MAI 68, AN 40 / Des « fous » pour une révolution impossible - MINERVE : Soixante-huitards passés au caviar

Est-il possible de parler de Mai 68 sans y avoir été ? Oui, au nom du devoir d’inventaire sur les pratiques générationnelles, même si cet exercice n’a pas été privilégié dans ce dossier que nous vous présentons à l’occasion du quarantième anniversaire d’une révolution fleur au fusil. Mai 68 ? Pour les «absents» de la grande histoire que nous avons été, que nous sommes encore aujourd’hui, qu’est-il possible d’en tirer de concret ? Sans doute des avancées, fussent-elles modestes, au plan des libertés. Un peu plus de marge politique, une dose supplémentaire positive dans la mise à disposition du principe du bien-être, une attitude sociale plus en phase avec les progrès scientifiques, davantage de moyens pour les syndicalistes face aux patrons.

Certes, Mai 68 n’a pas révolutionné le monde, ni réduit les menaces du tout-nucléaire, qui ont fini de mettre la planète dans un état de sursis prolongé. Il a certainement constitué un repère pertinent face à toutes les questions que l’humanité se pose sur la capacité des hommes à cultiver le bien en toutes circonstances, quelles que soient leurs positions. Le «peuple» idéaliste et utopique qui a ébranlé bien des pouvoirs politiques de par le monde, au Sénégal comme en France, a montré tout ce qu’il est possible de faire d’utile avec de la détermination, de l’organisation, du courage, dans un esprit de sacrifice qui met en perspective le bonheur de générations futures. Tout le contraire de l’égoïsme ! Mais quarante ans plus tard, l’on se demande ce que ce peuple hardi de 68 peut représenter en terme de modèle pour la jeunesse. Car, de la déception, il y en a. L’on pensait que les convictions nées de cette époque étaient assises, imperturbables, invariantes. L’on se rend compte aujourd’hui, que la plupart des grands contestataires qui ont fait des misères aux pouvoirs, sont rentrés dans les rangs. Pire, au contact de ces pouvoirs, ils ont transformé leur idéal en agent au service des puissances d’argent installées dans les cercles de la politique, du business. A force de goûter au caviar des décideurs, ils ont naturellement abandonné la soupe populaire, modifiant et déplaçant du coup, leur propre système de pensée et d’action. Or, Dieu sait que l’humanité a besoin de leurs lumières ! Au Sénégal, ils sont nombreux, sous Senghor et Diouf, à avoir vendu leur âme au diable de la consommation et des désirs.

Sous Wade, certains d’entre eux ont littéralement monnayé leur dignité pour avoir le droit d’être en cour. Ils assistent, égoïstes et laudateurs, au dynamitage des institutions qui donnent sens à la République, donnant leur onction, par le silence ou par la parole, aux options qui mettent le Sénégal sur les lignes dangereuses de la dislocation et des aventures mortelles. Ils sont là, ces héros de 68 passés sous les fourches caudines du bonheur matériel à tout prix. Ils ont servi Léopold Sedar Senghor, adoré Abdou Diouf, déifié Abdoulaye Wade, en attendant de s’offrir au prochain président de la République. Pour tout cela, ils ont ôté à leur idéal de jeunesse toute la crédibilité qu’ils étaient en droit d’attendre de leur engagement. Egoïstes, ils ont arrêté de privilégier ce pays, son présent, ses enfants, son avenir, sa jeunesse, ses paysans, ses étudiants, ses femmes, ses hommes… Ils ont fait Mai 68, ils ne le referaient pas si c’était à refaire. Leur «Grand Soir», c’est contre le peuple qu’ils l’ont construit. C’est dans le pouvoir de répression qu’ils auront réalisé leur consécration. Il y a une gauche caviar en France. Au Sénégal, c’est encore pire.