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IL Y A 112 ANS : La prière du Cheikh Ahmadou Bamba sur l’océan

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IL Y A 112 ANS : La prière du Cheikh Ahmadou Bamba sur l’océan

Jeudi prochain, 8 mars 2007 dans le calendrier grégorien, 18 Safar 1428 dans calendrier musulman, la communauté mouride, la umma islamique célèbrent le Magal de Touba. Cette journée de dévotion à la gloire d’Allah, de prières sur le prophète Mouhammad (Paix et salut sur lui et ses compagnons), marque la date commémorative du départ en exil , au Gabon, de Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, Khadimou Rassoul (Serviteur du prophète) fondateur du mouridisme . L’un des moments forts de cette déportation du Cheikh vers Libreville, décidée par les autorités coloniales en 1895 a été la prière sur l’océan. Cheikh Sougoufara, dans son ouvrage « Baol Baol, mon ami » édité par l’Harmatan revient (Pages 151 à 157) sur cet épisode. Sud quotidien vous propose son texte 

Le Sénégal est un pays vierge très mal connu de ses habitants. Il s’y passe, à leur insu, des choses incroyables. Le Baol-Baol et le Cayorien ignorent jusqu’à l’existence des Bédik, qui se promènent nus, la tête pelée et le nez transpercé de part et d’autre par un piquant de porc-épic qui fait office de parure, c’est là leur tradition. Les Ndar-Ndar, claustrés dans leur île, se moquent et rient des habitants de la terre ferme qu’ils traitent d’indigènes, de provinciaux, de nègres et, même de barbares. Ils n’ont pas de regard pour le continent sauvage. Ceci est dû au fait qu’ils habitent la capitale, où ils vivent avec les toubabs qui leur enseignent tout. Le Sine ne reconnaît d’autre Etat que le Saloum avec qui il entretient des relations qui ne sont pas toujours des meilleures. Le Cap-Vert, lui, sait par ouï-dire, qu’il existe un arrière-pays, mais ses connaissances s’arrêtent là.

Le Sénégal est assez grand et assez vaste pour que l’on puisse y cacher et tuer un homme, à l’insu des autres citoyens.

Je ne trouve pas encore de réponse au fait qu’on ait éloigné et déporté le Cheikh au Congo, en Mauritanie, pour ensuite finir par le ramener à Ndiarème, au Sénégal. Pour humilier, écraser, détruire physiquement et moralement un nègre dans les colonies, a-t-on seulement idée de prendre autant de précautions et d’aller aussi loin ? Si les prisons de Saint-Louis ne sont pas assez sombres, humides et mesquines pour lui, il y a encore les cachots froids et pestiférés de Gorée. Bâtis sur l’océan, témoins impassibles et muets de tant de malheurs et de misères humaines, ils ont accueilli et abrité en masse, pendant des siècles, des générations entières de nègres en partance pour le Nouveau Monde ; ils sont restés les mêmes, ils ne sont pas devenus plus hospitaliers. Pour liquider le Cheikh, les toubabs ont le choix : ils peuvent le faire cuire ou brûler vif sous le soleil du Ferlo, ou le jeter en pâture aux bêtes féroces et affamées dont nos brousses sont infestées. Je prends en considération l’éventualité d’une décision dictée par la peur de l’insurrection des populations locales, il y en a eu des cas. Mais je n’exclus pas aussi le manque de sérieux et de jugement d’une administration souvent incompétente et insouciante, et les arguments du Malin qui s’amuse et s’offre un spectacle à peu de frais, et le destin qui réalise ses projets d’avenir.

Quête initiatique

Tout est heureux, logique et plausible. Tout le monde trouve justification et satisfaction au fait. Les colons ont suffisamment de motifs et de griefs contre le Cheikh pour lui chercher querelle et souhaiter sa mort. Le Cheikh, pour sa part ne manque pas d’arguments, mais il n’en parle point. Et moi je me garderai de me prononcer là-dessus. Les Baols-Baols et les Cayoriens ont tant fait ; ils ont épié, guetté, surveillé, menti, écrit et envoyé des lettres de dénonciation ; ils ont entretenu et nourri du fiel et du venin de leur langue, le brandon de la discorde ; ils ont sacrifié et donné tout leur bétail et leurs biens pour qu’il meure ou s’exile pour toujours. Tous sont en droit de chanter, de danser de se réjouir de l’événement et de jubiler, perdant complètement de vue l’adage : « L’infortune des uns entraîne celle des autres ».

Les Baols-Baols et Cayoriens ont peur de tous ceux qui portent uniforme et képi. Ce sont là des symboles de la force, de la répression, et de l’abus dans les colonies. De ces messieurs, il n’y a jamais rien de bon à attendre, ils viennent pour saisir, prélever, voler, ou encore emmener, menacer, frapper voire tuer. C’est comme cela dans les colonies.

L’arrivée de bon matin d’un petit détachement de militaires blancs et de tirailleurs africains, chaussés de bottes et de guêtres noires et luisantes, vêtus de culottes bleu foncé et de chemises claires, coiffés de chéchias rouges, sabre au clair, fouet au poing et fusil en bandoulière, n’augure jamais rien de bon. Mais non, les paysans peuvent être tranquilles, ce n’est pas pour eux qu’ils sont venus cette fois-ci, mais pour le Cheikh.

Il existe toutes sortes de voyages : des voyages de noces et de plaisir, des voyages d’affaires, des voyages d’aventures et de rêves de toute une vie, des voyages de désespoir, où l’on va pour ne plus revenir ; il y a des voyages qui ont peu d’importance, des voyages gratuits que l’on aurait voulu que jamais ils ne se fassent. Il existe encore, et aussi des voyages dramatiques et tragiques, de véritables odyssées ; il y a aussi des voyages de quête initiatique. Ce voyage du Cheikh, point culminant de ses démêlés avec l’administration coloniale, compte sûrement parmi ces derniers. De toutes les épreuves qu’il a eues à subir, les unes plus dures que les autres, il y en a une particulièrement belle et probante.

S’il est vrai que Ndiarème est le pus proche voisin de Touba, bien qu’il se trouve entre eux d’autres petits villages ; si on est d’accord également que tous les deux se situent bien au Sénégal, et nulle part ailleurs dans le monde, on peut cependant se demander, se creuser la tête pour trouver une quelconque ébauche de réponse, qui expliquerait l’acharnement, l’enthousiasme que met le Cheikh pour braver vents, tempêtes et marées, pour parcourir des pays lointains, hostiles et plus sauvages que le nôtre pour conquérir, semble-t-il, en payant de sa santé ou même de sa vie, le droit de propriété sur un petit hameau insignifiant dont personne ne voudrait : coin malsain, chaud, sec, peuplé de scorpions, de serpents et de bêtes féroces. Au contraire du Boundou, il n’y a pas de mines d’or et d’argent, et où même la simple eau constitue une richesse inestimable. Le départ de Moussa, à la tête du peuple juif de l’Egypte pour la Terre Promise, peut, d’une certaine manière, servir de réponse à quiconque aurait besoin d’exemples ou d’antécédents historiques pour comprendre, accepter la geste du Cheikh.

La Ville-de-Pernambouc qui reste dans notre mémoire comme une relique de notre histoire, était un de ces bateaux à vapeur quelconque de la fin du dix-neuvième siècle que l’on voyait amarrés à nos ports. Il sillonnait les côtes africaines pour se rendre aux Amériques, au Brésil, et pus loin encore. Il partait de nos pays avec des chargements d’arachide du Cayor et du Baol, de gomme arabique de l’arbre « vérék » et d’autres produits locaux et tropicaux. Il revenait avec du café, du cacao, du chocolat, de la chicorée, du girofle, du rhum, du whisky, des tissus, de la verroterie que les trafiquants européens déversaient sur notre continent.

La Ville-de Pernambouc comptait cette fois dans sa cargaison, parmi ses passagers, le Cheikh qui partait pour l’exil. Et on chuchotait et on montrait du doigt, et on disant : « Oui, oui, c’est bien lui ». Cet homme de petite taille et de faible corpulence, ce nègre, ce bagnard est, affirmait-on, un type dangereux, un résistant, un rebelle, un raciste, un coupeur de tête, un orateur qui draine des foules. Un homme qui insulte, se moque et donne du fil à retordre à l’administration coloniale. Il est aussi un fou vaniteux, prétentieux, investi on ne sait par qui, d’une mission divine islamiser et instruire les nègres, pour ensuite les inciter à se soulever contre les toubabs, et à les chasser de chez eux.

C’est un homme qui louche sur le pouvoir des blancs, un homme qui a des visées politiques. Dans cette foule bigarrée de la couleur de la peau, des cheveux, des barbes, des yeux et des langues que l’on y parle ; dans cette société à la fois vulgaire et guindée, saupoudrée et parfumée de tabac et d’alcool, où l’on rit à gorge déployée ou émet un petit son mélodieux, un rire aussi qui meurt sur les lèvres que l’on tire aux pommettes, dans ce monde où l’on chante, danse, s’explique d’amour en se tournant vers la mer, où l’on s’embrasse en public, ou l’on vide à tire-larigot, dans de jolis verres et d’élégantes coupes, des bouteilles invraisemblables à l’odeur âpre, chaude, nauséabonde, qui font perdre la raison et vomir sur le pavé du navire que de gais petits mousses noirs s’empressent de nettoyer.

Confiance en son Maître

Sur le pont surchauffé de l’humeur et de l’euphorie des voyageurs, le Cheikh calme, serein et silencieux, occupé tout le temps à se lever, se courber, s’agenouiller et se baisser, ne passe pas inaperçu. On le confondrait, peut-être, avec un élément insolite du décor que constitue l’océan capricieux, tantôt bleu, tantôt glauque tantôt couleur de puce ou d’espoir du sacrifice des algues, ou rose du sang des poissons et des coraux, tantôt calme et huileux, tantôt mousseux, houleux ou courroucé, irrité par les joyeuses vagues qui s’amusent, luttent, se prennent à tour de bras, se soulèvent, roulent sur elles-mêmes, retombent avec fracas sur l’eau, en montrant leurs dents blanches ; elles se chevauchent, jouent à saute-mouton, se défient à la course. Et les malheureuses mouettes, gentilles mais folles, qui, avec force cris, se jettent comme des pierres dans les flots, d’où elles ressortent toujours bredouilles. Et la procession des dauphins majestueux et protocolaires qui font la haie des deux côtés du navire pour l’accueillir ; ils vont de la poupe à la proue pour conduire et protéger leur hôte. On pourrait encore le prendre pour un de ces singes-fétiches que l’on achète au marché africain, et que l’on attache sur les ponts pour rire, se divertir et fuir les tracasseries des copains et le bruit des machines.

Un petit groupe d’hommes et de femmes, des philanthropes, habitués de l’Afrique, des fins connaisseurs de l’âme noire, invitèrent dans toutes les langues du contient, sauf celle du Baol, le Cheikh à quitter sa pratique inféconde pour se joindre à eux ; ils lui proposèrent de venir boire, manger et discuter avec eux, mais lui ne réagissait pas. Alors ils se vexèrent, insultèrent, tinrent des propos méchants sur toute la race, et menacèrent de le jeter à la mer. Tout ce tohu-bohu avait ameuté le monde, qui se bousculait, s’agitait, avançait, plaçait son mot, prenant part au débat. Des voix surexcitées avaient demandé de tabasser le nègre, et de le noyer ensuite. Puis tout se passa comme en un éclair.

Le Cheikh se leva, -le cercle s’ouvrit devant lui-, il s’approcha de la lisse, et balança à l’eau la peau de mouton de couleur ventre biche qui se prit à tourner sur elle-même, à valser, bercée et guidée par les vagues, avant de se déplacer paisiblement au rythme du vaisseau. Le Cheikh suivit aussitôt. Il se souleva lentement et sautant dans le vide. Le bateau, soulagé de son fardeau, prit peur et s’emballa, pareil à ses passagers, qui, tout à coup devenus fous, se querellent entre eux, s’empoignent, s’étranglent, se portent de violents coups, glissent,

tombent, se relèvent, continuent encore de plus belle, s’arrachent les yeux et les cheveux. Le bateau frémit de toute sa carcasse, se cabre, donne de la gîte, penche de tous les côtés, balaye les ondes de ses flancs, se ressaisit, se redresse peu à peu et se stabilise tout à fait. Le Cheikh atterrit en douceur sur sa monture. L’océan gronda : brusquement il grossit, s’épaissit, se mit à vomir d’énormes lames, qui vont, de toutes leurs forces, heurter et se briser à la coque du navire. Ensuite le monstre gémit, hurla, et, dans un horrible cri de douleur, éclata pour enfanter d’une île. Pour l’originaire du Baol et du Cayor, cette oasis flottante, avec son paysage plat et ennuyeux, ses cades pluricentenaires, au tronc ravagé et miné par les termites, ses baobabs trapus malgré les fortes saignées et fréquentes écorchures, rôniers élégants devenus rares parce qu’utiles, et ses vieux toîts de chaume qui attendent d’être faits avant les pluies, avait quelque chose de natal et de très cher. Et, au beau milieu du village dans l’eau, se dressait dans toute sa splendeur, une grande mosquée faite de marbre, d’or et de pierres précieuses. Dans ce tabernacle de lumière, on distinguait nettement le Cheikh, priant avec passion et ferveur son Dieu.

Cet exploit qu’on chante, cet exploit dont on parle encore aujourd’hui, n’a pas été réalisé pour démontrer quelque chose ou convaincre les sceptiques. Il est la preuve irréfutable de la confiance que le serviteur met en son Maître ; et le résultat ressemble plutôt à un pacte d’amour, d’amitié et de fidélité qu’ils ont scellé pour l’éternité. IL en a été ainsi du périple de Moussa et de son peuple, à qui Dieu a garanti son soutien, en leur envoyant la manne et les cailles du ciel. Et voguait, voguait toujours plus loin La Ville-dePernambouc, emportant notre héros vers d’autres lieux et d’autres cieux, où l’attendaient d’autres malheurs, misères et privations, et d’autres exploits magnifiques restés dans l’ombre et dont on n’aura jamais écho.

Les inter-titres sont de la rédaction



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