FLUCTUATIONS - De beaux jours pour l’émigration

Un adage bien de chez nous préfère la chance à la licence, car elle ouvre des portes blindées face aux diplômes. Les émigrés, appelés Modou-Modou ou Fatou-Fatou selon leur sexe, savent souvent s’approprier cette logique. On savait l’importance de leurs transferts d’argent dans l’économie sénégalaise. Aujourd’hui, on en connaît le poids précis, avec l’étude de la Direction de la prévision et des études économiques. Si ce n’était leurs envois réguliers à leurs familles, 31% des ménages sénégalais vivraient dans la pauvreté, voire dans l’extrême pauvreté. Des transferts d’argent à effet immédiat, beaucoup plus efficaces que toutes ces politiques et programmes mis en œuvre dans le cadre de la stratégie du Dsrp et qui souvent profitent plus aux exécutants qu’à leurs cibles.

Et avec ces chiffres, il sera encore beaucoup plus difficile de retenir au pays, tous ces jeunes et moins jeunes Sénégalais, convaincus qu’il faut braver les eaux de l’Atlantique pour réussir sa vie, réaliser ses rêves les plus fous, «rendre la monnaie aux parents, à la mère en particulier». Avec ces chiffres, l’émigration clandestine a de beaux jours devant elle. Malgré les condamnations de ces «malchanceux» passeurs ou convoyeurs et leurs candidats pris dans les filets du programme Frontex, ces corps sans vie rejetés par la mer, ces vies bousillées par toutes les horreurs vécus, des jours durant, à bord des pirogues. Mbeuk-mi fera encore le plein de ces voyageurs, toujours optimistes d’arrivées à bon port. Leur devise étant que l’échec, c’est toujours pour les autres. La chute du dollar, les difficiles conditions d’existence des émigrés qui triment fort avant de pouvoir envoyer des sous au pays, les contrôle de plus en plus tâtillons des sans-papiers à l’étranger, restent des arguments en paille face à ces chiffres en béton, qui confortent une croyance selon laquelle une émigré vaut une assurance-vie pour une famille. La preuve par ces statistiques (41%) de la Direction de la prévision qui démontrent que plus une famille a des membres émigrés, plus son niveau de vie est élevé. Ce qui creuse davantage les inégalités sociales, tout en renforçant la logique qui enrichit les riches et appauvrit les pauvres. Mieux, le démontre encore l’étude, n’émigre pas qui veut. Ils ne sont pas nombreux à voyager par la voie légale. La plupart des émigrés ont payé au prix fort le sésame qui leur a permis de se retrouver en Europe ou aux Etats-Unis. De nos jours un visa ou une carte de séjour s’échange contre 2,5 ou 3,5 millions de francs Cfa. Des sommes rassemblées après des années d’économie du candidat, de la candidate ou de sa famille. Des sommes considérées comme un investissement pour un taux d’intérêt estimé au centuple. Pour certains, cela vaut la peine de vendre la maison familiale, ou pour la mère, de se défaire des bijoux qu’elle aura passé toute son existence à acquérir. La réussite d’un seul enfant repaie, croit-on, au centuple tous les sacrifices.