INSOLITE: Gamou chez une famille chrétienne de Tivaouane

Tivaouane, 30 mars (APS) - A part quelques photos de saints chrétiens, que seul un œil fureteur peut distinguer à travers les rideaux du salon pudiquement abaissés, mais que soulèvent en cette journée de canicule, de rares coups de vent, rien n'indique lorsque l'on franchit le seuil de cette maison située dans un quartier à l'entrée de Tivaouane qu'on est dans une famille chrétienne.

Chez les Abbey, une famille dont le chef est depuis longtemps à la tête de la communauté chrétienne de Tivaouane, l'on se prépare ''comme d'habitude, depuis 40 ans, à célébrer le Gamou''.

''Nous nous préparons surtout à recevoir nos différents invités qui viennent chaque année fêter l'évènement'', assure Antoinette Bampoky, épouse Abbey.

Au menu de ce jour de réception des hôtes pèlerins de Tivaouane, la famille Abbey a inscrit différents préparatifs dont la mise à disposition des chambres de la maison ''déjà nettoyées et rangées'' et la préparation de repas ''corrects que les musulmans consomment'', explique la maman des Abbey.

La dame, la soixantaine bien sonnée, est en train d'ailleurs d'éplucher les légumes qui serviront à préparer les repas. Elle pousse l'hospitalité et l'esprit de fête jusqu'à préparer les mets le plus prisés par ses invités qui viennent de Guédiawaye, Dakar, Mboro et Koukandé dans le département de Kolda.

''On prépare de la nourriture licite pour les invités qui vont camper dans la maison et qui préfèrent manger de la sauce avec du poulet ou du couscous fait à base de mil'', poursuit la dame pour qui ''le dialogue islamo-chérien est une réalité vécue à Tivaouane''.

Originaire du sud du pays, Antoinette Bampoky dont le mari est, lui, venu du Togo pour servir à Tivaouane, ''pendant 35 ans comme technicien de santé'', déclare n'avoir jamais senti un regard différent de la part des autres femmes qui sont la plupart ses amies.

Dans ses souvenirs, seul un fait de l'histoire est considéré par elle comme un incident inter religieux, mais désormais renvoyé aux calendes grecques et enterré ''à jamais parce qu'entre les deux communautés, il n' y a pas de place pour autre chose que la fraternité''.

Le seul heurt, c'était il y a ''très longtemps, lorsque le khalife d'alors s'était opposé vigoureusement à la construction d'une église à Tivaouane'', se souvient-elle avant d'ajouter : ''depuis, c'est réglé et nous allons à la messe, à quelques encablures de la ville''.

Par ailleurs, ajoute-t-elle, son mari a soigné feu Abdoul Aziz Sy qui en a fait de même pour son fils

Quid des relations entre le khalifat de Tivaouane et le regroupement des chrétiens de la ville? A l'évocation d'un tel sujet, l'émotion étreint le voix d'Antoinette qui, parlant de ses relations avec le défunt khalife Abdoul Aziz Sy ''Dabakh'', ne tarit pas d'éloges à son endroit.

''C'était presque une relation filiale qui le liait à mon mari'', témoigne Antoinette qui souligne, aux chapitres des anecdotes qui ont contribué à cimenter la relation interconfessionnelle, un geste médical que seul le mari, Elias Abbey, a pratiqué suite à une demande expresse de Abdoul Aziz Sy, alors souffrant d'un abcès ''très douloureux''.

''Il a demandé qu'aucun autre médecin ne le touche, parce que, disait-il, seul Elias peut le guérir de cet abcès sans risque'', se souvient Mme Abbey qui, visiblement, voue encore une grande admiration à l'endroit du khalife disparu en septembre 1997.

''Il a juste demandé que l'acte médical ne soit effectué que lorsqu'il aurait fini son récital du Coran et de quelques poèmes'', raconte la dame rappelant que lorsque son mari a prodigué les soins selon les recommandations du marabout, celui-ci s'est endormi aussitôt.

Un tel geste de confiance a marqué les époux Abbey, surtout lorsque leur enfant, malade, reçu de Abdoul Aziz Sy en personne des prières.

''Lorsque mon fils est tombé malade, j'étais désespérée et je suis allée en parler au marabout, qui l'a immédiatement pris entre ses bras pour prier pour lui et me rassurer en m'annonçant qu'il vivrait plus longtemps que sa mère'', raconte-t-elle.

Dans la même veine, Mme Abbey n'oubliera pas de sitôt cette autre marque de d'affection et de solidarité de la part de Abdoul Aziz Sy.

C'était lors du décès de sa belle mère au Togo, raconte t-elle. ''Informé, le khalife demanda à mon mari de s'asseoir dans son salon et +d'attendre Dieu+''. Quelques instants plus tard, un dignitaire lui rendit visite et lui remit trois enveloppes.

''Alors, Abdoul Aziz Dabakh, sans même ouvrir les enveloppes, nous remit les deux et la troisième à une autre personne trouvée sur place'', se souvient Antoinette Bampoky qui ajoute : ''à la vue de la somme qu'il y avait dedans, j'ai dit à mon mari que le marabout s'était trompé, mais il nous a rétorqué que les enveloppes étaient bien à nous, qu'il a en reçu trois et qu'il n'a fait que les donner aux trois premières personnes qui en avaient besoin''.

A l'heure où l'affluence commence à gagner les ruelles de Tivaouane, les hôtes de cette famille chrétienne au cœur de la capitale de la Tidjaniya peuvent s'estimer heureux de compter sur le sens de l'hospitalité d'une famille ''marquée, selon Antoinette, par quarante ans de présence dans cette cité de El Hadji Malick Sy''. Le dialogue islamo-chrétien ne s'en portera que mieux.