Dix ans après son ouverture, l’établissement de santé financé par la Fondation de l’ex-Première dame Viviane Wade n’en finit pas d’étonner. Si les habitants locaux se réjouissent de bénéficier de telles infrastructures, des acteurs de la santé dans la région de Kédougou estiment qu’un investissement de cette taille dans un village aussi petit et éloigné n’a pas de sens. Ici et là, on s’inquiète de l’avenir et on demande à l’Etat d’autres investissements urgents, dans cette région frontalière prompte aux épidémies.
Le petit village de Ninéfécha au Sénégal oriental est historiquement peuplé de Bediks. C’est l’une des quatre ethnies minoritaires de la région de Kédougou, avec les Bassaris, les Dialounckés et les Coniguis, aux côtés des peuls et des mandingues majoritaires. C’est dans ce village de 470 âmes, qu’en novembre prochain, on fêtera les 10 ans de l’hôpital auquel le village a donné son nom : hôpital de Ninéfécha. L’établissement a encore fière allure relativement à l’offre de soins régionale. Il compte une maternité, un bloc de chirurgie, une salle de radiologie, un laboratoire de biologie et des bureaux de consultation qui seront prochainement accueillis dans une nouvelle aile en voie de finition. Un jardinet refait à neuf, des pelouses verdoyantes et un flamboyant fleuri complètent la carte postale.
SATISFACTION LOCALE
Les 10 chambres circulaires aux murs jaunes et aux toits de chaume analogues à ceux des huttes traditionnelles offrent une capacité maximale de 38 lits, «occupés à 95% pendant l’hivernage et 75% le reste de l’année», assure son directeur Babacar Nalao, en poste depuis octobre 2010. On y soigne des gens de Kédougou et de Salémata. Mais aussi des Peuls guinéens, puisque les frontières du pays voisin, au sud, sont derrières les collines qui entourent la cuvette où se niche Ninéfécha. Deux médecins et un chirurgien traitent les palus en bataille avec l’arrivée des pluies, et les gastroentérites, les infections respiratoires et les cas de Sida en temps normal. La qualité intrinsèque des soins délivrés est reconnue à l’unanimité.
C’est ce que dit par exemple Foutou Fall Diagne, l’un des rares patients hospitalisés ce vendredi 18 mai, jour de la visite du Quotidien. «Je suis satisfaite. Ici le personnel est plus expérimenté», explique celle qui est venue de Kédougou pour des problèmes d’hypertension facturés 5 050 francs Cfa, auxquels s’ajoute le coût du transport aller-retour, soit 2 000 Cfa.
A son ouverture, tout l’enjeu d’un établissement aussi bien équipé, censé couvrir un bassin de population de 30 000 personnes, était là : améliorer la prise en charge de ce type de pathologies, faire diminuer le taux de mortalité infantile -qui était à 1 280 sur 100 000 naissances en 2001- et éviter un transfert systématique des malades les plus graves à Tambacounda, à 270 kilomètres de là. «Avant on était fréquemment obligés de porter des femmes en plein travail dans un hamac jusqu’à Kédougou. Il n’était pas rare qu’elles meurent en cours de route», se souvient le président de la communauté rurale de Ninéfécha, Dolo Keita.
C’est dans cet esprit de promotion des soins que l’établissement est inauguré le 6 novembre 2002. Il est porté par Viviane Wade, première dame de l’époque, et sa fondation Education-santé. D’aucuns murmurent que pareil hôpital s’est retrouvé ici parce que le chauffeur de la Première dame était lui-même Bedik. En tout état de cause, étaient inclus dans le projet, en plus de l’hôpital, trois écoles et trois internats pour les élèves issus des villages les plus éloignés, ainsi qu’une ferme, sur une superficie totale de quatre hectares.
«UN LUXE POUR UNE MINORITÉ»
Depuis, pour ce qui est visible à Ninéfécha même, tout a été livré. L’école, avec ses huit classes de 25 élèves dont s’occupent neuf enseignants, et son internat à flanc de colline ont été installés à côté de la «Case des Tout-petits» et de la gendarmerie. Et des maisons individuelles en pierre de taille à même de loger les médecins, les 10 infirmiers et les sept techniciens non qualifiés employés à l’hôpital, font désormais face au village, qui lui, garde son visage d’antan. Dans ce face-à-face entre la ville nouvelle et les huttes traditionnelles, une ligne de démarcation apparaît clairement : la piste qui a l’air encore neuf et qui est jalonnée de lampadaires dotés de panneaux solaires.
L’investissement initial consenti est de 200 millions de francs Cfa. Ils ont été couverts par le principal partenaire d’Education-santé à l’époque, l’homme politique français Charles Pasqua, président du Conseil général des Hauts de Seine jusqu’en 2004 et sa société d’économie mixte humanitaire dissoute en 2008 pour l’opacité récurrente de son fonctionnement et des soupçons de malversation. Sa présence et celle du président de la République Abdoulaye Wade le jour de l’inauguration sont d’ailleurs fièrement rappelées par une plaque à l’entrée.
Sur place, les nouvelles infrastructures ne trouvent aucun contradicteur. «Les Bediks étaient très isolés et très conservateurs. L’hôpital lutte contre leur enclavement et leur a été très bénéfique. Même s’il est vrai que c’est un luxe pour une minorité», explique Ibrahima Mballo, le Commandant de brigade de la gendarmerie de Ninéfécha. Sous peu, une radio communautaire et un centre multimédia devraient ajouter à l’intégration régionale du village, si les gens trouvent le financement.
L’enthousiasme est le même chez Madeleine et Thérèse Keïta, respectivement présidente des femmes et Badiene Goxx. Cette dernière se charge de la sensibilisation sur les questions de santé au sein de la communauté, en lien avec les médecins de l’hôpital qui partent en tournée une fois par semaine dans les villages alentour : «Il y a un changement notable, une véritable amélioration», affirme-t-elle.
De retour du champ ouvert derrière l’hôpital, les bassines remplies de gombos, elles tirent un bilan très positif des gros investissements consentis : 38 femmes, 30 bediks et 8 peuls, travaillent au maraîchage d’oignons, d’aubergines, de tomates, de choux ou de salades. Aucune trace par contre de la culture de la spiruline, algue bleue, qui dans le projet initial devait servir à lutter contre la malnutrition. Elles vont vendre leur récolte à Kédougou dont elles tirent à leurs dires l’essentiel de leurs revenus, mais «nous avons des problèmes d’écoulement à cause des transports».
UNE ABSURDITÉ SUR LA CARTE DES SOINS REGIONAUX
Et c’est là que le bât blesse : la localisation pour le moins surprenante de l’hôpital dans une logique régionale de déploiement des soins. Parce que Ninéfécha est loin de Kédougou, très loin. Les patients kédovins qui délaissent le centre de santé voisin doivent emprunter sur une quarantaine de kilomètres une longue route en latérite à travers les villages d’Ibel ou de Bandafassi, passer le long d’un site d’extraction de marbre et réveiller quelques groupes de chimpanzés assoupis, avant de toucher au but.
Deux navettes par jour faisaient les allers-retours avec Kédougou et Salémata puisque l’hôpital est situé à équidistance des deux districts. «Il n’y a que les habitants de Saraya, le troisième département de la région, qui sont hors de portée. Ils doivent venir à Kédougou et ensuite aller à Ninéfécha», explique Marcel Bidiar, habitant local.
Aujourd’hui, il n’y a plus qu’une jonction quotidienne, à 9h au départ de Kédougou et retour à 17h depuis Ninéfécha. Et à 2 000 francs le ticket à la journée, le prix de la distance plombe le faible coût voire la gratuité des soins prônés par ailleurs.
«Sans un petit budget, au moins 20 000 de francs Cfa, les gens ne vont pas à Ninéfécha. J’y ai interné ma femme pour une grosse semaine, et ça m’a coûté plus de 100 000 Cfa», raconte Ousmane Soumaré, secrétaire général de la Croix rouge. Et d’expliquer : «Deux aspects sont à prendre en compte. L’hôpital était conçu comme un vecteur d’intégration vis-à-vis d’une communauté défavorisée et minoritaire. De ce point de vue-là, c’est une réussite. Le second aspect est qu’on aurait pu le faire autrement. Est-ce qu’une si petite communauté avait besoin d’un hôpital aussi grand ? Est-ce qu’il n’y avait pas moyen de les valoriser avec plus de mesure ? Le village aujourd’hui est de plus en plus occupé par des Peuls alors que les Bediks se sont réfugiés ailleurs pour respecter leur mode de vie traditionnel.» Une analyse que Dolo Keita pondère : «La population du village de Ninéfécha a plus que doublé, par rapport aux 200 villageois qui habitaient là avant l’hôpital. Sur les 470 habitants actuels, 170 sont peuls mais 300 sont bediks.»
Selon des chiffres de 2002, l’ethnie Bedik compterait au total au moins 3 300 personnes et vivrait pour l’essentiel dans des villages reculés, difficiles d’accès. «A Ethyes ou Iwol, on ne peut les rejoindre qu’à pied par de petites pistes», dit à ce sujet le Commandant Ibrahima Mballo.
SOMBRES PERSPECTIVES
Questions de démographie mises à part, pareille effusion de moyens à Ninéfécha pose un problème structurel de distribution des soins sur les trois districts sanitaires que compte la région, pour un total de 50 dans le pays. «Dans un schéma régional cohérent, cet hôpital aurait dû être construit dans la ville de Kédougou. Tout le monde pense que Ninéfécha remplit un rôle d’hôpital régional alors qu’ils renvoient des malades de là-bas chez-nous. On est dépassé par l’afflux», se plaint Bassirou Ndiaye, Major au centre de santé de Kédougou. Là-bas, on pointe du doigt l’équipe de médecins de Ninéfécha qui peine à maintenir un effectif régulier, et certains services qui ont été purement et simplement arrêtés.
Comble d’incohérences, les plus petits financements alternatifs traînent en longueur. «A Afiadandé, nous avons un projet de case de santé prêt depuis un an pour huit villages qui, avec l’hivernage peuvent se retrouver isolés à un kilomètre de Kédougou, sur l’autre rive du fleuve Gambie», s’exclame Ousmane Soumaré. Lui aurait préféré «dix nouveaux postes de santé dans une zone frontalière où les pandémies de rougeole, de fièvre jaune et de méningite appellent à une prévention en profondeur. Il y a une lacune énorme».
Devant l’internat de Ninéfécha, on sait que la jalousie est aux portes du village et on craint pour l’avenir. «Avec la chute de Wade, on aura moins d’effectifs. Et on ne sait même pas si Viviane Wade a pourvu à notre avenir», s’interroge Boubou Samoura, l’un des enseignants de l’école ouverte en contrebas grâce aux fonds d’Education-Santé.
18 Commentaires
Voyons
En Juin, 2012 (16:26 PM)Assumons
En Juin, 2012 (16:29 PM)Mooo!!!
En Juin, 2012 (16:31 PM)Yirim Mbangik
En Juin, 2012 (16:42 PM)Bassaris
En Juin, 2012 (16:42 PM)Citoyen Sénégalais 2
En Juin, 2012 (16:43 PM)Deug
En Juin, 2012 (16:49 PM)A Feliciter
En Juin, 2012 (16:57 PM)Kedoug
En Juin, 2012 (16:58 PM)CET HOPITAL ETAIT UN VASTE PRETXTE D UN TRAFIC D OR SUR SON PISTE D ATTERISSAGE UN INVESTISSEMENT DE 200 MILLIONS POUR COMBIEN DE TONNE D OR SPOLIE ?LE DEAL A ETE EVENTRE PASQUA A PAYE EN FRANCE RESTE AU SENEGAL OU LA JUSTICE TARDE A SE FAIRE
Zembele
En Juin, 2012 (18:31 PM)Zembele
En Juin, 2012 (18:38 PM)"Les petites ethnies du Sénégal habitent dans des villages réputés inaccessibles, sont : les Bassaris, les Tendas Bediks, les Coniaguis, les Diarankés, les Niominkas et les Soninkés"
est nous avons d'autre ethnies minoritaires qui on besoin de ses memes soin medicaux
Yougo
En Juin, 2012 (19:01 PM)Etiou2012
En Juin, 2012 (19:27 PM)Trop de mal intentionné au senegal,
Han?
En Juin, 2012 (02:19 AM)Pepes
En Juin, 2012 (04:30 AM)Eburnie
En Juin, 2012 (08:41 AM)Verifiez et vous verrez!!!!!
Neutre Et Apolitique
En Juin, 2012 (10:34 AM)Diop Sy
En Juin, 2012 (12:31 PM)Participer à la Discussion