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ÉMIGRATION CLANDESTINE : Abdou, quatre frères partis en Espagne, attend la délivrance du téléphone

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ÉMIGRATION CLANDESTINE : Abdou, quatre frères partis en Espagne, attend la délivrance du téléphone

Comment les jeunes candidats à l’émigration rejoignent-ils l’Espagne, via les îles Canaries ? Un témoin qui tient à garder l’anonymat raconte. Quatre membres de sa famille ont choisi de tenter cette aventure périlleuse. Sans nouvelles d’eux depuis leur départ, il y a près de deux semaines, l’angoisse est à son comble au fur et à mesure que le temps passe..

Il en a perdu le sommeil. Cela fait treize jours que Abdou, cadre dans une entreprise de la place, a vu quatre de ses frères partir en Espagne. Plus exactement aux îles Canaries. Originaire d’une famille de pêcheurs de la Petite Côte, il vit à Dakar avec son épouse. Un de ses cadets qui travaillait à la baie de Yarakh résidait avec le couple jusqu’à, il y a peu, quand il a décidé d’émigrer avec ses trois autres frères qui préparaient l’expédition. “ Il est parti sur la pointe des pieds, convaincu que je chercherai à le dissuader d’y aller si jamais il m’en parlait. ”

Peu avant le départ de la troupe qui a été organisé en famille, sa maman s’est confiée à lui. Abdou a alors compris qu’il valait mieux ne pas chercher à contrarier les plans établis à son insu. Il a ainsi su que son jeune frère partirait avec les autres dont le plus âgé a 36 ans. “ Ils ont voyagé à bord de la pirogue familiale, avec une cinquantaine de jeunes hommes à bord ”.

Outre les membres immédiats de la famille, les frères d’Abdou ont recruté des candidats en faisant passer le mot. “ Les Baol-Baol constituent la plus grosse clientèle, mais il y a aussi des pêcheurs ”, explique Abdou.

Un quartier où tout le monde se connaît.

Pour ceux qui ont décidé de braver les rigueurs de la mer, ce sont six jours de traversée qui les attendent. D’ici aux îles Canaries, c’est une distance de 1487 kilomètres. “ Contrairement à ce que l’on pense, estime Abdou, c’est une épreuve qui n’effraie en rien un vrai pêcheur de la Petite Côte. Là-bas, on a l’habitude d’aller en haute mer pour des campagnes de pêche qui peuvent durer parfois deux semaines ”.

Si Abdou, la trentaine, passe pour l’intellectuel de la maisonnée, celui qui n’a pas suivi la tradition familiale, qui veut que tous les garçons s’activent dans la pêche, il n’en a pas moins eu une solide expérience de la mer. Même quand il était étudiant à l’Université de Dakar, il mettait ses vacances à contribution pour rejoindre la famille en mer, et se faire de l’argent bien utile durant sa scolarité. “ Nous allions parfois jusqu’à Freetown au Liberia qui est très éloigné du Sénégal. Cela prend plus de temps que pour aller aux Canaries ”, se souvient-il. De ce passé, il a gardé le physique d’un solide gaillard qui ne laisse en rien penser qu’il passe ses journées devant un ordinateur la plupart du temps.

Des tarifs différenciés

Pourquoi cette entreprise est-elle présentée comme étant très périlleuse au point de faire perdre la vie à ceux qui la tentent ? “ Les risques résident fondamentalement dans l’habitude qu’ont les candidats de la mer. La plupart des émigrants découvrent la haute mer pour la première fois. En cas de bobo, ne sachant pas nager, ils sont bons pour la noyade. ” Selon Abdou, les embarcations ne sont pas aussi fragiles qu’on les présente. Les pirogues qui partent sont de très grande taille et ont l’habitude de la haute mer.

Si ses frères sont partis avec la pirogue familiale, certains passeurs choisissent d’en faire construire de toutes neuves. Ils devront alors débourser entre trois et quatre millions de francs Cfa. Un investissement largement amorti, compte tenu des tarifs appliqués aux candidats à l’émigration. “ Selon qu’ils connaissent le métier de la mer ou pas, ils ont chacun un prix, détaille Abdou. Ceux qui maîtrisent le “ Latch ” ou manœuvre de la pirogue paient entre 250 000 et 350 000, les autres peuvent débourser jusqu’à 600 000 Fcfa ”.

Les commerçants Baol-Baol, qui veulent partir ou envoyer des membres de leurs familles, sont une cible privilégiée des rabatteurs. Avec la complexité qui caractérise l’obtention des visas dans les ambassades occidentales, les prix ont flambé. Certains déboursent jusqu’à quatre millions de francs Cfa pour pouvoir offrir à leur frère ou cousin ou à eux-mêmes, le voyage tellement rêvé. Dans de telles conditions, la voie maritime est comme une aubaine pour les candidats à l’immigration avec ses coûts nettement plus abordables.

Finir dans le ventre de l’Atlantique

Pour cinquante clients, le patron de l’opération peut se retrouver avec un prix moyen de 400 000 Fcfa, avec 20 millions de Fcfa.

Mais tout cet argent ne finira pas dans sa poche. Il lui faudra investir dans l’achat d’un moteur neuf à deux millions de francs Cfa qui viendront s’ajouter à un autre d’occasion dont le prix tourne autour d’un million de francs Cfa. “ Pour tenir sur une telle durée de navigation, la pirogue fonctionne avec deux moteurs qui tournent alternativement. En plus de certaines pièces de rechange de première nécessité, comme les bougies dont il faut se prémunir ”. Il faudra également entre 1000 et 1500 litres de gasoil, ce qui revient à près d’un million de francs Cfa.

Quid de la nourriture ? “ Traditionnellement, les pêcheurs font deux repas, lorsqu’ils sont en mer. Le voyage vers l’Espagne s’organise de la même façon. La cuisine est assurée à bord. Un premier est servi vers 11 heures. Le second au crépuscule. Les passeurs appliquent la même méthode ”. Les passagers peuvent apporter leurs provisions individuelles, faites de lait, de beignets et autres qu’ils mettront à contribution entre les deux repas. L’eau est aussi stockée dans de grands barils. Une fois tous les frais engagés, le maître de l’opération peut se retrouver avec 10 à 12 millions dans les poches. Commence alors pour les voyageurs, après leur embarquement, une vie spartiate qui leur était jusque-là inconnue mais qui est le lot quotidien des pêcheurs artisanaux. Pas de douche, les besoins satisfaits presque en public. Contrairement aux pêcheurs occupés, habituellement, par la capture du poisson, eux devront apprendre à se soumettre à une quasi-immobilité. En plus de la pesante hantise d’un fiasco du voyage.

Les quatre frères d’Abdou dont on attend toujours des nouvelles ne sont pas les premiers à avoir fait le choix de risquer de mourir dans le ventre de l’Atlantique, pour paraphraser le titre de l’ouvrage de la Sénégalaise de Strasbourg, Fatou Diome.



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