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La question fonciére à Dakar : Une poudrière en veilleuse

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La question fonciére à Dakar : Une poudrière en veilleuse

Depuis un certain temps, les litiges fonciers dans la région de Dakar sont monnaie courante dans l’espace public sénégalais. Malgré l’existence de la loi sur le domaine national, l’anarchisme qui règne dans le secteur génère de nombreux conflits. Qu’est ce qui est à l’origine de cet état de fait ? A qui profite la terre ? Qu’en dit la loi ? Voilà quelques interrogations auxquelles nous allons essayer de trouver des réponses dans ce dossier sur la question foncière.

La région du Cap Vert cherche, depuis plus d’une décennie, les voies de la réforme foncière nationale. Le domaine national conçu par le Sénégal indépendant en 1964 dans le respect des traditions africaines, ne satisfait plus bon nombre d’habitants de la capitale.

La problématique foncière dans la région de Dakar a fini de mettre en exergue les conflits issus de la gestion locale des ressources. Ces conflits dont l’unique explication se trouve être l’augmentation rapide de la valeur de la terre qui se raréfie, nécessitent une redéfinition des règles qui garantissent leur accès et leur exploitation. Ceci dans la mesure où les modes locaux de gestion se révèlent parfois inadaptés face à des changements rapides et complexes.

Le plus récent des préjudices dont les litiges fonciers sont l’origine dans la région de Dakar, c’est la grève de 48 heures des bus « Dakar Dem Dikk » qui a paralysé pratiquement tout le secteur du transport urbain. Derrière cette grève, il y a le refus des agents de la dite société de céder les réserves foncières de cette dernière qui font l’objet de beaucoup de convoitises depuis 2002. Dans le même ordre d’idée, on pourrait évoquer les violents affrontements entre les populations de la Commune d’arrondissement Ouakam et les forces de la gendarmerie qui ont leurs origines dans le litige foncier qui les opposent au Maire de la Commune. Si le Maire de la commune affirme que le titre foncier numéro 30 173 appartient à la collectivité locale d’une part, les jeunes de la localité d’autre part, font état d’une mutation du numéro de titre foncier par le Maire Samba Bathily Diallo et que le numéro originel du titre foncier 4 407 et a été cédé à la communauté Léboue pour l’extension du village de Ouakam par un décret présidentiel signé par le Président Léopold Sédar Senghor. Entre autres exemples on pourrait citer aussi le litige foncier qui oppose le DIARAF de YOFF et l’APECSY qui n’a pas encore fini de défrayer la chronique dans toute la communauté Léboue du Cap Vert (Dakar).

Ce qui amène à en déduire que ces litiges montrent que la question foncière suscite aujourd’hui un intérêt particulier à Dakar suite aux esquisses de privatisation qui risquent de bouleverser la conception négro-africaine des droits sur la terre, vécue par les populations et ayant largement inspiré la loi sur le domaine national de 1964.

Que dit la loi sur le domaine national ?

A l’origine, la loi sur le domaine national de 1964 est un droit de synthèse original poursuivant deux objectifs essentiels : la socialisation de la propriété foncière plus conforme à la tradition négro-africaine et le développement économique du pays. Pour concilier ces deux objectifs, la voie du socialisme a été empruntée. L’idée de socialisation de la terre apparaissait nettement dans le discours politique concomitant à l’adoption de la loi sur le domaine national.

Le Chef de l’Etat, Maître Abdoulaye Wade, sentait ce courant de litiges fonciers planer sur les cieux de la capitale sénégalaise, en affirmant lors de la rentrée des cours et tribunaux de l’année 2005 sa volonté de « réfléchir sur un des grands enjeux juridiques pour le Sénégal dans les années à venir : “ Le droit de la terre ” ». Avant de s’engager à « identifier les insuffisances du régime juridique actuel de la terre » afin de tracer « les voies possibles d’une réforme ».

Mais auparavent, il faudrait que les autorités étatiques se penchent sur la grande nuance que met en exergue l’article 15 de la loi sur le domaine national. En effet, bon nombre de nos concitoyens de la région de Dakar, brandissent cette article 15 quand il s’agit de justifier leur légitimité sur les terres qui font l’objet de litiges fonciers. Cet article stipule dans son alinéa 1 que « les personnes occupant et exploitant personnellement des terres dépendantes du domaine national à la date d’entrée en vigueur de la présente loi continueront à les occuper et à les exploiter » avant de préciser dans son alinéa 2 que « toutefois la désaffectation de ces terres peut être prononcée par les organes compétents de la communauté rurale soit pour insuffisance de mise en valeur soit si l’intéressé cesse de l’exploiter personnellement soit pour des motifs d’intérêt général ».

C’est la raison pour laquelle dans les litiges fonciers qui opposent les populations et les autorités locales, chacun met de son côté, les avantages que lui offre cet article 15 qui n’en finit pas d’être invoqué par les uns et les autres.

La zone Ouakam, Ngor, Yoff, une aubaine financière dans les transactions foncières

A quelques encablures du centre ville, à peu près 10 Km, juste après le village de Ouakam, le constat d’un changement du décor est patent pour toute personne qui fait une descente sur les lieux. De belles constructions peuplent le décor dans les cités des Mamelles, on ne se croirait pas dans un pays en développement tant les bâtiments qui y sont construits attestent qu’ils ont englouti beaucoup d’argent. Et c’est le même décor jusqu’aux Almadies, une petite langue de terre incrustée dans la mer. Dans ce quartier de luxe, l’aisance des habitants est manifeste au regard des constructions. Cette côte d’azur du Sénégal, si l’on peut se permettre cette comparaison, fait rêver beaucoup de nos concitoyens qui ne demandent qu’à y habiter. Selon Mame Alassane Gueye, Président du Collectif des jeunes de Ouakam, « toute cette zone de Ouakam en passant par les 18 cités des Mamelles, le quartier des Almadies jusqu’à l’aéroport, appartenait à la communauté Léboue ».

Non loin des Almadies, après le virage de Ngor, on entre dans un univers des affaires et des belles villas avec les cités « encore inoccupées il y a de cela 15 ans » et dont le décor a radicalement changé entre temps nous dit Ibrahima Ndoye, un vieil homme d’une soixante dizaine d’années. « Tout cet espace a changé en un temps record, du jour au lendemain, de nouvelles habitations ont été construites à la grande surprise des autochtones ».

En outre cette zone est devenue un endroit qui est très prisé par les abonnés du « Dakar By Night ». On y trouve du tout en termes de milieux, bars, restaurants et dancing entre autres. « Des étrangers ont transformé cet endroit en un monde spécial la nuit, on a l’impression de ne plus être à Dakar quand on y fait un tour », affirme Ibrahima Ndoye. Une assertion qui, du reste, n’est pas réfutable dans la mesure où, ce paysage est un grand pôle commercial avec des agences de voyages, des boutiques de luxe, des night clubs, des casinos à l’image de ceux de Las-Vegas aux Etats-Unis, des hôtels les plus chics de la capitale sénégalaise. Sur une distance de moins de 3 Km, on peut facilement compter une dizaine de boites de nuit.

Selon la dame Ndioba Diagne, une quinquagénaire, cette situation s’explique par le fait que cette zone est très proche de l’aéroport International Léopold Sédar Senghor. « L’aéroport a beaucoup participé au changement de cet endroit avec les étrangers qui ont très tôt eu le réflexe d’acheter les terrains qui étaient sur la route de l’aéroport », nous confie t-elle.

Par ailleurs, l’achat de ces terrains n’est pas à la portée du premier venu dans la mesure où les prix d’acquisition de terrains se sont renchéris au fil des ans devant une demande qui devient de plus en plus pressante. Le prix du mètre carré débute avec la rondelette somme de 150 mille de nos francs et peut atteindre plus de 200 mille francs CFA en fonction de l’emplacement du titre foncier. Et Ndioba Diagne justifie ces prix exorbitants par le fait que « les étrangers ont valorisé ces terres avec les sommes qu’ils sont prêts à débourser pour acquérir une parcelle de terre dans cet espace tant et si bien que tout sénégalais qui désire acheter un terrain dans la zone de Ouakam, Ngor, Yoff, est obligé de suivre ».

Elle va plus loin en affirmant que « bon nombres de dignitaires Lébous sont devenus riches à cause des transactions foncières qui apportent beaucoup d’argent et c’est ce qui explique la fréquence des litiges fonciers dans les parages d’autant plus qu’il ne reste plus beaucoup de terrains ».

Selon Babacar Sèye, vérificateur des Impôts et Domaines, « seul l’Etat est habilité à rétrocéder une portion de terre du domaine national à un privé » et que la procédure se fait par le biais d’un conservateur des Impôts et Domaines à la suite de deux décrets prescrits par un receveur des Impôts et Domaines.

Le premier décret est un décret « d’immatriculation » et le second est celui de « désaffection d’une portion de terre du Domaine Nationale », précise Babacar Sèye. Pour ce qui est des litiges fonciers qui opposent les communautés aux collectivités locales « l’Etat immatricule des terres en son nom et les affecte à des collectivités locales qui se chargent de la gérance de ces dernières », précise Mr Sèye.

Pour qu’il y ait une rétrocession de terres par l’Etat sur le Domaine National, il faut que l’acquéreur soit impérativement une personnalité juridique (une personne privée ou un représentant d’un ensemble d’individus jouissant de tous leurs droits, une société entre autres). Cependant Babacar Sèye déplore une certain « manque de fermeté de la part de l’Etat dans l’application des textes juridiques ».

Reste que la question foncière suscite de nombreuses interrogations qui méritent d’être élucidées. La loi sur le domaine national a contourné les réalités sans pour autant creuser au fond des difficultés que pose le droit coutumier. En attendant, les litiges fonciers ont de beaux jours devant eux dans la région de Dakar devant une demande qui non seulement est supérieure à l’offre mais devient aussi très pressante.



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