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Omar GUEYE, enseignant-chercheur à l’UCAD : « Il existe encore beaucoup de documents confidentiels sur Mai 68 »

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Omar GUEYE, enseignant-chercheur à l’UCAD : « Il existe encore beaucoup de documents confidentiels sur Mai 68 »

L’enseignant-chercheur au département d’Histoire de l’Université Cheikh Anta Diop vient d’accéder à des sources peu fouillées par les historiens sénégalais, à savoir les archives britanniques, celles diplomatiques de Londres, le Fonds Focart, (Monsieur Afrique de la France ), qui traitent des évènements de « Mai 68 ». Cette masse de documents et de témoignages lui ont permis de bien documenter le mouvement de « Mai 68 » dans une thèse d’Etat.

Vous venez de soutenir une thèse d’Etat sur les évènements de « Mai 68 ». Pouvez-vous nous faire l’économie de votre travail ?
La thèse porte sur le mouvement de « Mai 68 » au Sénégal, Senghor face au mouvement syndical. C’est un travail qui étudie le mouvement social de « Mai 68 » qui s’est passé dans le monde, mais qui a eu effectivement un impact au Sénégal. C’est à cette époque que le président Senghor a été menacé pour la première fois. « Mai 68 » est un mouvement que beaucoup de générations ont vécu dans ce pays. J’ai rencontré quelques leaders du mouvement quand je faisais des études dans un projet global du rapport entre Senghor et le mouvement syndical. C’est une étude que j’ai déjà publiée à l’Université d’Ottawa (Canada). Dans cette étude, je me suis rendu compte que c’est en « Mai 68 » que Senghor a véritablement été menacé parce qu’il avait connu plusieurs crises (1960, 1962) dans son parti. C’est en 68 qu’il y a eu la menace qui a failli le renverser. Mais jusque-là, il n’y avait pas suffisamment d’éléments pour faire une étude comparative. On avait tout simplement des témoignages des anciens acteurs et des anciens contemporains de la crise. C’est à partir de l’année 2008 qui correspondait à la commémoration du 40ème anniversaire du mouvement qu’il y a eu une floraison de témoignages. Beaucoup de personnes ont écrit sur « Mai 68 ». D’ailleurs, la presse en a fait un bon traitement. On a organisé des tables rondes un peu partout, et c’est en ce moment qu’on a eu une masse critique pour étudier le mouvement. Mais pour moi cela ne suffisait pas parce qu’il nous fallait encore des documents d’archives. Ce qui coïncidait aussi avec le moment où on a déplacé les archives diplomatiques françaises.
L’ancien ambassadeur de France au Sénégal, Jean Gio de Lagarde, était au cœur de la crise. Il rencontrait le président Senghor deux fois par jour. D’ailleurs, son nom revient très souvent dans cette thèse. C’est lui qui faisait tous les rapports quotidiens qui étaient envoyés au secrétariat général de l’Elysée et à M. Jacques Foccart qui rendait compte au Général De Gaulle. Toutes les décisions étaient discutées avec lui. Mais une fois que ces archives ont été ouvertes, ce fut vraiment une aubaine pour les chercheurs. J’ai découvert ces éléments au centre des archives diplomatiques de Londres. Au même moment, il y a eu les archives britanniques que j’ai eues à voir. Donc il fallait faire un travail rigoureux. Aujourd’hui, on a une masse importante de documents. Donc on peut faire plusieurs études sur « Mai 68 » quel que soit l’aspect, parce que les sources sont disponibles. Il y a le Fonds Foccart. Jacques Foccart qui était l’ancien Secrétaire général de l’Élysée, était également le «Monsieur Afrique». Il était aussi au cœur des transactions politiques en Afrique et un peu partout. Donc le Fonds Foccart est disponible. Même avec cette floraison, il y a toujours le problème de l’accès aux sources confidentielles qui se pose. Il y a beaucoup de documents secrets. Donc c’est seulement à partir de 2008 que toutes les sources sont mises à la disposition du public. Mais jusqu’à présent, c’est le Pr Abdoulaye Bathily qui a fait une étude sur « Mai 68 », mais c’était à partir d’une histoire personnelle, parce qu’il était un des principaux acteurs de cette crise. Il a utilisé leurs propres archives. Ensuite, il y a eu Maguette Lo qui était un syndicaliste et qui a traité les évènements de « Mai 68 », parce qu’il était au cœur du système dans le gouvernement de Senghor. Il était responsable syndical et membre du comité de crise de 68.

Quel est le but recherché dans cette étude ?
Dans ma perspective, il s’agit de voir le rapport que Senghor avait avec le mouvement syndical. Le compagnonnage entre Senghor et le mouvement syndical a commencé au début de sa carrière politique dans les années 40, au moment où il créait à Thiès le Bloc démocratique sénégalais (Bds) en 1948. Thiès était le siège du chemin de fer avec son leader Ibrahima Sarr qui venait de réussir la grève de 1947 et 1948. Donc Senghor a eu le soutien d’Ibrahima Sarr et surtout de celui des cheminots. Il a créé son parti pour contrebalancer la toute-puissance de Lamine Guèye et de la Sfio (Section française de l’internationale ouvrière). A partir de l948, c’était la marche vers la révolution de 1951.
C’état la première fois que Senghor accédait à la députation sur sa propre liste et il fallait faire face à Lamine Guèye et à la Sfio. Mais dans ce compagnonnage, Senghor faisait face à Abass Guèye qui était un syndicaliste. C’est lui qui avait dirigé la grève de 1948 avec Amadou Lamine Diallo. Et à cet instant qu’il y a eu l’alliance entre Senghor et le mouvement syndical. Après la victoire de Senghor en 1951, il y a eu le vote du Code du travail en 1952 que le président Senghor avait défendu à l’Assemblée nationale française et surtout dans son article sur les allocations familiales qui était très controversé. Juste après, il y a eu la marche vers les indépendances où les syndicalistes ont joué un grand rôle. La question était de savoir qu’elle serait la position du syndicat dans la marche. Il fallait donc définir une nouvelle théorie de l’orientation syndicale. Il y avait à partir de ce moment un processus de domestication du syndicalisme par l’Etat, parce que c’était l’une des forces sociales les plus représentatives. Il y avait l’Union nationale des travailleurs du Sénégal (Unts) qui était très forte et qui avait mobilisé tous les syndicats qui existaient au Sénégal jusqu’en 1968. C’est l’Unts qui a mené la grève des syndicalistes en 1968.

Est-ce qu’il y a eu une redéfinition des rapports entre les syndicats et le régime en place après le mouvement de « Mai 68 » ? 
Après la crise, il y a eu une nouvelle réorientation qui fait que Senghor a créé la Cnts (Confédération nationale des travailleurs du Sénégal) qui était directement liée à l’Union progressiste sénégalais (Ups). Et l’Ups est l’ancêtre de l’actuel Parti socialiste (Ps). C’est toujours la tentative de domestication du syndicat par Senghor. Donc il faut surtout retenir que « Mai 68 » est important dans le rapport de Senghor au mouvement syndical. Le président était menacé et était prêt à partir. Le pouvoir était dans la rue. Et pourtant avant « Mai 68 », Senghor avait dominé toute la scène politique sénégalaise. C’était le parti unique au Sénégal. Le Pai était interdit, donc clandestin. Il y avait que Senghor qui régnait en partie. Avant il y a eu dans les différentes crises, celle de 1960 avec l’éclatement de la fédération du Mali, la crise de 1962 avec la tentative de coup d’Etat de Mamadou Dia qui est encore très conversé. En 1967, il y a eu les violences politiques qui ont abouti à l’assassinat de Demba Diop à Mbour. C’était des querelles internes au parti, mais aussi la tentative d’assassinat du président Senghor lui-même. Donc c’était vraiment une période trouble que le président a traversée. C’est finalement en « Mai 68 » que les étudiants ont décidé de secouer le pouvoir. C’est en tout cas l’essence de « Mai 68 ». Après cet évènement, il y a eu la redéfinition et la réorganisation du parti et celle de l’université qui était française en 1968 et qui va entamer sa phase d’africanisation.

Est-ce que les mouvements syndicaux ne doivent-ils pas changer d’approches en matière de revendications ? 
Tout est question de contexte. Quand on était en période coloniale, il y avait un ennemi ou un adversaire qui était en face. C’était l’étape coloniale. Les populations se reconnaissaient dans cette lutte syndicale. Elles étaient des nationalistes qui s’ignoraient. En contexte d’Etat indépendant, c’est différent. C’est un Etat qui doit faire face à ses propres besoins. Il y a cette possibilité de négociation qui fait qu’il y a eu la conjoncture qui va jouer un rôle important. Pendant l’étape coloniale, le président Senghor n’a pas été menacé parce qu’il ne constituait pas une force pour la France. Et c’était vraiment l’une des chances de Senghor. 
Mais il faut surtout se rappeler que la France a connu au même moment un mouvement en « Mai 68 » et qui a perturbé le général De Gaulle qui a perdu le pouvoir en 1969. Au Mali, le président Modibo Keita a été renversé en 1968. Toujours en 1968, au Ghana, le président Kwame Nkrumah a été renversé par un coup d’Etat. Il y avait un régime révolutionnaire en Guinée. Il y avait également la guerre civile au Biafra (Niger).  Donc on était dans un contexte d’ensemble de perturbation. Le Sénégal avait plus ou moins connu une certaine stabilité. Mais en 1968 le président a eu une certaine intelligence de comprendre que le rapport de force lui était défavorable dans la mesure où tout le monde était presque contre lui. C’est l’armée qui a sauvé le régime de Senghor. Elle affichait sa loyauté au président. Les marabouts aussi ont fait des appels pour un soutien à Senghor. Mais l’Eglise ne l’a pas fait. On était dans une situation paradoxale.

Propos recueillis par Idrissa SANE et Gaustin DIATTA (stagiaire)



6 Commentaires

  1. Auteur

    Mamour Lyon France

    En Juillet, 2014 (15:20 PM)
    mon ami omar je te souhaite bon courage et bien des choses a bientot
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  2. Auteur

    Nation-alitée

    En Juillet, 2014 (15:46 PM)
    je ne suis pas surpris qu'il est atteind ce niveau.il était mon professeur d'histo geo au lycée ibou diallo de sedhiou. un homme ambitieux, courageux, avide de savoir.

    du courage prof Omar
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    Auteur

    Eglise

    En Juillet, 2014 (17:40 PM)
    L'Eglise n'a pas à soutenir ou affaiblir un régime.
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    Auteur

    Niang Rio

    En Juillet, 2014 (23:17 PM)
    Toutes mes félicitations Professeur pour cette thèse qui couronne les nombreux et incessants efforts dans la quete du savoir.

    Tu honores en m^me temps tous les Senghoriens du Sénégal et de l'espace francophone
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    Auteur

    Dr M M Gueye

    En Juillet, 2014 (08:42 AM)
    toutes mes félicitations cher professeur pour ce travail de haut niveau !
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    Auteur

    Mouhamadou S Diaw

    En Juillet, 2014 (09:03 AM)
    BON VENT CHER AMI SANE.LE MEILLEUR EST A VENIR.
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