MEMORIAL - La Place du Souvenir oublie le naufrage du Joola : L’Etat décrète l’amnésie

Six ans après le naufrage du bateau Le Joola, les familles des victimes attendent toujours d’avoir un espace commun de recueillement, de méditation et de souvenir. La Place du Souvenir autrefois désignée pour cette mission, ne veut pas se remémorer les naufragés du 26 septembre 2002. Comme si l’Etat du Sénégal, refusait d’assurer son devoir de mémoire.

Dès le début de l’affaire du naufrage du bateau Le Joola, le président de la République avait de lui-même promis d’ériger un mémorial en souvenir des victimes de cet accident tragique. Et il avait, à cette occasion, désigné une place pour l’érection d’un monument. C’est à la Corniche Ouest, au lieu où se trouve aujourd’hui, la Place du Souvenir, avec ses deux panthéons, que devait se situer le site choisi. D’ailleurs, le chef de l’Etat avait matérialisé sa volonté de faire de cette Place du Souvenir un lieu de mémoire pour les victimes du Joola, par le décret n° 2003-584 du 16 juillet 2003. Seulement, cette décision n’a pas été respectée.

Est-ce un détournement d’objectif ? Bien de gens le pensent, affirmant que cette place aurait servi à immortaliser pour de bon, la mémoire des victimes du bateau Le Joola. Pourtant, ce ne sont pas des appels pour la réalisation de ce projet, qui ont manqué. Les familles des victimes du bateau, à maintes reprises, ont entrepris des démarches pour faire accélérer l’érection de cette place du souvenir. Malheureusement, six ans après ce drame, l’évolution de la situation incite certaines personnes à penser que l’Etat fait tout pour ne pas immortaliser comme cela se doit le souvenir des naufragés. Nombreux encore sont ceux qui se demandent aujourd’hui, si l’Etat du Sénégal ne nourrit pas la volonté d’effacer l’image de la tragédie du Joola dans l’esprit des Sénégalais. 

A cette question, les membres des associations sénégalaises et françaises des familles de victimes du naufrage du bateau Le Joola, ainsi que des membres de la société civile répondent sans hésiter par l’affirmative. C’est notamment la conviction de Nassardiine Aïdara, le Président du comité d’initiative pour le Mémorial-Musée Le Joola, qui garde cependant espoir, et indique que «ce Mémorial -Musée doit permettre d’honorer les personnes disparues par respect de la dignité humaine et pour construire un avenir meilleur».

Ce parent éploré ajoute : «Aujourd’hui, nous ne sommes même pas capables de célébrer avec dignité l’anniversaire du naufrage. Parfois, l’agenda de l’Etat ne lui permet même pas de commémorer cette date du souvenir. Alors que le Joola fait partie de notre histoire actuelle. Et il nous faut un Mémorial-Musée qui fera dire à chaque visiteur, dès sa sortie : «Plus jamais ça» Il insiste pour expliquer : «Il y a une double nécessité aujourd’hui pour l’Etat et la nation d’ériger ce Mémorial-Musée : d’abord, tirer toutes les leçons de cette catastrophe pour aller de l’avant vers la reconstruction d’un avenir meilleur, ensuite, honorer les personnes disparues.»

Interpellé sur une supposée tentative de détournement de situation, avec l’érection d’une Place du Souvenir en lieu et place d’un Mémorial-Musée Le Joola, précédemment annoncée, M. Aïdara regrette que les familles des victimes n’aient pas été informées de ce changement. «Un jour, en passant sur la Corniche, j’ai été surpris de voir que ce qui était mentionné n’était pas la destination qui était retenue. Et nous n’avons pas été consultés et n’avons pas eu d’informations par rapport à ce changement de destination», déplore-t-il.

Nonobstant la construction de cette Place du Souvenir, les familles des victimes du naufrage ont entrepris des démarches auprès du ministère de la Culture afin d’obtenir cette place et en faire un lieu de recueillement en mémoire des disparus du 26 septembre 2002. Seulement, le Ministère de la Culture leur a signifié par écrit que les deux panthéons construits sur la Place du Souvenir ne sont pas destinés aux victimes du Joola. Pis, le ministère suggère aux familles de faire d’autres propositions pour un site plus approprié. Une décision que le comité d’initiative du Mémorial Musée le Joola n’accepte pas. «L’Etat a déguerpi les familles de victimes du site de la place du Souvenir et nous ne l’acceptons pas», a déclaré Boubacar Bâ, Président de l’Association nationale des familles de victimes. Il rappelle que le décret signé par le chef de l’Etat pour consacrer ce site aux naufragés, dit ceci : «Après le naufrage du bateau le Joola, le Sénégal meurtri a rendu hommage aux disparus, en organisant des funérailles nationales sur la Corniche ouest de Dakar. Dès lors, cet endroit reste gravé dans les mémoires comme un lieu de recueillement et un espace de méditation. L’Etat a décidé de consacrer cette fonction, en faisant une Place du Souvenir, aussi bien pour les victimes du Joola, que pour tous nos chers disparus du Sénégal et d’Afrique, dont la perte nous interpelle et nous livre des leçons à méditer.»

En clair, les familles des victimes ne veulent pas d’une place autre que celle de la Corniche ouest. En invitant l’Etat au respect de ses engagements, ils saisissent l’occasion de ce 6e anniversaire, pour se préparer à rencontrer des personnalités comme l’ambassadeur d’Allemagne, pays qui a construit le navire, et son Eminence le Cardinal Adrien Sarr, afin de recueillir leurs suggestions et conseils. Surtout qu’à leur entendement, «le Mémorial-Musée Le Joola doit faciliter la construction d’une société où la sécurité est assurée par et pour tous les citoyens, en sensibilisant à la mémoire des catastrophes humaines. Mais également, entretenir le souvenir éternel des milliers de victimes du naufrage et laisser aux générations présentes et celles de demain, les plus beaux souvenirs de leurs parents disparus, mais surtout leur rendre un hommage permanent, à vie».