Le 2 mars dernier, le cinéaste Alain Gomis propulsait le Sénégal au sommet du 7e art africain en recevant des mains du Président burkinabé, Blaise Compaoré, l’Etalon d’Or du Yennenga de la 23e édition du Festival Panafricain du cinéma africain d’Ouagadougou (Fespaco) pour son film «Tey». Un honneur qui, paradoxalement, rappelle le manque criant de salles de cinéma dans la capitale dakaroise où la salle sombre du cinéma «Médina» fait encore de la résistance.
Cela commence par une haine viscérale. Aryan et Pallavi se détestent à mort. Lui est le patron très contesté d’une entreprise spécialisée dans la fabrication d’appareils électroménagers. Elle est la toute nouvelle recrue du service. Son job ? Assistante de direction. Unique femme dans une société très misogyne, Pallavi devra faire face quotidiennement au machisme et à la mauvaise humeur d’un patron bourru qui déteste ardemment la gent féminine. Issue d’une famille aux revenus très modestes, Pallavi est déterminée à garder son emploi et à sauver sa peau contre les tracas et les peaux de banane que lui glisse tous les jours son supérieur. Un Aryan mesquin et bouffi de rancune contre les femmes. De fil en aiguille, la bobine déroule sa trame et se termine par une dévorante histoire d’amour qui finira par consumer les deux protagonistes. L’œil, la caméra qui plonge ainsi dans le ventre de Bombay (ou Mumbai est la capitale de l'État indien du Maharashtra) vous donne le sentiment d’un nuage qui vous emporte. On entend la respiration saccadée du cinéphile qui peine à se tenir sur sa chaise lorsque les scènes gagnent en intensité ou lorsque la haine entre les deux acteurs atteint son summum. On a envie de hurler «Stop» lorsque le bourreau s’apprête à décapiter Aryan alors qu’il est accusé à tort du meurtre du père de sa désormais bien-aimée, Pallavi. Ce qu’un spectateur a fait, pris d’une crise de panique. Les têtes ont basculé vers sa direction avant de se retourner vers la scène. Et le scénario a continué à captiver les spectateurs. Comme s’ils étaient propulsés à l’intérieur de l’écran géant de la salle de cinéma et qu’ils devenaient partie intégrante du film.
Le film se déroule dans le cinéma de la Médina qui a résisté à la disparition des salles de cinéma à Dakar. Posé entre la rue 11 et la rue 13, «La Médina» est un immense bâtiment tendu de bleu et de rouge brique. Des affiches de films tapissent ses murs à la peinture écaillée par endroits. A l’entrée, un homme juché sur un tabouret en bois semble indifférent aux va-et-vient à l’intérieur de la salle. Lunettes de soleil vissées sur le nez, vêtu d’un T-shirt et d’un pantalon qui évoquent une rare désinvolture, l’homme fait comme si… Comme si son look débraillé et quelconque était une arme pour mépriser son job ingrat. L’homme qui a opté pour l’anonymat est vendeur de tickets de cinéma. Entre ses jambes, des pièces de monnaie et des souches de ticket sont dispersées. A côté, un autre bonhomme engoncé dans un caftan bleu prend ses aises sur une chaise pliante en devisant bruyamment avec une vendeuse de beignets. Le brouhaha ambiant des cordonniers étouffe la touffeur de la salle de cinéma. Soudain, un jeune homme, la vingtaine dépassée, débarque. Engoncé dans un polo défraîchi sur un jean d’un autre temps, il glisse furtivement une pièce de 200 FCfa au vendeur qui lui file un ticket avant qu’il ne s’engouffre dans la salle à moitié vide. L’intérieur de la salle présente un aspect glauque. Impossible de discerner les spectateurs et de mettre des visages sur les ombres qui s’enfoncent, qui dans les sièges, qui sur les bancs en bois. Sur la façade de devant, un énorme projecteur retransmet un film hindou qui mobilise toute l’attention du public composé en majorité par des hommes. Ici, les femmes semblent absentes. Du moins, à première vue. A peine le constat fait, qu’une donzelle, fourrée dans une tunique bariolée, foulard noué sur la tête, se glisse en toute complicité avec le gérant, dans la salle. Cinq minutes plus tard, elle ressort comme elle était entrée en murmurant quelques propos d’un air entendu à l’oreille du gérant qui, d’un clin d’œil lui répondra en éclatant de rire : «A la prochaine séance ! Je sais que c’est celle-là qui va t’intéresser.» La prochaine séance prévue pour 18h 30 diffusera un film érotique. «Elle est réservée à un public averti», renseigne le gérant. En attendant, les indophiles se délectent des aventures et mésaventures d’Aryan et de Pallavi. Des scènes habituelles qui meublent le quotidien désœuvré des nostalgiques du cinéma, pas encore initiés aux merveilles de l’Internet et des Tic.
«Je suis déficitaire»
Créé bien avant la naissance du gérant en 1968, le cinéma de la Médina joue sur la proximité avec ses clients pour assurer sa pérennité. La plupart des cinéphiles sont des habitués et connaissent par cœur le programme à l’affiche. «Il y a 4 séances par jour du lundi au dimanche», informe Saliou, un client à la dégaine d’apprenti de ‘’car rapide’’. La première séance qui passe vers les coups de 15h est dédiée aux passionnés de films d’action. «Ici, les gens aiment beaucoup les films de Bruce Lee ou Van Damme», assure Souleymane le gérant qui, ce jour-là, fait office aussi de vendeur de tickets pour la prochaine séance de 18 heures. Celle qui semble être la plus prisée et pour cause, elle passe un film pornographique à l’affiche explicite. Sur le panneau, une jeune femme blanche et nue joue les mannequins dans une pose lascive. Une publicité sur laquelle ne s’attardent pas vraiment les hommes qui font la queue à la porte arrière du cinéma, sur la rue 11. Têtes baissées et sûrs de leur fait, ils s’engouffrent dans la salle sombre aussitôt le ticket pour une chaise en main. Un manège qui semble amuser le gérant, tout autant que la présence de deux femmes dans la queue. «L’une est adepte de ce cinéma. Elle suit tout, y compris les films X, mais elle a des problèmes psychologiques», dit-il, comme pour excuser le ton faible sur lequel se déroule la confidence. Cependant, si la séance de 18h trouve son public, Souleymane a plus de mal à remplir la seule salle de son cinéma. Pour une capacité de 1 000 places, les séances dépassent rarement 100 entrées. Celles de 21 heures et de 23 heures qui passent respectivement des films «hindou» et d’horreur drainent à peine 20 spectateurs chacune. Des recettes qui couvrent difficilement les charges du cinéma dont les paies des sept employés et la facture d’électricité avoisinent les 200 000 FCfa. Heureusement, le gérant ne paie pas de droits sur les films qu’il passe en … Vhs. Une technique aussi obsolète que les films qui tournent sur l’écran. Même s’il s’en défend : «Actuellement, il y a Skyfall et Wrong turns à l’affiche et ce sont des films qui ne sont sortis qu’il y a trois mois sur le plan international», plaide-t-il, en lorgnant du côté des panneaux publicitaires aux images pixélisées. Un défaut de modernisme qui constitue un frein à la bonne exploitation de ce cinéma qui, comme tous les cinémas, fait face à la concurrence de l’Internet et de ses téléchargements gratuits. D’ailleurs, c’est une des raisons qui fait que, selon le gérant, les jeunes ont déserté les chambres obscures. Ceux qui viennent encore sont des jeunes qui n’ont pas accès à la technologie et qui, pour 300 FCfa, s’ouvrent les portes du 7e art pour quelques heures. «Les recettes ne sont pas stables. Je suis déficitaire», larmoie Souleymane, qui pense qu’à ce rythme il va finir par mettre la clé sous la porte du seul cinéma qui, dans tout Dakar, fait encore de la résistance.
AICHA FALL THIAM ET NDEYE FATOU SECK
5 Commentaires
Doff
En Mars, 2013 (18:28 PM)Door
En Mars, 2013 (18:37 PM)Grand Ass Diop
En Mars, 2013 (18:41 PM)Revolution
En Mars, 2013 (22:18 PM)Correcteur2
En Mars, 2013 (22:19 PM)Participer à la Discussion