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MOUSSA DIENG KALA, RÉALISATEUR D'UN FILM SUR L'ÉMIGRATION CLANDESTINE:”Les jeunes candidats au voyage me disent qu'ils sont déjà morts...”

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MOUSSA DIENG KALA, RÉALISATEUR D'UN FILM SUR L'ÉMIGRATION CLANDESTINE:”Les jeunes candidats au voyage me disent qu'ils sont déjà morts...”

Il s'est déjà illustré par des idées très novatrices dans les industries musicales au Sénégal. Par la suite, nous avons découvert un disciple mouride faisant de la musique spirituelle inspirée des poèmes du Cheikh de Touba, Ahmadou Bamba ( les xassaides). En attendant son troisième album, après "Shakawtu, faith" et "Salimto", Moussa Dieng Kala qui a également fait des études cinématographiques au Canada vient de boucler le tournage de son deuxième long métrage: "Dieu a-t-il quitté l'Afrique?" après « Borom Touba » qui a été tourné en 2001 mais pas encore produite. Il traite sans opportunisme du sujet brûlant de l'émigration clandestine. Des jeunes candidats à l’Europe (ou au choix, à la mort) parlent par sa voie et sa voix...

Comment est né le projet de votre film?

J'ai commencé à travailler sur le film depuis cinq ans depuis la mort de Fodé et Yaguine* mais également de Bouna Wade ( un jeune Sénégalais qui voulait aussi émigrer dans un train d'atterrissage d'un avion et qui est mort en janvier 1999) . C'est à partir de leur mort que je me suis interrogé vraiment sur ce qui peut pousser des jeunes de 15 à 17 ans de vouloir immigrer au point de rentrer dans un train d'atterrissage pour se donner la mort. Egalement, les deux jeunes Guinéens savaient avant de partir qu'ils allaient mourir parce qu'ils ont écrit une lettre trois jours avant leur départ pour dire aux dirigeants européens " si vous voyez que nous sacrifions nos vies parce que nous les enfants nous souffrons beaucoup en Afrique".
Je trouve que c'est une lettre assez révélatrice des conditions d'existence des jeunes en Afrique. Alors le film est parti de cette situation. Sur le deuxième disque que j'ai fait, "Salimto", j'avais mis une copie de la lettre à l'intérieur. En retour, j'ai reçu beaucoup d'appels téléphoniques, des courriers de personnes qui compatissaient par rapport à cela. Et je me suis dit que je ne pourrais pas m'arrêter là. Parce que je trouve anormal que les gens taisent un tel scandale. Il faut faire quelque chose. J'ai écrit un scénario sur lequel j'ai travaille depuis cinq ans.

Quelle est la trame du scénario?

Tout part de l'histoire de ces garçons qui se sont sacrifiés pour faire entendre une cause. Par la suite nous avons suivi comment l'immigration clandestine s'est opérée au niveau de l'Europe. A ma grande surprise je n'ai vu que des spécialistes es politique qui s'expliquent devant les caméras, devant le monde pour justifier cette situation.
C'est un faux débat. Le film revient sur ça pour rappeler qu'il faut respecter ces gens qui partent. S'il y a vraiment des gens qui doivent parler,ce ne sont pas les politiciens, les spécialistes ou autres, ce sont les gens qui vivent cette situation. Pourquoi ne pas ne pas leur tendre les micros, les caméras, pour qu'ils disent ce qui les pousse à cet exil extrême. Fondamentalement le film s'est appuyé sur ça. Je retrace l'histoire de 3, 4 jeunes garçons qui vivent dans un quartier populaire, qui vivent dans la débrouillardise avec leurs parents et ils n'arrivent à rien faire dans la société. Leur quotidien est rythmé par les petits métiers.
A la fin de la journée, ils gagnent peut être 1000 ou 1500fcfa. Et il refont leur vie chaque jour sur ce que nous appelons communément en wolof le "banc jaaxle" (blanc public point de ralliement des désœuvrés). Il y a une vie qui existe autour de ce "banc jaaxle" que j'essaie de restituer.

Comment ces personnes voient-elles leur propre histoire, le risque qu'elles prennent?

Pour eux, il y a deux choses. Soit les Etats africains en général les aident à trouver un emploi, ou les aide dans leurs initiatives (les petits commerces, par exemple), ou bien qu'ils les laissent partir. Ce que ces jeunes disent c'est "qu'on ne nous donne pas du travail et on nous empêche de travailler, parce que la plupart d'entre nous est poursuivi par les taxes municipales etc., ensuite ils veulent nous empêcher de partir! Pendant ce temps qu'est ce qui se passe? Leurs femmes accouchent à l'extérieur, leurs enfants étudient à l'extérieur, ils vont et viennent comme bon leur semble et ils veulent nous retenir dans ce pays. Nous des humains comme eux.
N'avons-nous pas le droit d'aller et de venir comme eux, de circuler dans le monde?". En fait les politiques posent mal le problème. Ce sont des êtres humains qui sont dans ces pirogues. Soit on leur donne du travail ce qui leur permettrait de rester ici, soit on leur facilite le départ .

Des personnes qui ne comptent se réaliser qu'à l'extérieur de leur propre pays... n'est-ce pas catastrophique?

Ce n'est pas qu'ils n'ont pas foi en leur pays. Ce sont des gens qui sont fiers de d'être Sénégalais. Le problème c'est quand tu vis dans ce pays qu'on dit pauvre et tu vois une poignée de dirigeants qui circule à bord de voitures de luxe, habite dans des maisons cossues, cela frustre. Je pense qu'un député, un ministre, peut avoir une voiture 4x4, une belle maison, ou un bureau climatisé. Sauf que c'est le bien du peuple. En retour, cette même personne à des charges, il a des choses à faire pour le peuple afin de mériter son confort. Sinon c'est du vol!
Alors ces jeunes se rendent compte que ces dirigeants qui devraient se préoccuper de leur devenir ne font rien pour eux. Leur situation ne cesse d'empirer. On leur fait miroiter que le Sénégal marche, alors que rien ne va. Dans l'enquête que j'ai menée à Yarakh (un village de pêcheurs à Dakar), les jeunes que j'ai interrogé n'ont vécu que des ressources générées par la mer. Mais ils te disent : "Tous nos poissons ont été pillés par les gros bateaux. Alors ils ont emporté les poissons et nous suivons les poissons. Nous allons chez eux. S'ils ne veulent plus nous voir chez eux, qu'ils ramènent nos poissons !".

Faut-il donc limiter le propos à la réalisation de soi?

Il y a un lien. Chacun veut réaliser le rêve de sa vie. Que cela soit banalement s’occuper de sa mère, se marier, avoir des enfants. Ces jeunes sont obligés de croiser les bras et de regarder l'horizon, un horizon qu'ils ne sont pas sûrs de voir le lendemain.

Le désespoir a-t-il vraiment atteint le seuil que vous évoquez?

Il faut être désespéré pour aller se jeter en mer! Il faut être désespéré pour voyager dans des conditions aussi précaires! Ils me disent c'est très simplement qu'actuellement, ils sont morts. Je ne fais que rapporter. Mes réflexions, je les garde pour moi-même, pour plus tard. J'ai été sur le terrain, j'ai recueilli des informations. Ils me racontent que des gens leur disent qu'ils vont au suicide. Et ils leur répondent: "Comment des personnes déjà mortes peuvent-elles se suicider?"

Ce que vous dites là est très inquiétant...

C'est le cas. Sérieusement. Vous pouvez voir un groupe de jeunes qui vivent dans le même quartier, cinq d'entre eux s'embarquent. Ils y vont dans des pirogues qui doivent normalement contenir cinquante personnes, mais quatre-vingt dix sont du voyage. Ils partent en mer, le bateau se perd. Vous voyez un jeune avec un ami avec lequel il a grandi qui vomit devant lui jusqu'à sa mort, on le prend, on l'attache, on le jette par-dessus bord. Et ce même jeune qui a perdu ses amis, par miracle, est retrouvé en haute mer entre la vie et la mort. Il revient sur la terre ferme, on le soigne. Rétabli, il vous dit:" Si jamais j'ai une autre possibilité, je reprends la mer"...
Bouna Wade est aussi parti accroché à un avion. Il fait moins cinnquante degrés sur une altitude de 10 000km. Il fait le voyage, on le ramène, il le refait tragiquement cette fois. Pourquoi? Est ce que nous savons pourquoi ce jeune l'avait fait? Est ce qu'il y a eu un suivi? Tout le monde s'interroge.On n'en sait rien en fait. On ne peut pas affirmer que rien n'a été fait mais on n'a rien vu, rien entendu de ça. C'est un dossier qui a été clos après. Quand on parle d'évolution et de progrès, ce n'est pas juste un progrès technique. Les mentalités aussi doivent évoluer. Parce que si au XXI è siècle les gens pensent à des autoroutes, à des échangeurs, c'est bien beau. Mais il faut que les esprits suivent.
Un esprit qui peut aller chercher des échangeurs pour que la circulation soit plus fluide, devrait être en mesure de comprendre qu'il y ait quelque chose qui va mal et que le peuple le dit. Il ne m'est jamais venu à l'esprit de dire que le président Wade ou un autre président africain doit bouger dans tel ou tel autre sens. Ce n'est pas mon rôle. Par contre en tant qu'artiste, en tant que cinéaste, si je vois un problème, c'est mon droit à moi de citoyen de dire aux autorités attention: il y a un problème.

En somme, voulez-vous dire que malgré toutes les initiatives, il n' y a pas une réelle prise en charge du problème?

Les initiatives sont extrêmement minimes face à l'ampleur de ce phénomène. Tant que les jeunes auront la possibilité de prendre la mer, il n'y aura pas de problème à l'intérieur. Si jamais ils ferment les mers, les gens vont se retourner où? A l'intérieur du pays! Qu'est-ce que cela peut générer?

Y a-t-il un réel danger de freiner l'émigration?

La question alternative est à prendre très au sérieux. Ce n'est pas dans les bureaux qu'il faut régler ce problème, mais plutôt sur le terrain. Tu ne peux pas soigner un malade sans savoir de quoi il souffre. C'est très beau de faire des projets, j'ai entendu le projet Reva (retour vers l'agriculture) et la plupart des jeunes que j'ai interrogés m'ont dit que "80% des cultivateurs ont des difficultés, eux qui ont toujours vécu de l'agriculture. Alors comment nous qui ne savons pas comment tenir un hilaire, allons-nous nous en sortir?" Autre chose: pour faire un métier, il faut l'aimer. Beaucoup de facteurs entrent en compte pour pouvoir faire de l'agriculture.

Mais que pensez-vous donc des initiatives de l'Union europénne?

Avec le soutien de l'Union Européenne pour arrêter le flux, vous allez retrouver des personnes qui ne se sont jamais intéressés au problème qui vont porter toutes sortes de projets sur l'émigration.J'attire l'attention du Président de la République du Sénégal, puisque tout passe par lui, sur ces nouveaux porteurs de solutions. Ils ne portent que leurs propres intérêts. Et il faut qu'il supprime les intermédiaires de tous ordres (artistes, politiciens, techniciens de ceci ou de cela) car la question est sérieuse et grave. Et il n'est pas trop tard pour bien faire! Ce sont ces jeunes, qui au risque de leur vie, vont vers l’Europe. Cette aide européenne leur revient de droit et à personne d’autre !

Pour revenir sur le film. Dans quelles conditions l'avez-vous préparé?

Pour le film, je savais que ce serait pas facile, parce que je ne vis pas en Europe, je vis au Canada et que le Canada est moins touché par le phénomène de l'émigration clandestine. Mais j’ai eu l’appui de fonds publics canadiens avec des arguments. Car la culture aussi doit être appuyée. Cela m'a pris au moins deux ans et demi pour monter et faire accepter le projet. En préparant ce film, j'ai cumulé des frustrations, des rendez-vous manqués. J'ai voulu même rencontrer le président Wade, parce que dans un travail de recherche, il faut être objectif. J'ai voulu savoir les projets du gouvernement sur la question. J'ai même annulé un vol rien que pour avoir un rendez avec lui. Seulement son conseiller en communication, en l'occurrence Babacar Diagne m'avait mal reçu, alors que je voulais être objectif dans mes propos.
Il y avait trop de lourdeurs administratives. Je pouvais faire le film sans recueillir leurs avis. L' affaire n'est pas de dénoncer ou de crier sur qui que ce soit. Seul l'objectivité me guide. Apparemment ceux qui m'ont fait perdre du temps n'ont rien compris.



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