Mamadou Dia : quand le prisonnier dirigeait la prière de ses geôliers

Dans ‘’Sénégal, notre Pirogue. Au soleil de la liberté’’, Colin raconte ses chaleureuses retrouvailles avec celui qu’il continue d’appeler, avec déférence, ‘’mon Patron’’, à la vice-présidence puis à la présidence du Conseil de gouvernement du Sénégal indépendant.

Après les mots de bienvenue et autres salamalecs, Dia ‘’interrompit soudainement’’ son hôte, prétextant de ‘’l’heure de la prière’’. ‘’Nous reprendrons aussitôt après’’, lui avait-il assuré avant de se placer ‘’dans la direction sacrée, devant le maigre espace de la véranda’’.

Fin observateur et non moins portraitiste, l’auteur de cet ouvrage de 397 pages dit avoir été ‘’témoin d’une scène inouïe’’, ce jour-là : ‘’Les gardiens s’approchent, dans la cour, derrière la grille, et, le prenant comme imam, se livrent au rituel de la prière sous sa direction’’.

‘’J’aurais donné tout l’or du monde pour que pareille scène soit fixée pour l’histoire et connue de l’extérieur.’’

Sur instruction du président Senghor, son Premier ministre Abdou Diouf avait ordonnait le transfèrement de Dia, par avion militaire de Kédougou à Dakar, pour sa rencontre avec Colin, ce jour-là à partir de 18h 30, sous la conduite d’un certain capitaine Diop, chef du service pénitentiaire.

Roland Colin est un ancien et fidèle collaborateur français du président Dia, mais il ne cache pas ses liens avec Senghor, son ex-professeur à l’Ecole nationale de la France d’Outre-mer.

Cette double proximité avec deux personnalités en conflit fratricide lui facilitait les démarches visant à libérer, par mesure de grâce présidentielle, Dia, Valdiodio Ndiaye, Ibrahima Sarr, Joseph Mbaye et Ibrahima Tall. Il a servi d’intermédiaire et de facilitateur entre ‘’les deux frères séparés’’.

Presque deux ans plus tard, le 28 mars 1972, Mamadou Dia et ses codétenus sortaient de prison, chacun avec de graves séquelles dans leur santé.

Dans ‘’Sénégal, notre Pirogue. Au soleil de la liberté’’, il a beaucoup été question de la foi religieuse de Mamadou Dia comme ce fait vécu à son premier jour de vie carcérale à Kédougou. Roland Colin reprend un extrait des Mémoires de Dia, ‘’Afrique, le prix de la liberté’’.

‘’Dès que je suis arrivé à Kédougou, et que j’ai intégré mon pavillon, un verset du Coran m’est venu à l’esprit, j’ai aussitôt pris un morceau de charbon et je l’ai écrit sur le mur (la sourate 9 dans laquelle Allah prévient les croyants de l’épreuve qui les attend qui servait de devise au détenu)’’, écrit-il.

‘’Je considérais que mon emprisonnement était une épreuve décidée par Dieu, pour jauger ma foi. Si j’étais un bon musulman, je devais comprendre que les choses étaient voulues par Dieu, devaient passer ainsi, et qu’il me fallait accepter mon sort’’, poursuit l’ex-condamné ‘’à la déportation perpétuelle dans une enceinte fortifiée’’.

Ce verset, confie-t-il, lui servait de ‘’support moral’’. ‘’C’est pourquoi, je dis que la foi m’a été utile dans cette épreuve. Je ne sais pas si jamais j’aurai pus pu la supporter avec la même force, la même détermination, si je n’avais pas eu la foi.’’