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Mouhamed Mbodj du forum civil sur l’audit de l’Armp : « Le chef de l’Etat ne doit pas protéger les délinquants financiers»

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Mouhamed Mbodj du forum civil sur l’audit de l’Armp : « Le chef de l’Etat ne doit pas protéger les délinquants financiers»
Le rapport de l’audit de l’Armp connu, les autorités devraient maintenant diligenter des procédures idoines à la dimension des fautes commises. En attendant, le président de la République devrait, à titre conservatoire, relever de leurs fonctions les personnes épinglées par cet audit pour malversations. Telles sont les attentes de Mouhamed Mbodj du Forum Civil qui avertit que ce serait une erreur que de tenter de protéger les dirigeants incriminés. Entretien.

Wal Fadjri : Comment avez-vous accueilli, en tant qu’acteur de la société civile, le rapport d’audit de l’Armp ?

Mouhamed Mbodj : Depuis la création en 1999 de la Cour des comptes, l’adoption de l’actuel Cmp constitue la seconde meilleure réforme sur la gouvernance financière depuis l’indépendance du Sénégal, avec la mise en place d’un réel dispositif de transparence autour de la commande publique. L’Armp est un mécanisme important du nouveau dispositif institutionnel. Elle s’est fait largement connaître au grand public avec la publication de ces audits. Mais pour bien comprendre ce qui vient de se passer, il convient de rappeler les dispositions de l’article 2 du décret 2007 546 du 25 04 07 portant organisation et fonctionnement de l’Armp qui, en son point 8, stipule : ‘… A ce titre, l’Armp est chargée de faire réaliser les audits techniques et/ou financiers en vue de contrôler et suivre la mise en œuvre de la réglementation en matière de passation, d’exécution et de contrôle des marché et conventions’. Dans ce cadre, l’Armp commande, à la fin de chaque exercice budgétaire, un audit indépendant sur un échantillon aléatoire de marchés et conventions, transmet aux autorités compétentes les cas de violation constatés des dispositions réglementaires et établit des rapports périodiques sur l’exécution des marchés, sur la base des enquêtes et audits réalisés, dont elle assure la publication et qu’elle transmet également auxdites autorités. Les autorités compétentes citées sont le président de la République, le Premier ministre, le président de l’Assemblée et du Sénat.

Wal Fadjri : Pourtant, l’Armp a été accusée d’utiliser cet audit à des fins politiques.

Mouhamed Mbodj : Dans le traitement des résultats des audits réalisés, l’Armp s’est conformée aux procédures légales. C’est lui faire mauvaise querelle que de parler d’une utilisation à des fins politiques contre certaines factions. Il ne s’est pas agi à l’Armp de nuire à une quelconque autorité. Ceux qui assument des responsabilités publiques dans le pays doivent se rappeler qu’ils sont simplement délégués dans ces fonctions par le peuple souverain qui, à travers l’expression de sa volonté, a choisi par le vote ces personnalités en question. Il s’agit simplement d’un exercice de compte-rendu de la manière dont ils ont géré la commande publique relevant de leur structure. Par ce fait, elles se trouvent soumises à la critique du citoyen contribuable. Au-delà de l’Armp, la réforme sur les marchés publics apporte d’autres réponses efficaces et pertinentes aux énormes attentes des citoyens et des partenaires en matière de transparence et de bonne gouvernance dans la conduite des affaires publiques.

Pour l’application de la réforme sur les marchés publics au Sénégal, le Code des obligations de l’administration a subi des modifications, en disposant à son article 25 nouveau, intitulé ‘code des marchés publics’ que ‘les règles régissant la préparation, la passation, l’approbation, l’exécution et le contrôle des commandes sont fixés par décret portant code marchés publics’. Il s’agit du décret 2007-545 du 25 avril 2007. C’est dans cette même veine qu’une autorité administrative indépendante dénommée Autorité de régulation des marchés publics (Armp) est créée, conformément à l’article 30 du nouveau du Code des obligations de l’administration modifié. Cette autorité dispose d’un Conseil de régulation avec une composition assez spéciale dans la mesure où elle est tripartite et paritaire.

Wal Fadjri : Quelle en est la composition ?

Mouhamed Mbodj : Trois membres sont issus de l’administration, trois du secteur privé et trois de la société civile pour respecter les exigences de l’Uemoa. Ces membres ne peuvent être poursuivis, recherchés, arrêtés ou jugés à l’occasion des actes accomplis, des mesures prises ou des opinions ou votes émis dans l’exercice de leurs fonctions. Ils exercent leurs fonctions en toute impartialité et en toute indépendance. Au regard de ces éléments, il est difficile de soutenir la thèse de l’instrumentalisation de l’Armp à des fins de nuisance politique dirigée contre certaines factions de la majorité politique au pouvoir.

Wal Fadjri : Mais l’on accuse son directeur de régler des comptes...

Mouhamed Mbodj : Il est tout aussi impossible d’accuser le Directeur général de l’Armp de règlement de compte parce n’étant pas membre du Conseil de régulation, encore moins du Comité de règlement des différends dont il n’assure que le secrétariat. Les personnalités épinglées par les audits devraient garder une attitude républicaine face aux interpellations d’une institution de l’Etat. Elles devraient éviter toute forme de dénigrement et bannir de leur langage l’injure et la menace. Elles devraient aussi garder profil bas et manifester un sentiment de repentir face à d’aussi graves accusations. Le président de la République devrait rappeler à l’ordre ces messieurs et dames, en leur enjoignant d’utiliser des procédures légales pour leur défense. Au regard de tous ces éléments, il est aisé de comprendre ceux qui sont optimistes relativement à cette réforme.

Wal Fadjri : Quel est l’enjeu de cette réforme ?

Mouhamed Mbodj : L’enjeu fondamental est d’asseoir une gestion propre et intègre de la commande publique globale. La réalisation d’un tel objectif contribuerait fortement à faire en sorte que la gestion de l’Etat ne soit plus un moyen d’enrichissement personnel. Cela aurait pour effet d’apaiser les confrontations entre acteurs politiques et de démotiver les délinquants financiers qui investissent le champ politique pour s’enrichir. D’un autre côté, la préservation de ces ressources accroîtrait l’efficacité des interventions de l’Etat avec un impact plus significatif sur le vécu des populations. En effet, les ressources publiques en jeu sont estimées entre 400 et 700 milliards.

La réforme contribue aussi à asseoir un système étatique plus rationnel, plus transparent et méritocratique. Elle permet aussi d’agréger les cercles vertueux dans la sphère publique, au niveau de l’Etat comme dans la société, pour mobiliser la masse critique d’acteurs des différents secteurs d’activité de notre nation en vue d’instaurer le principe d’intégrité dans la marche de notre République. C’est de ce point de vue qu’il faut saluer la distinction établie pour lesdits rapports d’audit entre les autorités contractantes à partir de leurs performances de gestion.

Wal Fadjri : L’Armp a-t-elle un pouvoir de sanction à l’encontre des titulaires de marché public ou de délégations de service public ?

Mouhamed Mbodj : La réglementation en vigueur donne de larges prérogatives à l’Armp pour initier des procédures devant aboutir à des sanctions exemplaires. Le décret 2007-546 du 25 avril 2007 portant organisation et fonctionnement de l’Armp confère au Comité de règlement des différends statuant en formation disciplinaire le pouvoir de prononcer des sanctions, sous forme d’exclusion temporaire et de pénalités pécuniaires à l’encontre des soumissionnaires, candidats ou titulaires de marchés publics et délégations de service public, en cas de violation de la réglementation afférente en matière de passation ou d’exécution des marchés publics et délégations de service public. Le montant des pénalités est fonction de la gravité des irrégularités et violations de la réglementation et des avantages que l’auteur a pu en tirer. La pénalité pécuniaire ne peut excéder, pour chaque manquement, 5 % du chiffre annuel réalisé par l’auteur de la violation constatée. Le Comité de règlement des différends informe les autorités de tutelle compétentes ainsi que les autorités judiciaires des fautes commises par les agents de l’Etat à l’occasion de la passation ou de l’exécution des marchés publics et délégations de service public.

Les responsabilités étant bien situées pour les audits, les sanctions ne devront épargner personne. Le chef de l’Etat devra mettre un soin particulier à bien superviser tout ce processus pour que la loi soit appliquée dans toute sa rigueur, sans faiblesse ni excès. Aussi importante que soit la réforme sur les marchés publics, elle ne suffit pas pour relever l’image actuelle du pays telle que reflétée par les différentes mesures de la gouvernance. Et pour redresser le profil/pays sur la bonne gouvernance, le président de la République et le gouvernement devront agir au moins dans trois directions : l’accélération des réformes sur la gestion du budget et des finances publiques, la résorption sans délai du retard de dix ans dans le vote des lois de règlement pour le parlement et enfin la création d’une véritable agence indépendante de lutte contre la corruption dotée de ressources suffisantes, mais aussi de plus larges pouvoirs d’investigation, d’autosaisine des cas de corruption et de saisine de la justice. C’est au prix de tels efforts que le Sénégal pourra restaurer sa crédibilité auprès des partenaires et accroître ses possibilités de mobilisation des ressources externes nécessaires à son développement.

Wal Fadjri : Comment en est-on arrivé à cette réforme ?

Mouhamed Mbodj : Cette réforme est la résultante de la conjonction de plusieurs volontés : celle des hautes autorités et du peuple sénégalais qui ont décidé d’instaurer, au plan constitutionnel, l’institution de la bonne gouvernance et de la transparence dans la gestion des affaires publiques. Celle de la société civile et du secteur privé (Forum civil et Cnes) qui avaient senti le besoin de mettre en place un observatoire de la gestion de la commande publique au Sénégal, celle des partenaires techniques au développement avec à leur tête la Banque mondiale et la Banque africaine de développement qui avaient très vite décelé les failles du Comité des marchés publics de 2000 et formulé l’idée d’un dialogue autour de cet instrument et la nécessité de le transformer. Et enfin celle de l’Uemoa qui, dans le but d’harmoniser le droit des marchés publics dans l’Uemoa, avait pris deux directives n°04 et 05/2005/CM/UEMOA tendant à réglementer les procédures de passation, d’exécution et de règlement de marchés et délégation de service public ainsi que le contrôle et la régulation de ce dernier. La paternité de la réforme appartient à tous ces acteurs cités plus haut qui, dans une synergie intelligente et productive, ont pu formuler une réforme jugée aujourd’hui pertinente et efficace. L’étude diagnostic sans complaisance confiée en 2002 au Pr Abdoulaye Sakho du Forum civil a été menée avec brio et a abouti à un dialogue fécond qui a permis de réussir la réforme d’aujourd’hui. Ce processus s’est poursuivi à l’époque pour la mise en place d’un comité tripartite (Etat, société civile et secteur privé) qui, après trois années de dur labeur, a su gratifier le Sénégal d’une excellente réponse face à la mal gouvernance financière.

Wal Fadjri : Qu’en est-il des requêtes de Bara Tall qui n’ont pas connu de réaction de la part de l’Armp ?

Mouhamed Mbodj : Il faut tenir compte de cette dissonance dans le temps, parce que l’Armp est apparue après que ces marchés ont été attribués.

Wal Fadjri : A combien s’élève le budget de l’Armp ?

Mouhamed Mbodj : Le budget de l’Armp provient en partie de l’Etat, des contributions des bailleurs, des produits tirés des documents d’appel d’offres. Dans le budget de 2010, c’est 70 millions sur un budget de 1 milliard 900 millions et la redevance 158 millions dans le budget de 2009. La question de l’origine du financement est un enjeu important parce que plus le financement de l’Armp sera tiré de moyens indépendants, plus elle pourra garantir son autonomie et son indépendance. Tirer l’essentiel de ses ressources des taxes et de la redevance garantirait plus d’indépendance à l’Armp que si elle devrait, chaque année, sur ses demandes d’allocation financière, faire l’objet d’arbitrage au niveau des gens qu’elle est censée contrôler.

Wal Fadjri : Pourtant, le chef de l’Etat a décidé dans une lettre adressée au ministre de l’Economie et des Finances de supprimer la redevance.

Mouhamed Mbodj : La bataille sur la redevance est une bataille de crédibilisation de la réforme sur l’autorité de régulation. Il s'agit d'un combat pour garantir et pérenniser l'indépendance de l'Armp. Quand une lettre émane de la plus haute autorité pour demander au ministre des Finances d’arrêter la redevance, cela fait désordre alors que ce n’est même pas au ministre de l’Economie de le faire. Cette redevance étant instituée par un décret présidentiel, le président n’avait même pas besoin d’écrire au ministre de l’Economie pour lui demander de supprimer la redevance. Cette redevance est instituée par décret présidentiel, pour la supprimer, parallélisme des formes oblige, il fallait utiliser le même moyen réglementaire.

Wal Fadjri : Peut-on s’attendre à ce que l’Armp saisisse le procureur pour les cas de malversation financière ?

Mouhamed Mbodj : Nous attendons, mais d’abord le président de la République pourrait mettre à l’aise l’Armp en sanctionnant politiquement. Si on enlève l’immunité à un ministre, c’est plus facile de le poursuivre. C’est au président de sonner le glas, en disant que tous ceux qui ont été incriminés sont mis en réserve de la République, en attendant de voir si les actes qu’ils ont posés méritent une suite pénale en terme de traitement judiciaire. A défaut, qu’il se limite à la sanction politique, en refusant de protéger des délinquants financiers autour de lui. On est dans le cinquantenaire de notre indépendance et le pillage de nos ressources a été le sport permanent privé, renouvelé par toutes les élites qui se sont succédé depuis l’indépendance. Et comme on parle de renaissance de l’Afrique, ce serait un acte refondateur sur l’Afrique de montrer que c’est terminé, on ne s’accommodera plus de pilleurs de derniers publics dans les gouvernements africains.

Wal Fadjri : Quelle suite devrait être donnée à ces audits ?

Mouhamed Mbodj : Les rapports établissent une typologie des gestionnaires à partir de trois catégories. La première est constituée de ceux qui ont bien géré l’argent du contribuable. La deuxième, ce sont ceux qui l’ont moyennement fait et la dernière est constituée de ceux qui ont dilapidé des fonds publics. Cette classification appelle une réaction des autorités, en conformité avec la loi, mais aussi avec la morale et l’éthique qui accompagnent la gestion des biens publics. La réaction attendue des autorités devrait se consacrer d’abord à la troisième catégorie de ceux qui ont mal agi, ces sanctions pourraient être d’ordre politique. C'est-à-dire le président de la République devrait, à titre conservatoire, relever de leurs fonctions toutes ces personnes épinglées pour malversations, en attendant les traitements administratif et pénal. En agissant de la sorte, le chef de l’Etat ferait droit aux dispositions de notre constitution relatives au principe de bonne gouvernance. Dans le même temps, lesdites autorités devront diligenter des procédures idoines à la dimension des fautes commises pour leur faire connaître les traitements adéquats au niveau de la justice.

Concernant les deux premières catégories, elles doivent aussi être récompensées en choisissant dans ce vivier les grands responsables de l’Etat, mais aussi en les montrant aux autres en exemple. Cela est important au regard du déficit d’exemplarité dont souffre notre système de gouvernance publique. C’est à ces niveaux seulement que les réactions des autorités sont attendues. Elles devraient s’abstenir de toute menace à l’endroit de l’Armp, mais aussi de toute tentative de protection des dirigeants incriminés. L’Armp, quant à elle, devra poursuivre son travail jusqu’au bout.



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