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Les confréries musulmanes au Sénégal : histoire, pouvoirs , débats

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Les confréries musulmanes au Sénégal : histoire, pouvoirs , débats

L’Islam est présente en Afrique soudano-sahélienne depuis le XIe siècle et s’y est propagé jusqu’au XIXe siècle. C’est pour assurer la gestion de la Cité que les régimes aristocratiques tieddo (animistes pour la plupart) recrutèrent des marabouts comme cadis, secrétaires, chanceliers. En effet, ces derniers étaient surtout considérés comme des lettrés et des intellectuels. C’est seulement à partir de la fin du XVIIe siècle que les marabouts commencèrent à mener la guerre sainte contre l’aristocratie locale pour lutter contre l’esclavage qu’elle pratiquait.

Les Français n’étaient pas visés par ces guerres saintes et pouvaient même bénéficier de la protection de certains marabouts tant qu’ils ne pratiquaient pas l’esclavage. Ce pacte fut très rapidement rompu par les Européens qui apportèrent leur soutien aux négriers de Saint-Louis notamment en soutenant le Damel (Roi) du Cayor Amari Ngoné contre l’anti esclavagiste Abdoul Kader. C’est bien à partir de cette rupture du pacte que le Jihad s’étendit aux Européens. Ainsi, les marabouts combattirent sur deux fronts, contre l’aristocratie locale (partisane de l’esclavage) et contre les colonisateurs qui, s’alliant avec les rois locaux selon leurs intérêts ou les combattant pour les mêmes raisons, finirent par remporter la victoire finale.

Certains marabouts continuèrent pourtant la résistance active , comme le Cheikh El Hadj Oumar Tall qui lança un appel au Jihad en 1855 mais n’eu pas le soutien ses confrères locaux dont certains lui étaient carrément hostiles. Les marabouts du Sénégal, battus par la puissance militaire française, choisirent par a suite la résistance passive et culturelle (Jihad Akbar). Ce fut le cas de El Hadji Malick Sy (Tijanisme) et Ahmadou Bamba (fondateur du Mouridisme). Les populations se regroupèrent autour de ces marabouts qui leur apportaient réconfort et soutien moral en les incitant surtout à la patience (en attendant que Dieu les sorte de cette douloureuse occupation des infidèles).

La France, qui avait compris depuis longtemps le pouvoir que portaient les marabouts locaux, en fit des alliés en les recrutant comme conseillers, traducteurs, et même parfois faisant office de diplomates (comme le marabout sénégalais Bou El Mogdad secrétaire et conseiller de Faidherbe pour la Mauritanie). Ces marabouts très influents, rédigèrent des « fatwas» destinés à convaincre les musulman-e-s que l’occupation des pays maures par les Français était un bienfait de Dieu et que les Français étaient venus mettre fin à l’anarchie, aux guerres tribales, au pillage, à l’insécurité et que leur présence devait permettre l’expansion de l’Islam. D’autres marabouts ainsi que des notables locaux ont même combattus aux côtés des Français (c’est le cas Bou Kounta de N’Diassane) ou par leur influence, réussi à infléchir certaines campagnes militaires.

Lorsque toute l’Afrique fut sous domination européenne, la résistance passive devint la règle. Les marabouts sénégalais Cheikh Ahmadou Bamba et El Hadji Malick Sy choisirent alors la coopération avec les colons français tout en refusant toute collaboration. Ils contribuèrent ainsi à une propagation encore plus rapide de l’Islam dans ces contrées où l’animisme est très présent. L’Islam des confréries maures (Khadriya) recula très fortement au Sénégal au profit d’un Islam local qu’on pourrait qualifier d’Islam noir. Tout en réhabilitant les grandes figures guerrières de l’Islam local (El Hadj Malick Sy donna sa propre fille en mariage au petit fils d’El Hadj Oumar tall qui combattit les Français), les marabouts de l’ère coloniale réussirent la prouesse d’étendre leur influence au delà de la zone sénégalaise (jusqu’en Mauritanie) inversant ainsi les rôles. Au fil du temps, un État dans l’État se constitua autour des fiefs de certains marabouts influents, ce qui constitua très rapidement une menace pour le colonisateur français qui commença à se méfier des marabouts et à les persécuter (déportation au Gabon de Cheikh Ahmadou bamba en 1895 et en 1903 en Mauritanie).

Les Français, tolérants vis-à-vis de l’enseignement de l’arabe, commencèrent à imposer le français tout en restant conciliant avec la «nouvelle aristocratie maraboutique» notamment dans le choix des cadis (souvent choisis parmi les enfants des marabouts). Pendant les deux guerres mondiales, la collaboration entre pouvoir colonial et pouvoir local représenté par les marabouts dont l’influence permit le recrutement de beaucoup d’Africains appelés à contribuer à l’effort de guerre. Les confréries religieuses prêchèrent la soumission des Sénégalais à la France (tournée de Thierno Seydou Nourou tall dans toute l’Afrique de l’ouest pour inciter les Africains à s’engager dans l’effort de guerre) et organisèrent des séances de prières pour la victoire de la métropole. Certains marabouts s’occupèrent même de tâches de renseignements comme le chérif Maky Haidara de Sédhiou avec comme mission d’observer les mouvements de populations en direction de la Guinée portugaise.


A l’indépendance du Sénégal, le pouvoir des marabouts était déjà bien posé. État dans l’État au temps du pouvoir colonial, les confréries maraboutiques devinrent grâce au pouvoir économique (culture de l’arachide, cotisations des fidèles) de véritables contre-pouvoirs potentiels. Les hommes politiques sénégalais comprirent aussi dès l’Indépendance leur influence et vont tenter de s’en approprier. Senghor (bien que chrétien), obtient le soutien des marabouts pour remporter la victoire contre Lamine Guèye (aristocrate de Saint-Louis et premier juriste noir de l’Afrique française) et rester au pouvoir par la suite. Abdoulaye Wade, l’actuel président du Sénégal, est issus de la confrérie mouride et ne le cache nullement.

Aujourd’hui, l’islam sénégalais représenté par les confréries, reste pourtant garant d’un Islam «modéré» face à ce qui apparaît souvent comme un Islam plus dur originaire du Maghreb et des pays arabes. Mais même si les marabouts ont un rôle très important dans ce pays à majorité musulmane (rôle d’éducation, conscience morale), la séparation entre pouvoir politique et pouvoir religieux reste seule garante de la démocratie. Les chefs religieux ne doivent pas devenir des faiseurs de roi à défaut d’être eux mêmes rois.

 



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