Le 19 mars, vu par les Jolofmen nord-Américains

En mission au Canada, à Toronto et à Montréal, la semaine d’avant le 19 mars, puis présent le Jour J et après à Washington, je suis d’abord surpris par l’intérêt porté par nos compatriotes de la Diaspora sur ce qui se passe au Jolof, comme ils disent. Tous les matins, le premier réflexe, au bureau ou à la maison, c’est de se connecter sur Sénéweb (bravo à Salam et Serigne) pour avoir les derniers news du pays, les développements de la situation sociopolitique, prendre le pouls de la tension ambiante. Bref, une implication directe qu’on ne pouvait soupçonner du dehors. On se disait qu’avec la distance, le manque de temps, l’actualité locale de leur pays de résidence, ils se consacreraient moins à ce qui se passe au pays. Que nenni ! La plupart sont tellement intéressés qu’on se dit « mais, bon Dieu, pourquoi ils ne rentrent pas ? ». Alors là, c’est un autre débat…

Juste pour dire que l’avant-19 mars a été vécue, Outre-Atlantique, comme si on était au Sénégal. Avec des débats enflammés, des positions tranchées, « pour ou contre », selon qu’on était proche ou éloigné du Pouvoir. Pour certains, l’histoire du Sénégal allait s’arrêter le 19 mars, le pays serait à feu et à sang, il y aurait la révolution. Comme en Tunisie ou en Egypte… Mais sur quelle planète sommes-nous ? Moi qui suis journaliste, qui venait du pays il n’y a pas longtemps, je me sentais dépassé par certains discours hallucinants. Par endroits, je pensais qu’on ne parlait pas du même pays ou qu’on n’analysait pas la même réalité politique. Certes, je ne suis pas très fort en termes de prospective politique, mais de là à penser que le Sénégal était mûr pour une révolution à la maghrébienne, j’étais loin d’être convaincu…

Pour moi, « il ne se passerait strictement rien le 19 mars ». L’Opposition et la Société civile allaient marcher. Soit. Ce qu’il y a de plus normal dans un pays dit démocratique ! Le Pouvoir allait organiser sa contre-manifestation pour prouver qu’il tient bien le pays profond, qu’il sait mobiliser encore les foules. Au prix de combien de cars Ndiaga Ndiaye ou de liasses de billets de banque ? Va savoir… Il est seulement regrettable que le Pouvoir ait si paniqué au point d’inventer, de toutes pièces, un « coup d’Etat » pour apeurer l’opinion et semer la discorde dans les rangs des manifestants. Un petit coup d’éclat qui les a plutôt décrédibilisé…

Pour autant, nos compatriotes de la Diaspora ne comprennent franchement pas qu’on puisse parler de Stratégie de croissance accélérée, d’environnement des affaires de classe internationale ou d’émergence économique alors que le pays sombrait dans le noir, avec des délestages électriques qui dépassaient toutes les normes. Pour eux, c’était la manifestation la plus criarde de l’incompétence de nos dirigeants. Et ne serait-ce que pour cette raison, il fallait qu’ils « dégagent »... Alors là, vaste programme ! Surtout qu’ils sont bien servis par les révélations de nos confrères Souleymane Jules Diop sur Sénéweb et Latif Coulibaly, en tournée de conférences, en terre nord-américaine.

A vrai dire, les raisons d’une forte exaspération ne manquent pas, le pays va très mal, les finances publiques sont malmenées par des dépenses somptuaires alors que les urgences socio-économiques sont plutôt reportées aux calendes grecques… Bref, tous les ingrédients pour faire chauffer le front social et raviver les tensions. Heureusement que le Pouvoir a bien compris les dangers en latence et est parvenu, par on ne sait quelle alchimie, à éteindre le feu des délestages, depuis quelques temps. Ce qui a eu le don de refroidir les ardeurs bellicistes de ces derniers mois. Espérons que c’est bien le début de la fin des délestages…

Il est fascinant de constater, qu’au-delà des antagonismes, ce « commun vouloir de vivre en commun », qui caractérise la nation sénégalaise, est en fait ce qu’il y a de plus fort et de plus partagé par les responsables de ce pays. Et qu’après la tempête du 19 mars, c’est bien le moment de se parler, de s’écouter, de voir dans quelle mesure on peut sauver le pays de la dérive. Février 2012 pointe du nez et c’est le moment ou jamais de conclure un gentlemen agreement pour que vive le Sénégal. Avant, pendant et après…

BDW