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Grippe aviaire : il faut une réponse globale à une menace globale

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Grippe aviaire : il faut une réponse globale à une menace globale

Il ne se passe pas une journée depuis quelques mois sans que les médias ne relatent les risques de pandémie mondiale résultant d'une possible recombinaison du virus de la grippe aviaire H5NI avec un des virus de la grippe humaine. Cette recombinaison génétique permettrait la transmission du virus de l'homme à l'homme sans passer par l'animal. Il suffirait pour cela que les deux types de virus se rencontrent chez un même être vivant. Le caractère quasiment inéluctable de la survenue d'une prochaine pandémie de grippe aviaire faisant l'objet d'un consensus international, la grande question reste de prévoir la date de son éventuelle émergence. Cette pandémie semble être une fatalité inscrite dans un déterminisme historique inexorable. Le degré supplémentaire de risque que l'on note ainsi dans l'échelle des risques, explique peut-être l'emballement médiatique que l'on constate aujourd'hui et qui semble exclure la mesure, le traitement dans la durée, l'équilibre.

Au même moment, le paludisme responsable chaque année d'environ 8 000 décès, a disparu pratiquement de l'espace public et n'est plus débattu par le politique. Il est de temps en temps noyé sous des messages normatifs d'éducation pour la santé, victime d'un phénomène d'aseptisation.

Dans le cadre de la grippe aviaire, échapper au formatage médiatique, ne relève pas seulement d'une nécessité intellectuelle. C'est aussi la seule manière d'aller au-delà d'une vision qui occulte les responsabilités qui incombent à la société, à travers son système sanitaire et ses structures politiques, les inégalités à travers les rapports internationaux. Il faut une approche globale, à la fois médicale, économique, politique et culturelle et non se restreindre à la seule approche virale dans laquelle on tend à la confiner, lorsqu'il s'agit de grippe aviaire. Il s'agit d'une réalité complexe. A vouloir trop la simplifier comme c'est le cas aujourd'hui, on la caricature et l'on perd prise sur elle. Il ne faut pas hésiter à l'aborder comme telle qu'elle est, c'est-à-dire complexe.

Reste à savoir comment apprivoiser cette complexité dans une démarche de compréhension et finalement opérationnelle. Il faut désormais composer avec le recours de plus en plus multiforme au concept de principe de précaution. Et c'est bien sur ce principe que les organisations sanitaires lancent des alertes à la pandémie grippale, relayées médiatiquement et conduisant à des dépenses importantes et à des plans de lutte préventive. Il est difficile de faire le reproche aux Etats qui, au nom de ce principe, tentent de se préparer à l'éventualité d'une pandémie. L'inattendu doit être attendu avec beaucoup de vigilance.

Malheureusement, le jour où les souches du virus H5NI seront «humanisées», personne ne sera en mesure d'en évaluer ni la rapidité, ni l'extension géographique. Dans le cadre d'un tel scénario, ni les vaccins, ni les antiviraux, ni les mesures d'isolement ne pourront sanctuariser les pays, qu'ils soient du Nord ou du Sud. Les gens les plus avertis en conviennent, la vulnérabilité des uns recèle la vulnérabilité de tous, et le Nord se rend compte aujourd'hui qu'il ne peut fonder son projet de vie que par rapport au Sud. Il n'y a pas de choix d'humanité que par la définition des rapports à l'autre.

Cette pandémie dont le taux de létalité est aujourd'hui de 50 % environ (60 décès sur 120 malades), si elle survient, pourrait être responsable de plus de 100 millions de morts selon certains experts, beaucoup plus que la grippe espagnole de 1918 qui a fait 50 millions de morts, la grippe asiatique de 1957 qui a fauché 4 millions de personnes et la grippe de Hong Kong en 1968 à qui on peut imputer 2 millions de décès. Elle ferait, en outre, des centaines de millions de malades, chiffre tellement élevé que les autorités sanitaires dans les pays touchés pourraient entrevoir la possibilité d'une fermeture des lieux de travail et d'écoles. On noterait aussi une grave perturbation des déplacements et du commerce international, tous facteurs de grands bouleversements socio-économiques.

Jamais la situation n'a été aussi favorable à l'émergence et à la mondialisation des virus et derrière la grippe aviaire, se profilent d'autres risques de même ampleur, liés à l'émergence de nouveaux virus. L'un des dénominateurs communs de toutes ces catastrophes sanitaires, tient en partie au mode de développement des sociétés modernes qui a atteint ses limites. Le rôle joué par l'homme est central dans cette apparition progressive et inéluctable de nouveaux virus. Pendant 50 ans, il a produit à outrance sans se soucier de l'environnement, consommé à outrance, pollué à outrance. Ne soyons pas surpris de voir la nature nous rappeler à l'ordre de façon aussi tragique. Il est à prévoir toutefois que, tôt ou tard, l'espèce humaine paie un lourd tribut à ce type de crise qui touchera en premier lieu les sujets les plus faibles ou défavorisés.

Après la fièvre Ebola, la maladie de la vache folle, les poulets à la dioxine, le Sras, il semble aujourd'hui que nous soyons à l'orée d'un gigantesque cauchemar que l'homme est en train de forger depuis quelques décennies à force de pousser sans cesse dans l'outrance tous ses comportements destructeurs. Tout cela est dénoncé depuis bien longtemps par des organisations peu écoutées et rarement entendues à cause des enjeux financiers, ce qui rappelle en vain un vieil adage qui dit que "les derniers êtres vivants sur terre seront les virus". Cette épidémie sera, à mon sens, l'épreuve de vérité en terme de santé publique internationale. Les foyers décelés au Nigeria et en Egypte, prouvent qu'aucun pays n'est à l'abri du H5NI.

L'émergence du virus semble inéluctable au Sénégal. Ce dernier héberge l'un des parcs d'oiseaux les plus importants du monde et l'économie du poulet y est importante. La grippe aviaire est l'un des défis majeurs auxquels le Sénégal doit faire face en ce début du XXIe siècle. Nous voilà de nouveau confrontés à la fragilité de la vie.

Cette maladie réveille des peurs ancestrales et des fantasmes de toutes sortes. Pourtant, au-delà de l'angoisse que cette crise peut provoquer, elle pose des questions scientifiques et politiques difficiles, révélatrices d'enjeux essentiels de notre époque, et auxquelles il nous faut absolument répondre. Les grandes pandémies meurtrières du siècle dernier étaient perçues comme l'expression d'une fatalité, frappant des sociétés impuissantes, alors que si la grippe aviaire devait survenir, elle serait perçue comme un échec de l'humanité et de la science. Comment un mal tant annoncé n'aura pas pu être prévenu. Il faut signaler ce basculement essentiel de notre société et de sa nouvelle posture par rapport à la notion de risque.

La grippe aviaire permet de nombreuses prises de conscience et offre de nombreuses réponses possibles aux défis auxquels notre système de santé est aujourd'hui confronté. Les analyses portant sur le risque dans le cadre de cette maladie, sont souvent univoques et réductrices. Elles font écran à la compréhension que l'on pourrait avoir de tous les facteurs pouvant être responsables de la mortalité, en favorisant une lecture épidémiologique peu conforme à la complexité de ce drame.

L'épidémiologie de cette affection témoigne de l'intrication incessante de facteurs sanitaires, économiques, et culturels, sans cesse remis dans la balance. Il est évident aussi que pour prendre la juste mesure tant d'une réalité sociale que d'une situation de santé, on ne peut se contenter d'une analyse qui se bornerait à travailler à partir de grands indicateurs descriptifs. Il faut descendre au niveau d'une observation fine des représentations et pratiques des populations concernées.

L'analyse des enjeux liés à cette affection, dans ses rapports avec les valeurs hippocratiques, nous mène au-delà du cadre familier dans lequel ces dernières et la santé sont habituellement circonscrites. Elle débouche sur des espaces nouveaux où les valeurs humaines, les convictions scientifiques se présentent sous des formes différentes. Elle nous confronte à la faillibilité des sciences médicales. Cette anthropozoonose présente une configuration inédite de progrès sans précédent dans la médecine et d'impuissance à enrayer cette tragédie. On a le sentiment que ce sont les conséquences des avancées scientifiques et techniques qui, tout autant que les conftontations aux limites du savoir et de la thérapeutique, suscitent de la part des responsables de la santé de nouvelles attentes à l'égard des communautés. On constate aussi qu'à mesure que les options technologiques se multiplient, les options stratégiques offertes devant des crises comme celles de la grippe aviaire se rétrécissent, notamment pour les pays sous-développés. On a aussi l'impression aujourd'hui qu'on sort de l'espace défini depuis le début du 19e siècle par le cartésianisme, le positivisme et le scientisme au sein duquel a toujours prévalu un paradigme qui se fonde sur une conviction fondamentale et ancienne que proclamait déjà Claude Bernard dans sa «Médecine expérimentale» et qui est renforcée par le postulat pasteurien selon lequel, toute maladie a une cause identifiable dont la suppression entraîne la guérison.

C'est une maladie qui apporte déjà des changements majeurs en ce qui concerne le fonctionnement social de notre pays. Avec l'irruption de la maladie dans le champ international, le regard que l'on porte sur la santé publique s'est trouvé transformé par les interventions inquisitrices de la géopolitique. Ce regard permet de mettre en exergue d'emblée les inégalités d'acçès aux médicaments et les limites du pouvoir médical. Il nous permet par ailleurs, d'identifier au sein de notre pays deux types de réalités : les anciennes et les nouvelles.

Les réalités anciennes s'appellent choléra, paludisme, diarrhées etc.. D'un autre côté, le monde est devenu plus complexe et l'on a mieux compris l'interdépendance qui existe entre la santé et les réalités de l'économie et du développement. Cette maladie montre que la médecine a cessé de dépendre exclusivement du champ scientifique. On peut même dire que la santé n'est pas le meilleur ou l'unique secteur pour agir sur ces facteurs complexes. Il est difficile de distinguer les questions de santé des questions de développement et il est peu perspicace d'essayer. Si certaines questions sont propres à la santé dans le sens du secteur de la santé, une bonne part du débat contemporain traite en réalité de l'application à la santé de questions fondamentales posées par l'évolution du monde actuel et dont certaines s'intitnlent: interdépendance, mondialisation, hégémonie de la pensée économique, droits de l'homme etc... Il convient donc de repenser les politiques sectorielles traditionnelles de telle sorte que l'élaboration des décisions n'ait plus pour objectif principal de trouver des palliatifs, mais qu'elle s'attaque aux causes profondes des problèmes de santé.

La problématique de cette épidémie impose un double élargissement: au-delà du niveau national car de plus en plus de variables, telles que la disponibilité des médicaments (tamiflu) se jouent au niveau mondial, et au-delà de la sphère de compétence du ministère de la santé, car beaucoup de décisions déterminantes pour la santé sont prises par d'autres secteurs (agriculture). Cette réflexion débouche forcément sur les questions éthiques liées à cette affection. (A suivre)

 



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