Mme Oulimata Bâ Dia rend hommage à son défunt époux : ‘ Le président Mamadou Dia n'est pas un homme d'argent ’

A la fin du vibrant hommage, rendu à son défunt époux Mamadou Dia, samedi dernier à Paris, (voir notre édition d’hier) Mme Oulimata Bâ Dia a fondu en larmes tant l'émotion l'avait gagnée avec ces salves d'applaudissements des participants. Elle a eu même du mal à écraser une larme, malgré la force de caractère que l'on sentait sur son visage et dans ses propos. Elle a parlé de son mari comme on ne l'a jamais entendu : un président du Conseil qui n'a pas de compte bancaire. Et d'autres choses plus croustillantes !

‘(…) Nous remercions les organisateurs de cette journée d'hommage. Nous rendons également un hommage bien mérité à tous ceux qui, durant de longues années, l'ont aidé à faire face aux problèmes de la vie, à relever les défis et à jouir de tout le confort nécessaire pour bien mener ses activités tant intellectuelles, spirituelles que politiques, car le président Mamadou Dia n'est pas un homme d'argent. Il ne possédait même pas de compte bancaire. Le président Dia a su relever et gagner le pari de la vie grâce à la générosité affectueuse de ses enfants adoptifs. Nous disons affectueuses, cela était important pour lui et lui permit d'accepter le temps de la sollicitude. Qui sont ces enfants qui l'ont entouré tant (d'amour) dans le monde ? Je citerai d'abord Aliou Sow, directeur général de la Cse, qui était là dans les moments difficiles, toujours discret, faisant son devoir jusqu'au bout avec générosité et constance. Nous ne les citerons pas tous, hélas, et nous en sommes navrée. Je citerai également Magic Ndao, ancien directeur général de la Biao, qui a contribué grandement à son confort aux moments les plus opportuns. Je citerai, par les mêmes mots, Moustapha Niasse, pour tout ce qu'il a fait et continue de faire à notre égard. Je n'oublierai pas aussi Babacar Sall pour sa disponibilité émouvante à notre égard. J'y ajoute tous ceux qui l'ont admiré, réconforté dans ses convictions et considéré comme leur repère. L'équipe des cadres français qui lui sont demeurés fidèles, notamment Rolland Colin, (et son épouse), Yves Chaigneau, décédé. Nous ne saurons taire les médecins Sos : Iba Bara Diop, Francis Bloquo, Ibrahima Signaté, entre autres. Nous souhaiterions que tous ses fils adoptifs continuent à veiller sur la grande famille qu'il a laissée’.

‘Malgré la crainte de vous lâcher, nous avons le devoir de joindre à nos remerciements sa première épouse, notre sœur aînée Fatou Diop, une grande dame, décédée deux mois après lui, ses enfants, les nôtres aussi et nos enfants qui sont les siens, notamment Pape Meïssa, décédé le 12 mai 2008. Un événement qui a terriblement ébranlé Mamadou Dia ; ils étaient très proches. N'oublions pas nos petits-enfants, les petites-filles surtout, ces dangereuses rivales au Sénégal. Les petites-filles sont petites épouses des grand-pères ; et les petits-fils sont les petits époux des grand-mères ; et ils prennent leur rôle au sérieux, croyez-moi. Il y en a dans la salle. La liste n'est pas terminée, mais vous comprendrez qu'au fond, je garde le nom de ses cercles d'intimes.’

Des pronostics de six mois aux 35 ans de vie commune

‘Nous allons laisser maintenant les soins à des experts plus qualifiés pour parler de l'homme d'Etat que fut Mamadou Dia, de l'écrivain, du militant universel, du patriote et de l'humaniste. Nous, nous contenterons d'esquisser quelques traits de caractère de l'homme avec des mots qui ne satisfont pas le reflet de la réalité. Mamadou Dia, notre époux, notre ami, était déconcertant, déroutant même à bien des égards. Sous sa carapace d'irascible, se cachait un être d'une grande sensibilité, d'une bonté infinie. La plus petite attention lui comblait, la plus petite trahison l'atteignait au plus profond de lui-même. Il était faible sur tout quand il s'agissait de ses amis. Ce qui lui a coûté douze ans de sa vie. ‘Hé oui, disait-il, je suis faible. Si les gens s'en apercevaient, ils en abuseraient’. Il était généreux, il voulait donner tout ce qui lui était offert. Ses meilleurs amis furent les handicapés, basés à la Grande Poste à la Société générale du Point E. Il évolua avec aisance dans les plus hautes sphères de la société. Mais dans le milieu des plus humbles, il se sentait bien. C'était un rationné, un croyant à toute épreuve. Il aimait pour toujours ; il n'a jamais trahi, ni haï. Ce fut une force de la nature. (…). Ce qu'il a vécu pendant douze ans, en être sorti handicapé visuel, et ne sentir ni rancune, ni rancœur, ni haine, ni méfiance en la nature humaine, malgré les multiples trahisons, il fallait un être hors du commun. Quand il parlait de Senghor, c'est avec tendresse, humour et nostalgie. C'était stupéfiant !’

‘Pour une peccadille, Mamadou Dia pouvait se mettre dans une colère imprévisible, effrayante même. Face aux choses difficiles, devant un grand problème, il était d'une sérénité et d'une lucidité remarquables. Nous pouvons continuer des heures et des heures sans épuiser le sujet. Par-dessus tout, Mamadou Dia a renforcé notre courage à regarder la vérité en face, d'aller jusqu'au bout de cette vérité, quelles qu'en soit les conséquences.’

‘Pour conclure, nous allons faire un aveu : afin de nous séduire, Mamadou Dia déployait des efforts inouïs. Surtout le soir, tout y passait : chants de circoncis et de lutteur, poèmes, etc. Nous constatons, aujourd'hui, que toute l'énergie étonnante que nous possédions était soit pour le séduire sans pour être à sa hauteur, pas facile à atteindre. Mamadou Dia parti, nous n'avons plus de ressort. Pour notre famille, pour nos amis, pour lui, nous devons de rebondir afin de poursuivre son œuvre. Y arriverons-nous ? Je n'en sais rien. Les pronostics nous donnaient six mois de vie conjugale tumultueuse compte tenu de nos tempéraments volcaniques. Cela n'a pas été facile au début. Mais finalement, nous avions été très heureux : trente-cinq ans de vie commune, faite de complicité, d'estime, d'admiration réciproque et de profonde affection. Que grâce en soit rendue au Tout-Puissant.’