Lutte contre le paludisme : Un nouveau traitement pour les enfants

Un nouveau traitement préventif contre le paludisme chez les enfants de moins de 5 ans a été découvert par une équipe de chercheurs sénégalais. Le coordonnateur principal de cette équipe, le Pr Badara Cissé, un médecin épidémiologiste de l'Université de Londres actuellement en détachement au département de parasitologie de l'université Cheikh Anta Diop de Dakar où il a été formé comme médecin, nous entretient des recherches qui ont abouti à cette découverte.

Wal Fadjri : Quelle est la méthodologie utilisée et l'échantillon retenu au cours de votre programme de recherche sur le traitement préventif intermittent du paludisme chez les enfants de moins de 5 ans ?

Badara Cissé : Pour le cas de notre étude, nous avons sélectionné 1 200 enfants. Et 600 de ces 1 200 enfants ont reçu un traitement préventif saisonnier et 600 autres ont reçu un placebo. Cette recherche a reçu l'agrément du Comité du ministère de la Santé, de l'Ird et de l'Université de Londres et a été faite avec tous les standards internationalement admis. En donnant notamment une fois en septembre, une fois en octobre et une fois en novembre une combinaison de médicaments, en l'occurrence la sulfadoxine-pyrimethamine plus l'artésunate. En donnant ces trois médicaments une fois par mois pendant la deuxième moitié de la saison de transmission du paludisme, nous avons pu réduire le nombre de cas de palu de 86 %. Nous avons été les premiers à être surpris par l'amplitude de ces résultats. Cette étude comporte beaucoup d'espoir. Maintenant, on va passer à une étape supérieure, c'est-à-dire procéder à une imprimentation du traitement préventif intermittent (Tpi) à une très large échelle. Nous saluons le soutien du gouvernement du Sénégal pour cette étude et tirons chapeau au Pr Ewa Marie Colle Seck, alors ministre de la Santé, qui a beaucoup appuyé cette étude.

Wal Fadjri : Pourquoi avoir choisi Niakhar comme zone d'étude ?

Badara Cissé : Pour deux raisons principalement : Niakhar, c'est l'archétype du milieu rural sénégalais et je dirais même sahélien. Et à Niakhar existe un centre de recherche implanté par l'Ird. Ce centre a facilité à tout point de vue l'exécution d'un tel programme de recherche. Il facilite la recherche de terrain avec des standards internationaux. La recherche de terrain est parfois très difficile à mener, car elle est différente de la recherche en laboratoire. Nous connaissions bien cette zone au moment de notre étude. Le programme a été débuté durant la saison de transmission 2002. Et durant la saison de transmission 2003, nous avons aussi essayé de voir s'il y avait un effet rebond ou non. Cet effet rebond c'est quoi ? On prend les enfants à qui nous avons donné des médicaments, pour voir si le fait qu'ils n'aient pas fait de palu l'année suivante, ne les expose pas beaucoup plus au palu, ou les expose à des palus plus sévères. Heureusement que cela n'a pas été le cas pour le Tpi. Parce que, principalement, les médicaments ont été donnés à trois reprises, contrairement à la chimioprophylaxie où les médicaments ont été donnés sur une période de six mois, à raison 30 ou 40 doses par enfant au total par année.

Wal Fadjri : Comment procéder pour mettre à profit cette découverte et faire descendre les informations au sein des districts et centres de santé ?

Badara Cissé : Nous sommes toujours au stade de la recherche. Le Tpi saisonnier n'a pas été encore adopté comme politique de santé. Notre souhait le plus cher, c'est de pouvoir à partir de 2007 ou même de 2006, mettre en place, dans certains districts, ce moyen préventif du paludisme, et en même temps procéder à des études satellites pour avoir des informations supplémentaires sur l'acceptabilité des populations. Il faudra voir comment communiquer. En tout cas, au niveau de Niakhar, les populations ont bien accueilli cette étude.

Wal Fadjri : Quel est le coût de ces recherches ?

Badara Cissé : Les recherches coûtent cher. Si on veut faire une recherche avec des standards internationalement admis, cela coûte cher. Pour ce programme de recherche, on a eu des sponsors majeurs, dont la Fondation Bill Gates, le Departement for international developement (Dfid) qui est l'équivalent britannique de la coopération française, l'Ird, la London School et l'Université de Dakar. Toutes ces institutions ont participé dans la mesure de leurs moyens à l'élaboration de cette étude.

Wal Fadjri : Et cela a coûté combien ?

Badara Cissé : C'est un programme de recherche qui s'est déroulé sur trois années. En 2002, c'est la recherche principale, en 2003 on recherche s'il y avait un effet rebond ou pas. En 2004, nous avons fait une autre étude à Niakhar pour comparer quatre combinaisons en médicaments et voir quelle était la meilleure combinaison pour le Tpi saisonnier. Et on s'est rendu compte que toutes ces quatre étaient efficaces. Et pendant ces trois années, il y a eu un intense programme de formation d'une dizaine d'étudiants sénégalais et français qui ont été formés en France, à Londres, etc. Le programme a coûté à peu près 200 millions de francs Cfa.

Wal Fadjri : Quelle a été la contribution de l'Université de Dakar dans ce programme de recherche ?

Badara Cissé : Nous avons eu la chance d'avoir le Pr Oumar Gaye du service de parasitologie et son équipe. Depuis Londres, je l'appelle chaque fois. Il fait partie des mémoires vivantes de la lutte contre le paludisme ici. Dans ce département, il y a le Pr Oumar Ndir et le Pr Omar Faye. C'est l'Ird qui accueillait ce programme de recherche, mais actuellement le programme est logé au niveau du service de parasitologie que dirige le Pr Oumar Gaye.

Wal Fadjri : Mais quelle est la différence entre le traitement préventif intermittent (Tpi) et le traitement préventif intermittent saisonnier ?

Badara Cissé : Le Tpi est bien connu dans tous les districts, postes et centres du santé du Sénégal chez la femme enceinte. En fait, nous n'avons pas réinventé la roue. Ce que nous avons essayé de faire, c'est de voir si ce traitement préventif intermittent est applicable chez l'enfant. Mais il fallait éviter de tomber encore dans le piège de la chimioprophylaxie. Donc, il y a le Tpi pur et dur. Quand on dit Tpi, on pense à la femme enceinte. Maintenant, il faudra intégrer le Tpi saisonnier chez l'enfant. Saisonnier parce qu'il se focalise à une fenêtre de temps. C'est tout simplement pendant la deuxième moitié de la transmission du paludisme. Et le nombre d'administration de doses est très limité. Ils ont essayé deux doses, ils ont eu 60 % de réduction. Nous avons essayé trois doses, nous avons eu 86 % de réduction avec un mois d'intervalle entre les doses. Si le choix des médicaments est fait de manière intelligente, il y aura une action des médicaments pratiquement durant toute la période d'intervalle.

Wal Fadjri : Quelles sont les difficultés majeures auxquelles vous êtes confrontés avec ce programme de recherche ?

Badara Cissé : J'aimerais, avant de parler de difficultés, garder les points positifs. C'est-à-dire le soutien et l'encadrement du Docteur Diack et du Pr Ewa Marie Coll Seck, de la population, etc. Il y a eu, bien sûr, des difficultés et la difficulté majeure a été de mener une étude de cette taille avec les standards internationaux. A tout moment, on peut faire appel à un expert scientifique pour venir certifier vos données. C'est cette quête de performance qui aura été la difficulté majeure. Et toute l'équipe a donné le meilleur d'elle-même.