirogues, il embarque pour une traversée sans histoire et au bout de laquelle la Croix-rouge le recueille, lui donne des habits avant un transfert dans un camp pour 40 jours à l’issue desquels il est relâché. Libre, il se rend à Madrid et depuis il y vit, gagnant son pain à la sueur de son front comme nombre de ses compatriotes.

«Moi, je ne retournerai au Sénégal ni aujourd’hui ni demain !», clame Serigne, un autre émigré venu également en Espagne via la mer et dont la crudité des propos fait rire à la volée ses amis. «J’ai galéré, affronté de gros dangers pour venir, je ne vois pourquoi je vais revenir sur mes pas», ajoute-t-il, apparemment plus âgé que la plupart de ses compatriotes. La galère, il semble l’avoir bien connue, car, confesse-t-il «je ne pouvais même pas me payer une cigarette». Tout cela semble loin et pour que nul n’en ignore, il clame avoir gagné assez d’argent jusqu’à pouvoir en refiler à certains proches dans le besoin : «Tenez, dit-il, ce week-end j’ai donné 65 000 FCfa (100 euros), sans compter le million de Fcfa (environ 1 500 euros) que j’ai offert récemment.» Prodigue, il révèle avoir promis à son petit frère de lui envoyer de l’argent pour qu’il vienne le rejoindre, lui évitant ainsi les pirogues qu’il juge trop dangereuses.

Au demeurant, tout n’est pas rose dans la vie de ces émigrés sénégalais dont beaucoup de par leurs activités commerciales et leur statut jouent à cache-cache avec la police espagnole -à deux reprises en moins d’une heure une voiture de patrouille est passée devant nous à la Plazza de Cabestras. Un contrôle inopiné ferait des malheurs, car sur les 50 000 Sénégalais immatriculés seuls 26 000 sont détenteurs de papiers légaux. A ces derniers, on peut ajouter 16 000 binationaux, un statut qu’on peut acquérir au terme d’un séjour de 10 ans.

En plus du défaut de papiers, beaucoup de Sénégalais versent dans la vente de cassettes Cd piratées s’ils ne les fabriquent pas eux-mêmes. Des délits qui, ajoutés aux querelles de ménages sanctionnés par un passage à tabac des épouses, leur valent généralement les interpellations de la police, selon le Consul général, Alassane Cissé.



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