Mercredi 24 Avril, 2024 á Dakar
Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Societe

MALICK DIAGNE, SOCIOLOGUE:« L’insécurité au Sénégal est le reflet d’une défaillance politique »

Single Post
MALICK DIAGNE, SOCIOLOGUE:« L’insécurité au Sénégal est le reflet d’une défaillance politique »

Le phénoméne de l’insécurité refait surface à Dakar et dans beaucoup de villes sénégalaises. Cette situation s’explique par de nombreux facteurs comme le chômage chronique des jeunes et les difficultés liées à la pauvreté qui va crescendo. Dans cet entretien qui suit, le sociologue Malick Diagne affirme sans ambages que cette insécurité galopante est due à une défaillance politique.

En tant que sociologue, comment analysez-vous le phénomène d’insécurité ?

Il faut d’abord commencer par souligner, que ce phénomène n’interpelle pas seulement les sociologues que nous sommes. D’autres spécialistes ont y aussi fortement leur mot à dire, lorsqu’on sait surtout, que l’insécurité présente une dimension politico-juridique indéniable et incontournable. Pour cause, il est un enjeu politique international, dont l’éradication a été considérée comme prioritaire par tous les gouvernements.
L’insécurité en effet, est le reflet d’une certaine défaillance politique, qu’il est urgent de corriger. Elle ne cesse aussi de confirmer et de consolider la nécessité pour un Etat, de protéger l’intégrité physique, matérielle et morale de ses citoyens, ainsi que leur droit inaliénable aux différentes libertés.
Sa manifestation croissante impose donc à ce dernier, le besoin constant de se doter les moyens idoines, pour mieux remplir sa mission dans ce domaine. Cette mission qui s’étend au-delà du territoire national, incombe spécifiquement aux ministères de l’intérieur, de la justice et des forces armées, à travers leurs principaux démembrements.

Expliquez-- nous le phénomène sous l’angle sociologique ?

Cette dimension politique et juridique de la question est assurément une réalité indéniable. Cependant, le phénomène d’insécurité a des origines purement sociales, du fait qu’elle prend sa source dans la dynamique sociale et qu’elle est le produit des contradictions sociales. C’est un indicateur visible de l’existence, à l’intérieur d’une société en proie à une crise économique et/ou à une crise des valeurs morales, d’un malaise social dont la jeunesse constitue la principale victime.

Est- ce à dire que l’insécurité a un lien avec la problématique de la crise de la jeunesse ?

Ce lien est incontestable ! Etant à l’aube de l’existence, la jeunesse est sans conteste la couche sociale la plus ambitieuse. Mais, à défaut de pouvoir trouver ses marques et de se tailler matériellement et moralement une place au soleil, elle est souvent sujette à toutes sortes d’errements. Les errements de la jeunesse constituent par conséquent, le meilleur baromètre pour mesurer la profondeur des conséquences de ce malaise social.
De ce fait, l’insécurité, fruit de ce malaise social, est un phénomène de société qu’il faut appréhender à travers l’examen des rapports qu’une société donnée entretient avec sa jeunesse et la place qui est réservée à cette dernière dans cet espace sociétal. Cette réalité en effet est révélatrice d’une certaine crise de la jeunesse qui se répercute au niveau de ses comportements : crise matérielle, crise psychologique, crise de moralité, etc. Cela signifie que toute jeunesse, quel que soit son espace d’évolution, est potentiellement un catalyseur de conduites in- sécuritaires. Cette insécurité est donc virtuelle ou réelle.
Dans sa manifestation réelle, elle peut connaître différentes formes et degrés d’expression suivant les réalités sociales. En France par exemple, la loi sur le contrat de première embauche (CPE) a été l’occasion pour la jeunesse, estudiantine notamment, de faire étalage de sa capacité à installer l’insécurité dans tout le pays, à travers une série de manifestations menées plusieurs semaines durant.

Est-ce à dire que la jeunesse est la seule responsable de sa manifestation et de sa prolifération dans notre pays ?

Non ! Pas forcément ! Bien que porteuse des germes à même de faire régner l’insécurité, avec en arrière plan un certain déterminisme sociologique, la jeunesse n’est pas pour autant le seul responsable de sa manifestation et son exacerbation au sein d’une société donnée. Sous ce rapport, il faut savoir faire la différence entre une manifestation d’insécurité qui relève de la responsabilité pleine entière de la jeunesse et une autre pour laquelle sa responsabilité est limitée.

Qu’entendez-vous par ce concept de « responsabilité pleine et entière » de la jeunesse dans la situation d’insécurité ?

On peut parler de responsabilité pleine et entière lorsque la jeunesse prend sur elle-même l’initiative de la manifestation d’insécurité. Cette manifestation d’insécurité peut prendre dès lors deux (2) directions. Dans certains cas la jeunesse déverse ses frustrations matérielles, morales ou psychologiques sur certains membres de sa société d’appartenance, à travers des actes de délinquance juvénile, d’agressions, de vandalisme, de vols, de meurtres, etc.
Dans d’autres cas la jeunesse refoule et retourne ses frustrations contre elle-même, en développant dans le but de les estomper, des stratégies suicidaires pouvant compromettre sa propre sécurité : l’immigration clandestine des jeunes sénégalais vers le supposé Eldorado européen dans des conditions extrêmement draconiennes, prenant en témoin les vagues marines avec leur extrême virulence, en est un exemple patent.

Insinuez-vous donc que l’immigration clandestine des jeunes vers l’Occident a des interactions avec la question de l’insécurité dans notre pays ?

Absolument ! C’est d’ailleurs dans cette perspective qu’il faudra comprendre la montée au créneau du Ministre de l’intérieur, pour justifier les moyens déployés en termes de matériel, d’expertise et de diplomatie, afin de lutter contre le phénomène et de rapatrier les jeunes mis en cause à cet effet. Il a pour cela, mis en exergue, à juste raison, le devoir permanent de l’Etat d’assurer la sécurité de ses citoyens à l’intérieur comme à l’extérieur de ses frontières.
Seulement, il semble oublier, que pour rester dans le pays, ces jeunes adeptes des « boat people made in Sénégal », ont également besoin d’un minimum de sécurité matérielle et professionnelle, que seuls le fallacieux « Plan Rêva » et le très politisé, Fonds National de Promotion des Jeunes (FNPJ ne sont pas visiblement en mesure de ne leur procurer. Il y’a fort à craindre donc, que le « Roll Back » de ces jeunes clandestins, ne ferait qu’accroître leur vulnérabilité et leurs sentiments de frustrations, au point de pouvoir les inciter à semer la violence et à exacerber l’insécurité dans le pays.

Quid maintenant du concept de « responsabilité limitée » de la jeunesse dans ce phénomène ?

On peut parler de responsabilité limitée quand les frustrations, la vulnérabilité, et la fougue de la jeunesse, sont exploitées et capitalisées par des groupuscules, des mystificateurs et des chefs d’opinions politiques ou religieuses, pour assouvir des ambitions personnelles, au mépris des contrecoups en termes d’instabilité et d’insécurité sociales. C’est le cas notamment quand une opposition politique incite la jeunesse estudiantine à la grève ou à toutes autres formes d’insurrection avec usage de la violence, pour rendre un pays ingouvernable, afin de discréditer le pouvoir en place.
C’est aussi le cas avec ce phénomène devenu de nos jours à la mode dans notre pays. Il s’agit de la constitution de milices privées faites essentiellement de jeunes, autour de certains chefs de partis politiques et de guides religieux. Les exemples prolifèrent. Au plan politique, l’ex opposant Abdoulaye Wade avec ses Calots bleus et la Parti Socialiste au pouvoir avec ses nervis, ont intronisé cette démarche dans notre pays ; une démarche que semble vouloir perpétuer aujourd’hui beaucoup de dirigeants de formations politiques à l’image d’Idrissa Seck.
Au plan religieux, Sérigne Modou Kara Mbacké, Cheikh Béthio Thioune et Sérigne Moustapha Sy entre autres, ont fini d’expérimenter et d’adopter définitivement cette pratique. Tous ces exemples, pour dire donc, que quand l’insécurité se manifeste et se déploie suite à un enrôlement de la jeunesse dans des considérations dont l’issue dépasse ses propres intérêts et ses propres ambitions, sa responsabilité est forcément limitée voire inexistante

Pouvez-vous être plus précis dans ce rapport que vous semblez établir entre l’insécurité et la création des milices politiques et religieuses dans notre pays ?

Cette manipulation et cet embrigadement de la jeunesse comme police auxiliaire paramilitaire à des fins personnelles, sont grandement sources d’insécurité et d’instabilité sociales. Pour en avoir le cœur net, on a qu’à considérer les excès idéologiques et les dérives passionnelles que ses milices peuvent engendrer, suite aux rivalités entre leurs principaux leaders. Il faut aussi prendre en compte le rôle prépondérant que les milices privées ont joué dans l’éclatement de certaines guerres civiles au niveau de certains pays du continent africain. Ce qui est par contre surprenant, c’est la grande incurie, que les autorités gouvernementales, sans doute mal à l’aise du fait de la présence encore visible des Calots bleus jusqu’aux entrailles de l’appareil d’Etat, font montre dans ce domaine.



0 Commentaires

Participer à la Discussion

  • Nous vous prions d'etre courtois.
  • N'envoyez pas de message ayant un ton agressif ou insultant.
  • N'envoyez pas de message inutile.
  • Pas de messages répétitifs, ou de hors sujéts.
  • Attaques personnelles. Vous pouvez critiquer une idée, mais pas d'attaques personnelles SVP. Ceci inclut tout message à contenu diffamatoire, vulgaire, violent, ne respectant pas la vie privée, sexuel ou en violation avec la loi. Ces messages seront supprimés.
  • Pas de publicité. Ce forum n'est pas un espace publicitaire gratuit.
  • Pas de majuscules. Tout message inscrit entièrement en majuscule sera supprimé.
Auteur: Commentaire : Poster mon commentaire

Repondre á un commentaire...

Auteur Commentaire : Poster ma reponse

ON EN PARLE

Banner 01

Seneweb Radio

  • RFM Radio
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • SUD FM
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • Zik-FM
    Ecoutez le meilleur de la radio

Newsletter Subscribe

Get the Latest Posts & Articles in Your Email