Jeudi 18 Avril, 2024 á Dakar
Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Top Banner
Societe

PHOTOS. " L'espoir d'un filon entretient la fièvre de l'or"

Single Post
PHOTOS. " L'espoir d'un filon entretient la fièvre de l'or"

Le photographe Romain Laurendeau s'est immergé quatre semaines avec des chercheurs d'or au Sénégal. Interview.

 

Tenkoto, au Sénégal, est un village où règne la fièvre de l'or. Dans une communauté coupée du monde et du temps, on y trime quotidiennement pour grappiller quelque poussière de métal jaune, avec le fol espoir de trouver un filon. Romain Laurendeau, photographe de 38 ans, y a passé quatre semaines. Pour ses images frappantes en noir et blanc, ce Toulousain venu récemment au reportage a remporté conjointement – c'est une première – le prix ZOOM de la presse (ex æquo avec Jérôme Blin) et celui du public. Le Salon de la photo, à Paris, expose son travail jusqu'au 11 novembre. Interview.

 

"Je suis resté trois heures avec ces chercheurs d'or. Ils ont gratté les parois jusqu'à ce que tout menace de s'écrouler. Ils ont pris des mesures avec des bouts de ficelle et consolidé certaines partie. Avant de reprendre le travail." (Romain Laurendeau)

Comment avez-vous décroché ces deux prix ?

- Tout a commencé lorsque j'ai présenté mon reportage à la rédaction du magazine "Réponses Photo", qui m'a sélectionné comme "poulain" pour les ZOOMS 2013. Cette série en noir et blanc, dans la lignée de la photographie humaniste, correspondait à la sensibilité de la revue et de sa rédactrice en chef Sylvie Hugues. Lorsque j'ai découvert les candidats présentés par les autres publications, j'ai constaté que les sujets étaient variés et très contemporains, allant de l'autoportrait à l'"image Photoshop". Quelque part, avec mon reportage en noir et blanc, j'ai eu l'impression de représenter la photographie à l'ancienne. Cela a plu au public et à la presse.

Justement, pourquoi le choix du noir et blanc ?

- Ce n'était pas mon idée première. Mais ce choix s'est imposé en raison de l'atmosphère du village de Tenkoto. Cet endroit paraît hors du temps. S'il n'y avait ces quelques motos, on pourrait se croire dans un western. J'ai donc utilisé mon Leica argentique pour paraître moins agressif qu'avec un gros reflex numérique. À cela s'ajoute le fait que j'ai dix ans d'expérience en matière de noir et blanc et de photographie argentique. J'apprécie de pouvoir maîtriser la chaîne de la photo d'un bout à l'autre, de la prise de vue au tirage.

(Les mineurs nettoient la poussière d'or à l'aide d'une pompe à eau)

Lors de mes deux premiers séjours dans le village, d'une dizaine de jours chacun, j'ai photographié "à l'aveugle". Ce n'est qu'une fois de retour en France que j'ai développé mes photos. Et là, je me suis rendu compte qu'il me manquait des images nécessaires au sujet. Je me suis dit : 'Je n'ai quand-même pas fait tout ça pour ça !' Et je suis retourné une troisième fois à Tenkoto. En tout, j'y ai passé un mois.

Comment avez-vous eu l'idée de ce sujet ?

- J'étais originellement venu au Sénégal pour la campagne présidentielle et les troubles survenus suite à la candidature contestée d'Abdoulaye Wade. Je m'étais axé sur les jeunes émeutiers, ce qui m'a valu plus tard d'être sélectionné pour le prix Bayeux-Calvados des photographes de guerre. C'est à Dakar que j'ai lu un article sur le village de Tenkoto et ses chercheurs d'or. Cela m'a donné envie de sortir de la capitale, de fouiller. Le sujet n'avait pas vraiment été traité en photos, et il activait en moi des souvenirs d'enfance liés au mythe de la ruée vers l'or.

Je me suis rendu à Tenkoto en compagnie d'une amie qui connaît l'Afrique et ses codes. C'était mon premier voyage, tout était nouveau pour moi. Le chef du village m'a accueilli à bras ouverts : il n'avait pas vu de Blanc depuis des mois.

(Un chercheur ramasse un bout de mercure avec l'espoir d'en extraire de l'or)

Avez-vous reçu le même accueil de la part des mineurs ?

- Oui, ils étaient contents de montrer leur travail, et flattés qu'on vienne s'intéresser à eux. Ils n'ont jamais cherché à tirer profit du fait qu'ils étaient photographiés – un problème auquel j'avais dû faire face dans la banlieue de Dakar.

Qui sont ces chercheurs d'or ?

- Ce sont majoritairement des jeunes hommes. Seuls 10% sont Sénégalais : les autres viennent de Guinée, de Mali... Ils louent des cases, ils restent quelques mois, puis ils repartent. Leurs conditions de vie sont extrêmement difficiles. Il fait 40 degrés (même la nuit), il est compliqué de se nourrir, la poussière envahit tout. On perd la notion même de froid, l'électricité et les frigos étant absents. De mon côté, j'ai perdu six kilos.

En plus de cela, Tenkoto se situe à cinq heures de piste de la première ville, ce qui coupe les liens avec l'État. Il n'y a pas de règle et personne ne représente l'autorité, si ce n'est le chef de village et quelques hommes de main. J'ai assisté à des scènes très difficiles, que je n'ai pas pu photographier : un mari qui bat sa femme, un accouchement solitaire pendant un trajet dans un taxi-brousse...

(Certains font de la musculation même après des journées éreintantes. Ces chercheurs d'or n'ont pas de sécurité sociale, et leur corps est tout ce qu'ils ont. Ils doivent donc être forts et résistants.)

Peut-on s'enrichir à Tenkoto ?

- La poussière d'or assure un revenu relativement régulier, d'autant que le cours de l'or a quadruplé ces dernières années. C'est surtout l'espoir de trouver un filon qui entretient la fièvre de l'or à Tenkoto. Cet espoir, ils étaient près de 10.000 à l'avoir lors de mon passage. Depuis, un contact m'a raconté que le village s'était quelque peu vidé, de l'or ayant été trouvé plus loin. Mais l'animisme et les marabouts ont également une influence sur la population. Certains chercheurs croient notamment que l'or se déplace sous terre.

Allez-vous continuer de travailler au Sénégal ?

- Pas à long terme. Au bout d'un certain temps au même endroit, j'ai l'impression de m'enliser dans la routine. Le quotidien n'est pas un terrain propice pour raconter de nouvelles histoires. Je suis donc rentré en France pour me ressourcer avant de rebondir. Aujourd'hui je suis à Paris pour présenter ce reportage, que je présenterai également bientôt au Japon, mais ma tête est déjà ailleurs. Sur d'autres projets.

(Des enfants dans une case de Tenkoto)

Quels conseils donneriez-vous aux futurs candidats des ZOOMS ?

- Ne pas hésiter à montrer sa production au maximum : il faut assumer son travail. Et surtout être passionné. On m'a dit, lorsque j'ai présenté mes images au festival Visa pour l'Image à Perpignan, que mon reportage n'était pas original, qu'il y en avait déjà "plein" de ce type. Mais j'ai avant tout fait ce sujet parce qu'il me plaisait. Faire ce qui me plaît, c'est ce que je fais de mieux.

Interview de Romain Laurendeau par Cyril Bonnet, le 7 novembre 2013



0 Commentaires

Participer à la Discussion

  • Nous vous prions d'etre courtois.
  • N'envoyez pas de message ayant un ton agressif ou insultant.
  • N'envoyez pas de message inutile.
  • Pas de messages répétitifs, ou de hors sujéts.
  • Attaques personnelles. Vous pouvez critiquer une idée, mais pas d'attaques personnelles SVP. Ceci inclut tout message à contenu diffamatoire, vulgaire, violent, ne respectant pas la vie privée, sexuel ou en violation avec la loi. Ces messages seront supprimés.
  • Pas de publicité. Ce forum n'est pas un espace publicitaire gratuit.
  • Pas de majuscules. Tout message inscrit entièrement en majuscule sera supprimé.
Auteur: Commentaire : Poster mon commentaire

Repondre á un commentaire...

Auteur Commentaire : Poster ma reponse

ON EN PARLE

Banner 01

Seneweb Radio

  • RFM Radio
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • SUD FM
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • Zik-FM
    Ecoutez le meilleur de la radio

Newsletter Subscribe

Get the Latest Posts & Articles in Your Email